Jean Bernard Léon Foucault, dont le père était éditeur à Paris, y naît le 18 septembre 1819. Sa famille s'installa à Nantes alors qu'il était très jeune mais, après le décès de son père en 1829, Foucault retourne à Paris où il vit le reste de ses jours, avec sa mère, dans une maison sise à l'angle des rues d'Assas et de Vaugirard
(1). Il fait ses premières années d'études au collège Stanislas à Paris où il rencontre deux futurs physiciens, Lissajous et Fizeau.
Il entame ensuite des études de médecine, sous la direction d'Alfred Donné (1801-1878), professeur libre de microscopie à la Faculté de médecine de Paris et découvreur de la leucémie, qui le prend comme assistant. Foucault invente un microscope daguerréotype qui lui sert pour réaliser des projections sur écran de préparations microscopiques, puis des daguerréotypes qui serviront de base à l’Atlas inséré dans le Cours de microscopie complémentaire des études médicales..., qu'il publia avec le professeur Donné en 1845. Mais Foucault abandonne rapidement ses études de médecine, car il ne supporte pas la vue du sang, et se tourne vers la physique.
Le même professeur Donné rendait compte dans le Journal des Débats des séances de l'Académie des sciences ; il abandonne cette position en 1845 et propose à Foucault de lui succéder.
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Foucault est principalement connu pour son pendule, grâce auquel il démontre en 1851 la rotation quotidienne de la terre. On lui doit aussi de nombreuses autres contributions à la physique telles que l'invention du
gyroscope et la découverte des
courants de Foucault induits dans un métal par un champ magnétique variable. En 1857, Foucault invente le polariseur qui porte son nom et l'année suivante, il conçoit une méthode pour donner aux miroirs des télescopes réfléchissants la forme d'un sphéroïde ou d'un paraboloïde de révolution. La propriété d'un miroir sphéroïde, ou elliptique, est d'avoir deux foyers et de réfléchir à l'un deux tous les rayons partant de l'autre. En ce qui concerne le miroir parabolique
(2), les rayons partant du foyer sont réfléchis parallèlement à l'axe du paraboloïde et réciproquement.
Globalement, on peut classer ses travaux dans plusieurs domaines de la physique :
- - La mécanique, avec le pendule et le gyroscope. - L’électricité et le magnétisme, avec les courants de Foucault. - L’optique, avec ses inventions de polariseur et de télescopie (3), et bien sûr son expérience "cruciale" en matière de vitesse de la lumière dont il sera question dans la présente analyse. - Sans oublier son activité de vulgarisation scientifique, à laquelle il tenait beaucoup, via sa rubrique dans le Journal des Débats notamment.
Foucault est nommé en 1862 membre du Bureau des longitudes. En 1864, il est reçu comme membre étranger à la Royal Society de Londres et, l'année suivante, il entre dans la section de mécanique de l'Académie des sciences de Paris. Il meurt à Paris en 1868, à l’âge de quarante-neuf ans.
La nature de la lumière
La nature exacte de la lumière a été l'objet de diverses hypothèses depuis l'Antiquité, les pythagoriciens soutenant la thèse de l'émission de particules et les aristotéliciens la thèse des ondes. Ce n'est que vers 1925 que la réponse vint des travaux de Bohr et de De Broglie sur la dualité onde-corpuscule : les deux théories s'avéraient justes, au moins en partie.
Dans la théorie de l'émission, développée par Newton, la lumière est composée de particules de masses différentes selon leur couleur. Lorsqu'elles arrivent à la surface d'un milieu, ces particules subissent l'action d'une force réfringente excitée par elles, perpendiculaire à cette surface, proportionnelle à la densité du corps heurté et qui s'exerce à faible distance de celui-ci. Cette force, en déviant la trajectoire des corpuscules cause à la fois la réflexion, la réfraction, la dispersion et la diffraction. Une conséquence est que la vitesse de la lumière, dans la théorie corpusculaire, est plus faible dans le vide ou dans l'air, que dans un milieu plus dense : en effet, l'attraction gravitationnelle sur les corpuscules de lumière, due au milieu plus dense, étant dirigée perpendiculairement à la surface de séparation des deux milieux ne modifiait que la composante normale de la vitesse des corpuscules lumineux en l’augmentant, la composante tangentielle ne changeant pas. L'indice de réfraction est dans cette théorie de l'émission
i = angle d'incidence = angle formé par le rayon incident et la normale r = angle de réfraction = angle formé par le rayon réfracté et la normale,
Figure 1 : Dans la théorie corpusculaire de Newton, la lumière était censée subir une accélération au passage vers un milieu plus dense (dans sa composante normale).
En ce qui concerne la théorie ondulatoire, à la fois Huygens et un autre auteur, Pierre Ango (1640-1694), professeur de mathématiques à Rouen, avaient étudié les expériences du jésuite Ignace Gaston Pardies (1636-1673), décrites dans un manuscrit resté inédit. Ces expériences semblent avoir suggéré à Ango et Huygens leur théorie ondulatoire de la lumière. Ango avait publié en 1682 un ouvrage
(4) qui fut en fait le premier énonçant l’hypothèse de la nature ondulatoire de la lumière, et Huygens possédait dans sa bibliothèque un exemplaire de ce traité
(5). Dans cette théorie, un fluide omniprésent, l’éther, est le support nécessaire au transport de la lumière. L’éther des physiciens du dix-septième siècle, de Newton, Huygens, Hooke, Pardies, Ango, remplit tous les pores de tous les corps matériels ; c'est un milieu élastique capable de propager des vibrations. Il est responsable de la cohésion des matériaux et sa densité est variable d'un corps à un autre. Dans cette théorie, la vitesse de la lumière est plus élevée dans le vide ou dans l'air, que dans les matériaux plus denses. Dans cette théorie, en effet,
Arago propose en 1838 une expérience dite cruciale pour valider l'une ou l'autre théorie
(6). La thèse de Foucault, soutenue en 1853, est la réalisation de l'expérience cruciale proposée par Arago et consistant à mesurer la vitesse de la lumière dans l'air et dans l'eau afin de valider une théorie ou l'autre.
Figure 2 : de gauche à droite : Foucault (1819-1868), Arago (1784-1853), Fizeau (1819-1896). Le premier et le troisième vont se trouver en compétition pour réaliser l’expérience imaginée par le second.
Notons toutefois que l'expérience de Foucault n'est, en fait, pas cruciale. Elle part d’hypothèses qui ne sont pas telles que la confirmation d’une des deux théories implique la négation de l'autre – et que l’infirmation de l'une implique la validité de l'autre. En effet, l'hypothèse d'Arago et de Foucault est que toute la théorie corpusculaire est fausse si la vitesse de la lumière dans le vide est supérieure à la vitesse dans un milieu plus dense : en fait, ce résultat n'invalide que la modélisation de la réfraction dans la théorie corpusculaire.
Rappel de l’historique par Foucault
La thèse de Foucault commence par des Préliminaires historiques, dans lesquels l'auteur rappelle les trois méthodes, utilisées jusqu'alors, pour mesurer la vitesse de la lumière. Son texte procède d’une certaine vulgarisation sur ces expériences – Foucault était aussi un vulgarisateur de la science.
Il évoque d’abord la technique de Römer
(7) qui
consiste, comme on sait, dans l’inégalité apparente des retours successifs des éclipses de satellites qui accompagnent Jupiter.
Il évoque l’expérience de Bradley
(8) sur l'aberration des étoiles :
Les deux vitesses [celle de la lumière et celle de la Terre autour du Soleil] sont comme 10200 est à 1 ; conséquemment, lorsqu’une lunette est dirigée vers une étoile située sur le cercle d’aberration maximum, elle est entraînée dans un sens perpendiculaire à la direction de son axe, par le mouvement de la Terre ; et pendant le temps que la lumière emploie à franchir la distance du centre optique de l’objectif à son foyer, l’oculaire de l’instrument s’avance parallèlement au plan focal, de la dix-millième partie environ de cette distance.
Foucault indique que c'est la proposition d'expérience, formulée par Arago en 1838, qui est à l'origine de son propre travail. Le but d'Arago, comme nous l'avons déjà dit, était d'imaginer une expérience cruciale sur la vitesse de la lumière dans les milieux réfringents comme l’eau, afin de décider si la théorie de l'émission ou celle des ondulations devait, en définitive, être adoptée.
Les expériences plus récentes : Wheatstone et l’électricité, Fizeau et la lumière.
Foucault décrit ensuite la méthode du miroir tournant inventée par Charles Wheatstone. Ce dernier avait imaginé une technique de mesure d'intervalle de temps entre deux événements par conversion de cet intervalle de temps en amplitude d'une déviation angulaire. C'est, peut-on dire, le premier convertisseur temps-amplitude de l'histoire, les convertisseurs temps-amplitude actuels utilisant des techniques électroniques et pouvant mesurer des intervalles de quelques picosecondes
(9).
Wheatstone (1802-1875) et la mesure de la vitesse de propagation du courant électrique
L'expérience de Wheatstone avait pour but de mesurer la vitesse de propagation d'un courant électrique sur un fil conducteur (10). Wheatstone croyait à la théorie électrique des deux fluides. Ces fluides se propageant en sens inverse depuis les deux extrémités d'un circuit électrique devaient (dans cette théorie) atteindre le milieu du circuit après un certain retard dû au temps de propagation (11). Wheatstone avait donc incorporé en série dans un fil trois éclateurs à étincelles et appliqué au circuit la différence de potentiel obtenue sur une bouteille de Leyde. Un éclateur (12) est un élément comportant deux sphères métalliques séparées par un petit intervalle d'air : lorsque la différence de potentiel aux bornes des deux sphères dépasse la tension de claquage de l'air, une étincelle se produit et l'éclateur devient conducteur en émettant un flash lumineux ainsi qu'un bruit sec. Wheatstone examinait la réflexion sur un miroir tournant des trois impulsions lumineuses qui apparaissaient dans les éclateurs lors du passage du courant, aucune déviation des faisceaux lumineux en retour ne devant intervenir si les trois impulsions lumineuses étaient synchrones. A l'inverse, tout décalage temporel de l'émission des signaux lumineux correspondait à une déviation angulaire. La méthode de mesure du décalage temporel des impulsions lumineuses était excellente, mais la modélisation de la transmission du courant électrique était fausse et l'évaluation avec des éclateurs vouée à l'échec. Le courant dans le circuit comportant trois éclateurs en série ne pouvait, par exemple, s'établir que lorsque les trois éclateurs étaient tous conducteurs et les flashs lumineux étaient donc tous synchronisés sur la conduction du dernier éclateur. De plus, le fonctionnement d'un éclateur est lié à l'ionisation initiale du gaz séparant les électrodes, et les trois éclateurs qui étaient en vue directe, s'échangeaient un flux de photons ionisants les uns sur les autres lors de leur déclenchement. Wheatstone obtint donc des résultats non significatifs. Il trouva même une vitesse de propagation du courant électrique supérieure à la vitesse de la lumière dans le vide. Mais son expérience le rendit célèbre.
Foucault ne discute pas, dans sa thèse, la validité de l'expérience de Wheatstone sur le plan électrique, mais souligne avec raison la valeur de la méthode du miroir tournant pour transformer un décalage temporel entre signaux lumineux en un décalage angulaire. Il écrit :
M. Wheatstone a déduit de ce genre d'expériences une valeur de la vitesse de l'électricité qui ne s'accorde pas avec les résultats de mesures plus récentes. Peut-être a-t-il été induit en erreur par des phénomènes accessoires qui compliquent le phénomène principal, mais qui sont indépendants du procédé optique qu'il a mis en usage. Si donc son travail offre encore matière à discussion, il ne semble pas que les objections puissent porter sur la propriété précieuse que possède le miroir tournant de séparer, par le déplacement angulaire de certaines images, les instants très rapprochés qui correspondent aux apparitions de phénomènes instantanés.
Figure 3 :
Le dispositif de rotation d’un miroir mis au point par Bréguet. On reconnaît, au centre de l’image, le petit miroir qui doit tourner à très grande vitesse (500 à 800 tours/s). Louis Bréguet
(13) (1803-1883) était à la fois physicien et mécanicien, et conçut ce dispositif horloger pour ce type d’expérience (ici, il s’agit du dispositif utilisé par Fizeau). Comme l’indique Foucault : « La pièce la plus importante et la plus nouvelle de cet appareil était la machine qui devait communiquer aux miroirs le mouvement de rotation. La construction en fut confiée à M. Bréguet, dont le talent garantissait une réussite complète ». (image Observatoire de Paris, site
www.foucault.science.gouv.fr)
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Foucault décrit aussi la méthode utilisée par Fizeau en 1849 pour mesurer la vitesse de la lumière dans l'air de façon directe et absolue, à l'aide d'un faisceau lumineux traversant Paris et allant de Suresnes à Montmartre, sur une distance de 8630 mètres. L'élément essentiel de l'appareil est une roue dentée tournante qui découpe en impulsions un faisceau continu incident. Une lunette envoie le faisceau haché partant de Suresnes sur une lunette identique placée à Montmartre qui le focalise sur un miroir, puis le faisceau est renvoyé au travers de la lunette vers Suresnes. Cette dernière focalise alors la lumière de l'autre côté de la roue dentée. L'observation du faisceau réfléchi est fonction de la vitesse de rotation de la roue dentée, la lumière étant transmise ou arrêtée par cette roue suivant ladite vitesse et le nombre de dents. Le 23 juillet 1849, Fizeau informa l'Académie des sciences, qu'après une série de 28 mesures, il avait obtenu la valeur de 315300 km/s pour la vitesse de la lumière dans l'air.
Figure 4 : Le dispositif de l’expérience de Fizeau, 1849. Pour reprendre la description qu’en fait Foucault : « M. Fizeau avait placé la lunette à oculaire [à droite de la photo] dans le belvédère d’une maison située à Suresnes, et la lunette à réflexion [au-dessus de la précédente] sur la hauteur de Montmartre, à une distance approximative de 8633 mètres. Le disque [à gauche de la photo], portant sept cent vingt dents, était monté sur un rouage mû par des poids ». (Image Bibliothèque de l’École polytechnique, inventaire général ministère de la Culture)
L’expérience de Foucault
Même si la thèse est soutenue en 1853, l’expérience date en fait du mois d'avril 1850. Fizeau lui-même ne réussira cette expérience que six semaines plus tard, ce qui entraîna un différend prononcé entre les deux hommes.
A partir de la page 15 de son mémoire, Foucault décrit sa propre expérience dont le caractère essentiel, écrit-il, consiste en l'observation de l'image fixe d'une image mobile, afin d’évaluer « le temps qu’emploie la lumière à franchir un intervalle de quelques mètres ». Il écrit (voir figure ci-dessous) :
En effet, soient ab, fig.1, un objet [figure ci-dessous à gauche], et a’b’ son image [à droite, sur le miroir concave M], formée par l’objectif L [sous l’indication fig.1, à droite] et tombant à la surface réfléchissante d’un miroir concave M ; soit c le point de l’espace où l’on placera plus tard le centre de figure d’un miroir tournant [miroir m, sous l’indication fig.1, à gauche] ; si le miroir concave a son centre de courbure au point c, le faisceau réfléchi à sa surface ira repasser en majeur partie par l’objectif pour reformer sur l’objet ab une image droite et de grandeur naturelle.
… quand celui-ci [le miroir m] vient à tourner, l'image se meut dans l'espace sur une circonférence dont le rayon peut prendre telle étendue qu'on voudra. Ainsi s'obtient l'image mobile dont on peut recevoir et distinguer la trace sur un écran. Pour obtenir l'image fixe, il faut placer sur la circonférence décrite par l'image mobile [la circonférence en M, à gauche], la surface réfléchissante d'un miroir sphérique concave tellement orienté, que son centre de courbure vienne coïncider avec le centre de figure du miroir tournant…
Figure 5 : Le dispositif de l’expérience de Foucault, 1851 (figures 1 & 5 de la planche de figures à fin du document de Foucault). Le miroir m tourne dans le sens indiqué par la flèche du schéma.
On peut, en fait, résumer la description du chemin optique du faisceau lumineux comme suit. La lumière du soleil réfléchie par un héliostat arrive sur un diaphragme muni d'un fil vertical (la mire, au-dessus de αζ à droite, et représentée dans la fig.5 de Foucault ci-dessus) ; elle est focalisée par une lentille L sur un miroir tournant m. Une lame à 45° permet d'examiner le faisceau et deux miroirs concaves appartenant à la même sphère ayant son centre en c sont placés à l'extrémité d'un trajet optique dans l'air d'une part, et dans l'eau, d'autre part. Durant un trajet aller-retour entre m et M, le miroir en rotation m tourne d'un certain angle et le déplacement latéral de l'image en a ou a' est proportionnel à cet angle qui est fonction de la vitesse de rotation du miroir et du temps de parcours de la lumière entre m et M :
…faire image en un point a’ sur un élément normal quelconque de la surface du miroir concave M. Réfléchi sur lui-même, ce rayon vient retrouver le miroir plan, mais déjà celui-ci a tourné, et le rayon, en s’y réfléchissant une seconde fois sous une incidence nouvelle, prend une direction nouvelle aussi, qui ne lui permet plus de former image à son point de départ, mais qui l’oblige à donner en a, une image déviée dans le sens du mouvement de rotation…
Le premier résultat important obtenu par le dispositif est donc la mesure d’un temps de parcours lumineux, obtenu par le décalage de l’image-source sur la mire lorsque le miroir tourne suffisamment vite, ce que Foucault résume ainsi :
Aussi, quand le nombre des tours du miroir est inférieur à 30 par seconde, image ne brille-t-elle que par intermittences ; par des vitesses supérieures (…), l’image αζ semble alors permanente (…) Mais quand le miroir tourne suffisamment vite, un autre effet se produit, et on voit apparaître le phénomène important de la déviation. L’image αζ se déplace sous le trait du micromètre oculaire (…) ce déplacement montre que la durée de propagation de la lumière entre les deux miroirs n’est pas nulle, et qu’elle peut être mesurée par la grandeur de la déviation elle-même.
Récapitulons à ce stade : on a une image fixe (l’objet ab) transformée en une multiplicité d’images mobiles (par rotation du miroir m), ces images étant toutes reconstituées en une image fixe à la source d’origine ab (ou à travers la mire αζ pour l’observation) : mais cette image fixe en retour est décalée par rapport à l’image d’origine, ce décalage permettant de mesurer la vitesse de la lumière.
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Une fois son dispositif général en place, Foucault fait intervenir les deux milieux différents, l’air et l’eau :
Tant que les longueurs cM et cM’ sont maintenues égales, tant que les milieux, traversés de part et d'autre, restent identiques, l'accélération du mouvement de rotation, produisant sur les deux images une même déviation, ne saurait les rendre distinctes l'une de l'autre. Mais l'interposition d'un milieu réfringent sur l'une des deux directions cM ou cM', altérant la symétrie parfaite du système, doit, en modifiant la vitesse de la lumière dans l'une des deux voies, produire le dédoublement α'α" de l'image α. C'est, en effet, ce qui arrive lorsque, au devant du miroir M' on place le tuyau rempli d'eau et terminé à ses deux extrémités, par des glaces parallèles.
Figure 6 : Même dispositif que figure 5 ci-dessus, stylisé. Ce schéma correspond à la Fig.3 de la planche de Foucault. On voit là apparaître, en complément de la figure précédente, le trajet dans l’air mM en haut, et le trajet dans l’eau mM’ en bas. Le rayon des miroirs concaves M et M’ est d’environ l = 4 mètres.
La résolution temporelle du montage de Foucault qui convertit en une amplitude de déviation angulaire un intervalle de temps est, à l'évidence, d'autant meilleure que la vitesse de rotation du miroir est élevée. Foucault réussit à réaliser un miroir tournant de 14 millimètres entraîné par une petite turbine à vapeur qu’il décrit en détail, et qui est schématisée sur la planche incluse dans sa thèse. Il indique :
J'ai pensé obtenir vitesse, solidité et régularité en adaptant une petite machine qui utilise l'écoulement des gaz par les orifices étroits..... La petite turbine à vapeur acquiert facilement, par une pression de 1/2 atmosphère, une vitesse de 6 à 800 tours par seconde.
Si nous supposons l'indice de réfraction de l'eau égal à 1,33, la lumière parcourt un mètre d'air en environ 3,3 nanosecondes et un mètre d'eau en 4,4 nanosecondes. A la vitesse de 500 tours par seconde (resp. 2 fois plus), le miroir tourne de 360° en 2 millisecondes ou 2x10
6 nanosecondes. Une nanoseconde d'intervalle temporel correspond donc à une déviation du miroir de 360/(2x10
6) = 1,8x10
-4 degré (resp. 2 fois plus). Avec cette valeur on retrouve, pour les dimensions du montage données par Foucault à la page 25, une déviation d'image observée dans l'oculaire de quelques dixièmes de millimètre
(14), donc parfaitement mesurable :
… on a pour l’image blanche [image dans l’air] une déviation de 0mm,375, et pour l’image verte [image dans l’eau] une déviation de 0mm,469
(15) ; leur différence ne peut évidemment pas échapper à l’observation.
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Foucault ajoute, après un calcul élémentaire, une remarque qui justifie le titre de sa thèse « Sur les vitesses relatives de la lumière dans l'air et dans l'eau » :
Au reste, pour trancher la question qui intéresse à un si haut point la théorie, il n'est pas nécessaire de mesurer la vitesse de la lumière dans l'eau, ni de se préoccuper des moyens d'y parvenir ; il suffit de constater dans quel sens la déviation qui se produit en opérant uniquement dans l'air, se modifie quand on interpose une colonne d'eau assez longue pour produire un effet sensible; mieux vaut encore disposer dans l'appareil deux lignes d'expériences, l'une pour l'air seul, l'autre pour l'air et l'eau, et observer simultanément les deux déviations correspondantes. La comparaison en devient alors tellement facile, qu'il est inutile de procéder à aucune mesure.
Foucault conclut de la manière qui suit, ce qui résume bien l’ensemble de son expérience :
En associant un miroir concave à un miroir tournant, ce dernier peut donner à l'observateur l'image fixe d'une image mobile; image fixe pour une rotation uniforme, mais qui se dévie en raison directe de la vitesse angulaire du miroir et de la durée du double parcours de la lumière entre deux stations très rapprochées; un calcul très simple montre que l'on obtient un signe sensible et mesurable de la durée de propagation du principe lumineux entre deux points distants d'un petit nombre de mètres. Dès lors il devient possible d'interposer aussi bien de l'air ou de l'eau et de juger des vitesses relatives par les déviations correspondantes. Un artifice expérimental permet, en outre, d'obtenir simultanément les deux déviations, de les superposer dans le champ d'un même instrument, et d'en opérer la comparaison directe sans les rapporter à une unité commune, sans qu'il soit besoin de prendre aucune mesure. Que l'on modifie la vitesse du miroir ou la distance des stations ou celle des différentes pièces de l'appareil, les déviations changent de grandeur sans doute; mais toujours celle qui correspond au trajet dans l'eau se montre plus grande que l'autre, toujours la lumière se trouve retardée dans son passage à travers le milieu le plus réfringent. La conclusion dernière de ce travail consiste donc à déclarer le système de l'émission incompatible avec la réalité des faits.
Ajoutons que la théorie exacte de la réfraction de la lumière ne fut établie que dans le cadre de l'électromagnétisme. J.C.Maxwell démontra, en 1868, que la lumière est un rayonnement électromagnétique (16); sept ans après, H.A. Lorentz formula la théorie de la réflexion et de la réfraction de la lumière dans le cadre de cette théorie électromagnétique (17).
L'auteur remercie Alexandre Moatti pour sa participation à la rédaction de ce commentaire.
(1) Les premières expériences du « pendule de Foucault », avant d’avoir lieu au Panthéon, ont lieu dans la cave de cet appartement, où l’amplitude d’oscillation n’est pas assez grande – compte tenu de la hauteur. Mais cette cave permettra néanmoins à Foucault de préparer son expérience en grandeur réelle.
(2) Sur les miroirs paraboliques, on pourra consulter le dossier BibNum consacré aux lentilles à échelons de Fresnel (1822), puisque le miroir parabolique est aussi utilisé dans les phares (
http://www.bibnum.education.fr/physique/optique/memoire-sur-un-nouveau-systeme-d-eclairage-des-phares)
(3) Ce microscope, utilisant les tout récents daguerréotypes inventés en 1836, et conçu par Foucault pendant ses études de médecine, peut aussi être rattaché à ses travaux d’optique(tels que celui commenté ici), confirmant son caractère pionnier dans les dispositifs de représentation lumineuse en médecine ou en physique.
(4) L’Optique... par le P. Pierre Ango, Paris, Michallet, 1682.
(5) Catalogue vente Huygens, Moetjens, La Hague, 1695, page 13.
(6) Sur un système d'expériences à l'aide duquel la théorie de l'émission et celle des ondes seront soumises à des épreuves décisives. CRAS,7, pp.954-965, 1838 ; aussi : Annal. Chim. LXXI, pp.49-65, 1839.
(7) Journal des Savants, 7 décembre 1676, pp. 233-236.
(8) Phil. Trans. London, vol. 35, pp 637-660, 1729.
(9) Cf. J.J. Samueli et al.
Instrumentation électronique en physique nucléaire. Masson, 1968.
(10) C. Wheatstone.
An account of some experiments to measure the velocity of electricity and the duration of electric light. Phil. Trans. vol. 124, pp. 583-591, 1834.
(11) Le modèle dit classique de la conduction électrique dans les métaux ne sera proposé par Paul Drude qu'en 1902 : Les électrons ponctuels mobiles se déplacent dans un réseau de cations (ions positifs) fixes.
(12) Les bougies de moteur à explosion sont des éclateurs simples. Les éclateurs modernes utilisés en électronique (appelés
spark-gaps en anglais) sont encapsulés, contiennent un gaz neutre et une troisième électrode de déclenchement. Une source radioactive alpha est quelquefois incluse pour pré-ioniser le gaz et réduire le retard et la fluctuation temporelle au déclenchement. Ces dispositifs peuvent commuter des milliers d'ampères
(13) C’est le grand-père de l’avionneur Louis Bréguet (1880-1955), fondateur de
Bréguet Aviation.
(14) La déviation est proportionnelle à l distance de parcours dans l’eau et à r distance entre l’objectif et la mire (en effet, si le miroir se décale d’un angle θ, la mire se décale de rθ), comme le confirme la formule approchée de Foucault page 20, où la déviation d de la mire est proportionnelle à
r x l : d = 8πlnr/V. Cette formule donne dans l’air (V = 300 000 000, l =4m, r = 3m, n=500) un décalage de 0,5 mm, et dans l’eau (V= 300 000 000/1,33) un décalage de 0,67 mm : la différence entre les deux est de l’ordre de 1/10
e mm.
(15) Les valeurs données par Foucault sont bien évidemment les bonnes ; par rapport au calcul de la note 14 ci-dessus, elles sont légèrement inférieures, ainsi que le décalage entre les deux valeurs, pour diverses raisons que Foucault détaille : calcul exact du temps de parcours dans l’eau (le rayon qui va dans l’eau est aussi dans l’air sur une partie de son trajet) + non coïncidence précise du miroir tournant et du centre du miroir concave. Mais l’ordre de grandeur donné dans la note 14 ci-dessus est valable.
(16) J. C. Maxwell,
On a method of making a Direct Comparison of Electrostatic with Electromagnetic Force ; with a Note on the Electromagnetic Theory of Light, London Phil.Trans.158,1868.
(17) Over de theorie der terugkaatsing en breking van het licht, (Sur la théorie de la réflexion et de la réfraction de la lumière) Academisch proefschrift, H. A. Lorentz, Arnhem : K. van der Zande, 1875