Vers la détection des exoplanètes

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NASA/JPL-Caltech/R. Hurt (SSC)
Vers la détection des exoplanètes
Auteur : Otto Struve (1897-1963), astronome russe puis américain.
Auteur de l'analyse : James Lequeux, astronome honoraire à l’Observatoire de Paris.
Publication :

“Proposal for a project of high-precision stellar radial velocity work”, The Observatory, 72, 199, 1952

Année de publication :

1952

Nombre de Pages :
1
Résumé :

Struve pose en 1952 les bases de la détection de planètes autour d’autres étoiles. Mais ses idées révolutionnaires attendront plusieurs décennies avant d’être mises à profit.

Source de la numérisation :
Mise en ligne :
novembre 2019

Struve pose en 1952 les bases de la détection de planètes autour d’autres étoiles. Mais ses idées révolutionnaires attendront plusieurs décennies avant d’être mises à profit.

 


James Lequeux, ancien élève de l’École normale supérieure, a été astronome à l’Observatoire de Paris et rédacteur en chef de la revue Astronomy and Astrophysics. Membre de l’Union astronomique internationale, il est l’auteur de nombreux articles scientifiques et de livres d’histoire des sciences ou de vulgarisation scientifique (chez EDP Sciences notamment).

 

 

Vers la détection des exoplanètes
James Lequeux, astronome honoraire à l’Observatoire de Paris.

 

L’idée qu’il puisse y avoir des planètes autour d’autres étoiles que le Soleil, – des exoplanètes –, est très ancienne. Le premier qui en ait laissé des traces écrites parvenues jusqu’à nous est Épicure (ca 342 av. J.-C.–270 av. J.-C.), qui écrit, dans sa Lettre à Hérodote :

 

L’Univers est infini… Il y a une infinité de mondes, dont les uns ressemblent à celui-ci, les autres ne lui ressemblent pas.

Cependant, les premiers essais de détection ne datent que du milieu du xixs. La fin de ce siècle et la première moitié du suivant sont parsemées d’annonces de découvertes d’exoplanètes qui se sont toutes révélées fausses. La première de ces fausses alertes concerne une planète qui tournerait autour d’une des composantes de l’étoile double 70 Ophiuchi (16,6 années-lumière, constellation d’Ophiuchus). William Herschel avait annoncé en 1803 l’existence d’étoiles doubles orbitant autour de leur centre de gravité commun, et ce sujet a vite suscité une importante activité d’observation de la part des astronomes, qui avaient dès alors à leur disposition d’excellentes lunettes. On pouvait en effet observer systématiquement la révolution des étoiles doubles suffisamment séparées, et espérer en déduire leurs masses si l’on parvenait à en déterminer la distance. En 1855, les deux composantes de l’étoile double 70 Ophiuchi ont presque accompli une révolution complète l’une autour de l’autre depuis leur découverte par Herschel en 1779 (la période est de 93 ans), mais il semble difficile de représenter l’orbite par une ellipse. Y aurait-il un troisième corps ? C’est ce que prétend un astronome anglais qui dirige l’observatoire de Madras en Inde, le capitaine William S. Jacob (1813-1862). Il pense que l’accord entre une orbite elliptique et l’orbite observée peut être amélioré si l’on ajoute au système un corps tournant en 26 ans autour de la moins massive des deux étoiles.

L’histoire de la planète de 70 Ophiuchi connaît ensuite de nombreux rebondissements. Quarante années plus tard, un astronome de Chicago, Thomas J.J. See (1866-1962), reprend les mesures et confirme l’existence d’un satellite de l’étoile la plus faible, mais il annonce une période de 36 ans et une orbite qui diffère de celle de Jacob. L’histoire n’est pas finie ! En 1943, deux autres astronomes, le Hollandais Dirk Reuyl (1906-1972) et le Suédois Erik Holmberg (1908-2000), publient dans l’Astrophysical Journal américain une nouvelle étude de 70 Ophiuchi, basée cette fois sur de nombreuses plaques photographiques qui sont censées donner des résultats plus précis que les observations visuelles de leurs prédécesseurs ; ils concluent à l’existence probable d’un objet d’environ 0,01 masse solaire (donc 10 fois la masse de Jupiter) dont la période de révolution serait de 17 ans, encore différente des périodes annoncées précédemment.

 

Figure 1 : Constellation d’Opiuchius. L’étoile 70 Opiuchus est indiquée par un rond rouge en haut à gauche (IAU and Sky & Telescope magazine – Roger Sinnott & Rick Fienberg, 2011, WikiCommons)

 

Ce résultat va susciter des recherches sur d’autres étoiles : la même année et l’année suivante, l’astronome danois Kaj Strand (1907-2000), qui utilise la lunette de 61 cm de diamètre de l’observatoire Sproul en Pennsylvanie, annonce la découverte de quatre nouveaux objets gravitant autour des étoiles Aquarii,  Draconis, Bootis et 61 Cygni ; il confirmera en 1957 son résultat sur cette dernière étoile. Un astronome hollandais, Peter van de Kamp (1901-1995), qui travaille au même endroit, annonce en 1944 la découverte de deux autres cas semblables, dont l’un avait d’ailleurs été suspecté par son cousin Dirk Reuyl dès 1936. Enfin, van de Kamp s’acharne sur l’étoile de Barnard, qui avait été découverte en 1916 par l’astronome américain Edward E. Barnard (1857-1923) : c’est l’étoile la plus proche de nous après Centauri et sa voisine Proxima Centauri. De 1938 à 1975, pas moins de 4079 photographies du champ de cette étoile sont obtenues. Van de Kamp en déduit la présence de deux planètes gravitant autour de l’étoile, de masse un peu inférieure à celle de Jupiter. Voici qui aurait été du plus haut intérêt si les observations ultérieures n’avaient pas infirmé ce résultat, ce que van de Kamp n’a jamais accepté.

L’activité de recherche des exoplanètes atteint son maximum autour de 1950, mais certains ont à juste titre des doutes sur les résultats obtenus par astrométrie, c’est à dire la mesure des positions des étoiles. De fait, il était pratiquement impossible à l’époque de détecter des exoplanètes par cette méthode : le déplacement périodique de l’étoile induit par la planète (invisible) est trop faible. Il fallait essayer autre chose. Le premier à l’avoir vraiment compris est un astronome américain d’origine russe, Otto Struve (1897-1963). Struve est le quatrième d’une dynastie d’illustres astronomes, qui ont en particulier fondé et dirigé l’observatoire de Poulkovo près de Saint-Pétersbourg ; il a émigré avec les Russes Blancs en 1920 aux États-Unis et n’est jamais retourné en Russie. En 1952, il publie dans un journal anglais plutôt destiné aux astronomes amateurs, The Observatory, l’article qui fait l’objet de cette étude, où il propose deux autres méthodes de détection : la mesure spectroscopique de l’effet Doppler produit par les variations de vitesse radiale (vitesse d’éloignement ou de rapprochement) d’une étoile autour de laquelle gravite une planète, et la diminution du flux d’une étoile devant laquelle passe une planète. Mais il est conscient qu’on ne pourra, à son époque, détecter ainsi que des grosses planètes situées à peu de distance de leur étoile, seules susceptibles de produire un effet détectable. Ces planètes n’existent pas dans le Système solaire : or tout le monde est persuadé que les autres systèmes planétaires sont semblables au nôtre. Mais Struve ne les exclut nullement, et c’est probablement la raison qui fait qu’il n’a pas publié son étude dans un journal « sérieux » comme l’Astrophysical Journal ou l’Astronomical Journal, mais dans un périodique de moindre importance.

 

Figure 2 : Otto Struve (1897-1963), vers 1959 (image National Radio Astronomy Observatory)

 

Dans son article, Struve établit parfaitement les techniques principales qui sont aujourd’hui utilisées pour détecter les planètes extrasolaires. Mais il ne semble pas que ses propositions visionnaires aient eu beaucoup d’écho à son époque. Il semblait aussi que la méthode astrométrique n’avait pas dit son dernier mot. En témoigne une importante étude commandée en 1988 par la NASA à un panel d’astronomes éminents, publiée en 1992 avec le titre TOPS (Toward Other Planetary Systems)1. Ce rapport mentionne bien les trois méthodes de détection possibles – astrométrie, vélocimétrie et occultations – ; cependant il met l’accent sur la première, tout en considérant que les systèmes planétaires n’ont aucune raison de ne pas ressembler au nôtre. Il s’étend également sur la détection directe des planètes par imagerie, qui était strictement impossible à l’époque mais que des techniques en développement (optique adaptative et interférométrie) rendaient envisageable. À part ceci, TOPS avait tout faux en raison de son anthropocentrisme, que Struve avait évité. Son nom n’est même pas cité dans le rapport. D’ailleurs, les choses vont se dérouler d’une façon imprévue, et les recommandations du rapport n’auront guère d’effet.

La technique qui va finalement permettre la détection se met progressivement en place, bien qu’elle ne soit pas destinée aux exoplanètes : à la fin des années 1980, on s’intéresse surtout aux naines brunes, ces étoiles avortées de masse comprise entre 0,01 et 0,08 masses solaires environ. De fait, quelques naines brunes qui gravitent autour d’étoiles normales sont mises en évidence par la méthode des vitesses radiales. L’une d’elles, découverte en 1989 autour de l’étoile de type solaire HD 114762, a une masse égale ou supérieure à 11 fois celle de Jupiter, ce qui est à la limite entre les naines brunes et les planètes (cette limite est assez floue). La méthode se perfectionne non seulement par l’utilisation de spectrographes classiques fixes, alimentés par fibre optique, ce qui améliore leur stabilité, et aussi de deux façons qui n’étaient pas prévues par Struve : par l’interposition dans un spectrographe à haute résolution d’une cuve contenant du fluorure d’hydrogène gazeux, qui donne des raies servant de référence de longueur d’onde superposées au spectre de l’étoile, et par l’utilisation simultanée des très nombreuses raies de l’étoile centrale (ce qui nécessite qu’elle soit suffisamment froide), que l’on corrèle avec celles d’un spectre standard.

Cependant, les premières exoplanètes seront découvertes par hasard en 1992, autour d’une étoile en fin de vie, un pulsar, c’est-à-dire ce qui reste d’une étoile après qu’elle a explosé en supernova. Ce pulsar émet des impulsions extrêmement régulières à la fréquence de sa rotation. Mais la présence d’une planète va moduler cette fréquence par effet Doppler-Fizeau, en raison de la variation qu’elle entraîne de la vitesse radiale du pulsar. Après plusieurs fausses alertes, l’astronome polonais Alexandre Wolszczan (né en 1946), utilisant le radiotélescope d’Arecibo à Porto Rico, annonce en 1992 la découverte de deux exoplanètes autour du pulsar PSR B1257+12. Il s’agit d’un pulsar milliseconde, nommé ainsi en raison de sa période de rotation extrêmement courte : 0,0062 seconde. Les planètes qui l’entourent, d’environ 4 fois la masse de la Terre, orbitent à moins d’une unité astronomique. Une troisième planète plus petite, de masse comparable à celle de la Lune et plus proche de l’étoile, sera découverte un peu plus tard.

Mais on attend toujours la découverte d’une planète autour d’une étoile ordinaire. Elle survient en 1995. Les auteurs en sont Michel Mayor et Didier Queloz, de l’Observatoire de Genève. Depuis un an, ils ont collecté des mesures utilisant un spectromètre à haute résolution, ELODIE, installé sur le télescope de 193 cm de diamètre de l’Observatoire de Haute Provence. L’exoplanète gravite autour d’une étoile de type solaire, 51 Pegasi (à environ 51 années-lumière), et a des caractéristiques très surprenantes : dotée d’une masse d’au moins la moitié de celle de Jupiter, elle tourne autour de son étoile sur une orbite quasi-circulaire avec une période incroyablement courte, de seulement 4 jours… sa distance moyenne à l’étoile n’est donc que de 0,05 unités astronomiques ! La nouvelle fait sensation. Tout d’abord, cette découverte confirme enfin ce qui n’était alors qu’une intuition ou une supposition : le système solaire n’est pas unique dans l’Univers. Mais, de plus, cette exoplanète – une exoplanète géante très proche de son étoile – est très différente des planètes de notre système solaire ! Celui-ci, même s’il n’est pas unique, n’est donc pas un modèle universel et l’on verra rapidement que les « Jupiters chauds », comme 51 Peg b, sont relativement fréquents. Ces planètes se sont formées loin de leur étoile, et ont migré vers l’intérieur en interagissant avec le disque protoplanétaire.

 

Figure 3 : Le système TRAPPIST-1, à 40 années-lumière de nous, est constitué d’une étoile naine très petite et de 7 planètes de masse comparable à celle de la Terre. L’ensemble du système est beaucoup plus petit que l’orbite de Mercure, comme on le voit en bas. L’aspect des exoplanètes est imaginaire, mais leurs dimensions sont réelles. Certaines de ces planètes pourraient être propices à la vie. © T. Encrenaz et al., Les planètes et la vie, EDP Sciences, 2019.

 

Actuellement (septembre 2019), 857 exoplanètes ont été découvertes par vélocimétrie, principalement à partir du sol, et 2955 par occultation partielle de leur étoile, surtout à partir de l’espace, d’abord grâce au satellite français CoRoT, puis au satellite spécialisé américain Kepler. Une centaine ont pu être vues directement à côté de leur étoile. Les essais de détection par astrométrie ont été peu fructueux (un seul cas incertain), mais on attend beaucoup du satellite astrométrique européen GAIA qui, lorsque suffisamment d’observations auront été accumulées, devrait découvrir des milliers d’exoplanètes. Une grande partie des 4100 planètes connues se trouvent dans 667 systèmes comportant plusieurs planètes. Ils sont d’une étonnante variété (un exemple sans doute extrême est montré en figure 3), et aucun ne ressemble au Système solaire !

 

 

 

(septembre 2019)

 

 

  • Lequeux James, Encrenaz Thérèse & Casoli Fabienne, La révolution des exoplanètes, EDP Sciences, 2017.

 

 

  • Lequeux James, Encrenaz Thérèse & Casoli Fabienne, Les planètes et la vie, EDP Sciences, 2019