Nous présentons ici une analyse du livre « Über den Ursprung der von Pallas gefundenen und anderer ihr ähnlichen Eisenmassen und über einige damit in Verbindung stehende Naturerscheinungen » (De l'origine de la masse de fer trouvée par Pallas et d'autres similaires, et sur quelques phénomènes naturels en relation avec elles), publié à Riga en 1794, de Ernst Florens Friedrich Chladni (1756-1827). Ce livre défend notamment la thèse d'une origine extraterrestre des bolides et des météorites, à une époque où la communauté scientifique était réticente à admettre la chute de pierres tombées du ciel – sauf lorsque cette chute pouvait être causée par quelque phénomène terrestre (foudre, volcan, etc.). La démarche était donc alors osée, et il fallut attendre 1803 pour que les chutes de météorites soient démontrées de manière irréfutable, et plus encore pour que l'essentiel des hypothèses de Chladni ne s'imposent, ce dernier étant de nos jours considéré comme l'un des pères fondateurs de la science des météorites (cosmochimie). Après avoir donné quelques éléments biographiques ainsi qu'une idée du contexte scientifique relatif aux météorites, nous procéderons au commentaire stricto sensu de cet ouvrage.
Ernst Florens Friedrich Chladni (1756-1827)
Ernst Florens Friedrich Chladni naquit le 30 novembre 1756 à Wittenberg, en Saxe-Anhalt (dans l'est de l'Allemagne actuelle), au sein d'une famille savante, ayant émigré deux générations auparavant de la Slovaquie pour fuir les persécutions menaçant son arrière-grand-père évangéliste. Son père, Ernst Martin Chladni (1715-1782), un juriste reconnu et doyen de la faculté de droit, destinant son fils unique à une profession similaire, le soumit à un isolement sévère, même pendant sa scolarité dans la Fürstenschule Grimma (une des trois célèbres écoles fondées par le Duc de Saxe au XVIe siècle et occupant des anciens cloîtres) de 1771 à 1774. Quoique Chladni conçût très tôt, de ce fait, un désir d'indépendance et de voyage, et un vif intérêt pour les sciences naturelles, il étudia le droit à l'université de Leipzig et obtint les doctorats en droit et en philosophie en 1782.
Figure 1 : Page de garde du traité Die Akustik de Chladni (1802), avec son portrait (image Université de Strasbourg)
Alors que son destin semblait tout tracé, son père mourut peu après et, malgré la maigreur de l'héritage, il décida alors de renoncer aux avantages que lui aurait conférés une carrière dans le droit, pour se consacrer aux sciences. Il commença par l'acoustique, y voyant un trait d'union entre la science et l'art, et en particulier la musique. Il eut l'idée de couvrir de sable les plaques qu'il faisait sonner, pour visualiser les lieux où les vibrations étaient moindres – concentrant dès lors le sable –, les lignes de noeuds, qui variaient selon la note excitée : ce sont les "figures de Chladni". Les « Entdeckungen über die Theorie des Klanges » (Découvertes sur la théorie du son) furent sa première publication scientifique importante, en 1787, à vingt-neuf ans. Il reconnut que le son devait être compris comme le résultat d'oscillations périodiques dans des corps élastiques.
Chladni, qui donnait quelques cours en mathématiques et sciences naturelles à l'université de Wittenberg, vit son espoir d'y obtenir la deuxième chaire en mathématique déçu car cette dernière ne fut plus pourvue. Il devait donc gagner sa vie par ses études expérimentales, et à partir de 1791, il voyagea dans toute l'Europe pour donner des conférences sur l'acoustique. Celles-ci étaient agrémentées de la démonstration des « figures de Chladni » et de nouveaux instruments qu'il avait construits sur la base de ses découvertes scientifiques, à savoir l'« euphone » et le « clavicylindre ». Il suscita partout l'intérêt, et motiva de nombreux savants de renom à étudier l'acoustique. Ce fut particulièrement le cas à Paris en 1808, où le mathématicien et astronome Laplace et d'autres académiciens obtinrent à Chladni un soutien financier pour prolonger son séjour et faire réviser et traduire son Traité d'acoustique déjà paru à Leipzig en 1802. Napoléon Ier lui-même lui attribua une gratification de 6000 francs.
Les figures acoustiques de Chladni
« Cet homme rend le son visible!». C'est en ces termes que Napoléon résuma ce qui a causé le succès de Chladni. Deux décennies auparavant, dans son laboratoire, Ernst Chladni avait pris un disque de cuivre saupoudré de sable et en avait frotté le bord avec un archet.
Qu'on juge de mon étonnement en voyant ce que personne n'avait encore vu. Il apparut une étoile à 10 ou 12 rayons, qui m'évoqua aussitôt les expériences sur les figures électriques [de Lichtenberg, en 1777].
Lorsqu'on fait vibrer une plaque fixée par endroits, la vibration s'effectue suivant des ondes stationnaires, ondes dont l'amplitude varie selon l'endroit considéré sur la plaque. On distingue ainsi les ventres, où l'oscillation est maximale, des noeuds où elle est nulle. Si l'on saupoudre la plaque de grains de sable (ou autre), les grains sont expulsés des ventres et tendent à se concentrer dans les noeuds. Ces noeuds sont agencés en des lignes dont la configuration (le « mode » excité) dépend de la forme de la plaque, de la façon dont elle est fixée, et de la fréquence de vibration, c'est-à-dire la hauteur du son produit.
Considérons le cas simple d'une plaque rectangulaire de longueur Lx et Ly vibrant à la fréquence f, et dont les bords sont fixes. Alors, le déplacement en hauteur de la plaque vibrante au point de coordonnées (x,y) à l'instant t est :
u = umax sin(mπx/Lx)*sin(nπy/Ly)*cos(2πft)
Avec m et n deux entiers vérifiant, c étant la vitesse du son dans la plaque :
(m/Lx)2 + (n/Ly)2 = (2f/c)2,
Les lignes de noeuds (u = 0) correspondent donc à x multiple entier de Lx/m et y multiple entier de Ly/n, ce qui forme dans ce cas une grille.
Figure 2 : Figures acoustiques de Chladni (planche extraite de son traité).
En 1793, de passage à Göttingen, il fit la connaissance du physicien Georg Christoph Lichtenberg (1742-1799) avec lequel il conversa plusieurs fois sur différents sujets de sciences naturelles. L'une de ces discussions porta sur le problème de la nature des bolides, pour lequel Lichtenberg trouvait n'avoir en l'état aucune solution satisfaisante, évoquant même sans y croire une origine cosmique. Chladni commença immédiatement l'examen de la littérature sur la question, et arriva de manière très rapide à ses conclusions, qu'il publia en 1794 dans le livre que nous nous proposons d'analyser. Quoique ses idées fussent loin d'être acceptées – même par Lichtenberg –, il n'abandonna pas la question, aussi éloignée fût-elle de l'acoustique, d'autant que ses voyages lui permettaient de consulter quantité d'ouvrages – une pluridisciplinarité louée par Goethe qui lui-même s'était essayé à la science (il n'adhérait d'ailleurs pas aux thèses cosmistes de Chladni).
Ce n'est qu'au tournant du siècle que les opinions se renversèrent. Mais il fallut attendre 1819 pour que Chladni publie un second ouvrage sur les météorites : «Über Feuermeteore und über die mit denselben herabgefallenen Massen » (Sur les météores ignés et sur les masses tombées avec eux). Depuis 1816, les météorites étaient aussi incluses dans son programme de conférences.
Peu à peu, son mode de vie nomade commença à lui peser, mais il échoua systématiquement à obtenir un poste, à Berlin, Dresde ou Iéna. Depuis 1813, il possédait une maison à Kemberg, près de Wittenberg, qui fut brûlée à la fin des guerres napoléoniennes. Il avait cependant sauvé sa collection de météorites, qu'il devait léguer au musée de minéralogie de l'université de Berlin (aujourd'hui Humboldt Universität), et ses portraits de musiciens. Il mourut le 3 avril 1827 à Breslau frappé d'apoplexie, après avoir exprimé la veille le souhait de quitter ce monde rapidement, sans signe avant-coureur. Il avait toujours vécu célibataire.
Les météorites face à la science au XVIIIe siècle
Quoique les récits de chutes de pierre fussent connus de toute antiquité, le plus grand scepticisme régnait à leur égard au siècle des Lumières. Certains objets auxquels les superstitions populaires attribuaient une origine céleste ne s'étaient-il pas avérés être des fossiles ou des outils préhistoriques ? Que penser alors des autres « pierres de tonnerre », dont la roche triangulaire conservée dans une église à Ensisheim (Alsace) prétendument tombée du ciel en 1492 ?
Figure 3 : La chute d'une météorite en 1492 à Ensisheim (dessin figurant sur la lettre de Sebastian Brandt, professeur à Bâle, relatant le phénomène).
On se souvenait de l'apologue de la dent d'or de Fontenelle (1657-1757), racontant que la rumeur suivant laquelle il était venu une dent en or à un enfant de Silésie en 1593 avait conduit pas moins de quatre savants à rédiger des livres pour l'expliquer, avant que l'on ne s'avisât qu'il s'agissait d'une feuille d'or appliquée contre ladite dent. À une époque qui voyait triompher les sciences exactes – Lavoisier inaugurait l'ère du quantitatif pour la chimie, par exemple – ajouter foi à de pareils récits exposait au risque du ridicule. Il n'était pour autant pas question de se fermer aux faits, tout du moins tant qu'une explication "rationnelle" semblait possible. L'abbé Stütz recueillit ainsi les témoignages et les échantillons concernant les chutes de la météorite métallique d'Agram (ou Hraschina) en Croatie en 1751 et de la météorite pierreuse d'Eichstädt, en Allemagne, en 1785, et avait conclu que la foudre avait provoqué la formation de métal – présent en grains disséminés dans la seconde – en frappant des roches ordinaires, théorie qui parut d'ailleurs de moins en moins acceptable dans les décennies suivantes à mesure que les connaissances relative à l'électricité s'accumulaient. À la fin des années 1760, trois pierres réputées être tombées du ciel à Coutances (Manche), Lucé (Orne) et Aire-sur-la-Lys (Pas-de-Calais), respectivement en 1750, 1768, 1769, furent portées à l'Académie des sciences : ses membres Fougeroux de Bondaroy, Cadet de Gassicourt, et Lavoisier lui-même procédèrent à l'analyse chimique. Les trois pierres furent trouvées très similaires, celle de Lucé comportant spécifiquement, sur cent grains, « huit grains et demi de souphre, trente-six de fer et cinquante-cinq et demi de terre vitrifiable », mais les académiciens n'y virent qu'un « grais pyriteux » enfoui dans le sol et que la foudre aurait simplement mis en évidence. Contrairement à une croyance répandue, il n'y eut pas de résolution formelle de l'Académie infirmant la réalité des chutes de pierres, mais appel à des études ultérieures sur le phénomène. On se refusait toutefois à faire le lien entre ces pierres et l'observation de bolides (boules de feu), dont l'existence n'était pas douteuse, même si elle n'avait aucune explication satisfaisante. On peut très bien croire aux arcs-en-ciel, sans croire qu'à leur pied se trouve une marmite pleine d'or ! Mais les choses devaient changer dans les années 1790. En 1791, une pluie de pierres se produisit à Barbotan (Gers), et fut attestée dans un document notarié par le maire et 300 citoyens de la commune. Cela n'empêcha alors pas les savants de rester sceptiques, Bertholon se lamentant d'une « attestation authentique d'un fait évidemment faux, d'un phénomène physiquement impossible ». En 1794, une averse météoritique à Sienne, en Italie, donna lieu à encore davantage de témoignages, rendant plus difficile la négation du fait, mais la relative proximité du Vésuve fit penser à une éjection par ce volcan de roches ou de poussière ensuite coagulée.
Figure 4 : Stèle commémorative de la météorite de Wold Cottage (Yorkshire, Grande-Bretagne). Une chondrite de 25 kg est tombée dans ce champ le 13 décembre 1795.
L'explication volcanique était cependant peu soutenable concernant une chute qui se produisit l'année suivante, à Wold Cottage en Angleterre, par un temps serein, qui plus est, sauf à invoquer le volcan islandais de l'Hekla. Le chimiste Edward Howard apporta une contribution décisive en 1802 en analysant ces pierres, mettant en évidence le nickel dans leurs grains métalliques – métal qui avait déjà été découvert dans les masses supposées aussi tombées du ciel. Ceci suggérait une communauté d'origine entre toutes ces roches et une différence par rapport aux roches terrestres. C'est alors l'heure de nombreuses conversions chez les anciens sceptiques. En 1803, trois mille pierres s'abattirent à L'Aigle dans l'Orne, consécutivement à l'observation d'un météore, et Jean-Baptiste Biot (1774-1862) put en démontrer irréfutablement la réalité, notant de plus la ressemblance de ces pierres avec celles de Barbotan, par exemple, leur dissimilarité avec les roches locales ou les produits de la métallurgie, et l'absence de volcan dans la région.
Analyse du livre de Chladni
L'objectif de Chladni, comme il l'énonce à la section liminaire, est de montrer l'identité d'origine entre quatre phénomènes naturels : les
bolides (ou "boules de feu", ou "dragons volants"), les
étoiles filantes, les pierres tombées du ciel (météorites), et certaines masses de métal natif – des occurrences particulièrement rares à la surface de la Terre, hors produits de métallurgie humaine, où le fer est généralement sous forme oxydée – dont celle de Pallas : cette dernière, à laquelle le titre-même du livre attribue une place toute particulière, est une masse de 700 kg transportée par le naturaliste allemand Pierre Simon de Pallas des environs de Krasnoïarsk en 1749, et que les Tartares prétendaient provenir du ciel. Elle était composée d'un alliage de fer-nickel avec de nombreuses inclusions d'un minéral translucide, vert à jaune, appelé olivine. C'était, comme on le sait maintenant, une authentique météorite, classée parmi les pallasites (précisément en l'honneur de l'explorateur), supposée provenir de l'interface entre le noyau métallique et le manteau silicaté d'un astéroïde
(1). L'attention particulière que lui accorde Chladni est peut-être due au fait que c'était la seule de laquelle il avait vu des échantillons – certains historiens des sciences allèrent même jusqu'à douter qu'il vît vraiment la masse principale à Saint-Petersbourg – au moment de la rédaction de son ouvrage, qui est en effet essentiellement basé sur des travaux bibliographiques. Un autre facteur important est que le fer de Pallas était déjà un objet d'investigation respectable et connu, dont l'origine était cependant loin de faire consensus.
Figure 5 : dessin d'un échantillon du fer de Pallas (pallasite de Krasnoïarsk) par Carl von Schreibers dans ses Beyträge zur Geschichte und Kenntnis meteorischer Stein- und Metallmassen (Contributions à l’histoire et la science des masses météoriques pierreuses et métalliques), 1820.
Chladni commence cependant par traiter des bolides, qui en eux-mêmes, nous l'avons dit, étaient des phénomènes naturels incontestables :
D'après la prescription très juste de Blagdens (in Phil. transact. Vol. LXXIV, p. I. n. XVIII.), la question des bolides requiert de prêter attention à leur trajectoire, leur forme, leur brillance et leurs couleurs, leur altitude, leur explosion et le bruit qui l'accompagne, leur taille, leur durée et leur vitesse […]
propriétés qu'il étudie successivement en détail. On relève, pour l'altitude et les vitesses, des estimations assez excessives imputables aux incertitudes inhérentes à l'observation d'un phénomène imprévisible. Chladni consacre une section ultérieure à énumérer différentes observations de météores, références explicites à l'appui.
Il donne ensuite des « Raisons contre quelques explications précédentes », qui assimilaient les bolides à des phénomènes analogues aux aurores boréales (alors considérées comme étant liées à la lumière zodiacale), ou bien à des décharges électriques, ou à la combustion de « substances visqueuses ou huileuses » se concentrant dans la haute atmosphère, ou encore à un tronçon d'« air combustible». Pour chacune de ces hypothèses, il s'ingénie à donner une série de contre-arguments, celle concernant l'hypothèse d'une analogie avec la foudre étant la plus fournie.
(...) Un éclair ou étincelle électrique ne peut se produire que lorsque le fluide électrique amassé dans un corps conducteur va dans un autre qui en contient moins ; il n'y a cependant, à une altitude de 19 milles allemands et plus [1 mille allemand = 7,42 km] qu'on a observé des bolides, aucune vapeur ou autre matière conductrice (...) Il ne pourrait dès lors s'agir non pas d'électricité liée à un corps conducteur mais d'électricité libre. Cela posé, on ne pourrait comprendre comment du fluide électrique libre peut s'agréger en une masse avec des contours aussi nets et d'une lumière aussi aveuglante, et préserver son cloisonnement malgré la grande vitesse, alors que l'on devrait s'attendre à ce qu'elle se disperse d'autant plus et former des météores semblables aux aurores boréales, comme on le remarque lors des expériences électriques dans un air très raréfié (...)
[Les Anciens] mentionnent des tels éclairs [sans nuage], par exemple Hom. Odyss. XX. 113 114. et Virg. Georg. I. 487. Mais les témoignages des anciens écrivains ne méritent ici, ou partout ailleurs en physique, aucun crédit, car ils ne laissent pas de considérer comme vraies tant de choses fabuleuses sans examen. (...)
[Le mouvement des bolides], toujours oblique et descendant, plutôt parabolique que rectiligne, trahit l'action évidente de la pesanteur (...) [On a souvent vu] des flammes, de la fumée et des étincelles partir parfois d'ouvertures, ce qui ne s'accorde pas avec des phénomènes uniquement électriques. L'explosion avec un bruit violent ne devrait pas avoir lieu lors du passage d'une électricité libre d'une région de l'atmosphère vers une autre car l'électricité libre ne laisse pas de se mouvoir sans bruit perceptible (...)
Les arguments présentés ci-avant sont également employés contre les autres hypothèses : la raréfaction de l'air en altitude est également incompatible avec l'idée d'une combustion, et toutes les hypothèses mentionnées tendraient à faire des météores d'aspects diffus, inconciliables avec le fait que les bolides semblent des corps bien délimités et pesants, – alors qu'on y décèle l'action de la pesanteur. La charge contre les récits des Anciens est un lieu commun depuis le XVIIe siècle, quand les sciences se sont émancipées d'un respect inconditionnel de l'Antiquité, mais remarquons l'esprit critique dont fait preuve Chladni, qui est conscient des accusations de crédulité qu'il ne manquera pas de subir. Il est piquant de constater que Jean-Baptiste Biot verra dans la confirmation de la réalité des chutes de météorites une revanche de ces mêmes Anciens, car nombre de récits de chute de météorites remontaient à l'Antiquité
(2)
En clôture de cette section, Chladni observe :
Au vu de la diversité des explications, il est remarquable que maints naturalistes expliquent volontiers les phénomènes naturels par ceux sur lesquels ils ont beaucoup travaillé.
Ainsi par exemple de Vassili et Beccaria, tenants d'une analogie avec la foudre, qui ont étudié l'électricité, ou de Lavoisier – encore lui – qui favorisait la combustion de l'air, et qui a en effet consacré maintes études aux gaz, etc. Chladni n'omet pas les astronomes Halley, Hevel et Maskelyne qui supposent une origine cosmique des bolides, hypothèse qu'il mentionne à la suite des autres, sans se cacher d'une certaine proximité avec elle.
En quelque sorte, par cette remarque sur les biais des scientifiques spécialisés dans des disciplines trop cloisonnées, l'on prend conscience que les météorites ne peuvent être comprises que par une approche interdisciplinaire, ce qui est toujours le cas aujourd'hui, l'interaction entre les cosmochimistes qui analysent les météorites et les astrophysiciens théoriciens qui modélisent le système solaire primitif étant fondamentale.
Chladni donne alors ses propres conclusions, leur conférant « une vraisemblance proche de la certitude », résumées par le titre de la section :
Les bolides se composent de substances denses et lourdes et ne sont pas des corps telluriques mais cosmiques,
cette dernière assertion prenant acte qu'aucune force terrestre connue n'est capable de donner à un tel corps un mouvement aussi rapide presque parallèle à l'horizon.
Il poursuit :
De même que les parties terreuses, métalliques et autres forment la substance de notre planète, dont le fer est un des constituants majeurs, et de même aussi que les autres corps célestes se composent de substances semblables, voire des mêmes, quand bien même elles seraient modifiées et mélangées de manières très différentes, de même il doit exister dans l'espace de nombreuses matières grossières assemblées en moindre masses, sans lien immédiat avec de plus gros corps célestes, qui, entraînées par l'attraction ou quelque force motrice, se déplacent jusqu'à passer près de la Terre ou un autre corps céleste et y tomber capturées par leur gravité. À cause de leur mouvement extrêmement rapide, accéléré encore par l'attraction terrestre, de très fortes chaleur et électricité doivent être générées par le frottement intense dans l'atmosphère, de sorte qu'elles parviennent à un état de combustion et de fusion, et que quantité de vapeurs et de gaz s'y développent et dilatent la masse fondue dans des proportions considérables, jusqu'à ce que finalement, lors d'une émission encore plus forte de ces fluides élastiques, elle doive exploser.
Pour la première fois dans le livre, Chladni soutient explicitement l'existence de petits corps dans le système solaire. Mieux encore, comme il le soulignera encore plus tard, il voit l'unité de la matière qui compose les cieux et la Terre, en particulier sur la base de l'importance du fer dans les deux cas
(4). Cette conception de myriades de petits corps est une idée à laquelle les savants de l'époque, peut-être encore attachés à une certaine conception de l'ordre aristotélicien du monde supralunaire, sont pour le moins réticents. Newton lui-même n'avait-il pas écrit, en 1704
(3):
(...) Pour faire place au mouvement régulier et durable des planètes et des comètes, il est nécessaire de vider les cieux de toute matière, à l'exception peut-être de quelques vapeurs, exhalaisons ou effluves très dilués émanant des atmosphères de la Terre, des planètes, et des comètes, et d'un milieu éthéré extrêmement raréfié (...)
Mais l'alternative était alors le Plein de Descartes, qui supposait la non-existence du vide et considérait par exemple la gravité comme le résultat d'un tourbillon d'éther autour du centre attracteur. En 1794, en l'absence de preuve astronomique de l'existence de tels petits corps, on avait beau jeu de critiquer une certaine licence de Chladni dans l'échafaudage de son système. Mais ce dernier réplique plus loin déjà, par avance, qu'il est au final aussi arbitraire de supposer l'inexistence de ces petits corps que leur existence, et que seule la nouveauté de la théorie la rend incroyable en apparence. Ce n'est qu'à partir de 1801 que les astéroïdes – de petits objets ne s'étant jamais agglomérés en planètes – circulant entre Mars et Jupiter furent découverts, prouvant ainsi que le système solaire ne se réduisait pas aux planètes et aux comètes.
Chladni a raison de penser que la grande vitesse d'entrée dans l'atmosphère est responsable de l'incandescence des bolides. Pour être scientifiquement exact, il faudrait parler moins d'un frottement direct de l'air que d'un échauffement via l'air comprimé (et donc échauffé) par l'onde de choc générée par le bolide. Mais il se trompe en pensant que les météorites fondent entièrement pendant le trajet atmosphérique. Le météore est en effet essentiellement une aura ionisée autour de l'objet incident qui n'est alors pas visible, dont la taille est ainsi systématiquement surestimée – de même que, longtemps, l'on ne comprit pas que la partie solide des comètes se limite à un noyau de quelques kilomètres de diamètre. En ce sens, malgré des contours apparemment nets, les bolides étaient bien des météores «diffus ». La fusion est en fait superficielle, et c'est graduellement que du matériel est enlevé par couches successives du météoroïde, par vaporisation : c'est l'ablation, dont on trouve la marque au sol sous la forme d'une fine croûte de fusion opaque sur les météorites. Comme le constate Carl von Schreibers
(5) dans son complément au deuxième livre de Chladni, la structure de certaines météorites, notamment pierreuses, contredisait l'idée d'une fusion totale. Qui plus est, l'ablation s'arrête généralement lorsque la météorite a été suffisamment ralentie par les couches d'air, et atteint le régime de chute libre. L'extinction des bolides sans explosion, qui se produit parfois, aurait été incompréhensible pour Chladni.
Chladni incorpore ensuite les étoiles filantes à sa théorie :
Selon toutes considérations, les étoiles filantes ne diffèrent des bolides que par le fait que la vitesse particulièrement élevée de ces masses les fait passer au voisinage de la Terre à une plus grande distance, de sorte qu'elles ne sont pas attirées par elle au point de s'y précipiter et n'occasionnent ainsi lors de leur traversée dans les régions supérieures de l'atmosphère soit un phénomène électrique éphémère, soit une combustion pour quelques instants, combustion qui prend fin aussitôt qu'elles sont si loin de la Terre que l'air est trop raréfié pour entretenir le feu.
Mais ceci est également inexact : les étoiles filantes reflètent en fait l'entrée sans retour dans l'atmosphère de grains de poussière – infiniment plus nombreux que les météoroïdes de plus grande taille –, qui se consument donc plus rapidement, sans bruit notable. Mais Chladni n'exclut pas que des météores semblables aux étoiles filantes puissent avoir des origines différentes – peut-être même en accord avec les hypothèses qu'il a réfutées pour les bolides. De même qu'il ajoute foi aux chutes de pierres consécutives aux bolides, il n'est pas a priori hostile aux relations de trouvailles de masses spongieuses ou visqueuses postérieurement à l'observation d'étoiles filantes – de nous jours un scientifique le serait. De manière générale, les étoiles filantes, dont il appelle de ses voeux des mesures de parallaxe, semblaient la partie la plus fragile de sa théorie ; il crut même en 1800 devoir renoncer à les y inclure sur la base de résultats de Benzenberg et Brandes qui avaient calculé des trajectoires ascendantes pour certaines étoiles filantes, avant de supposer que les étoiles filantes pouvaient être réfléchies par l'atmosphère et renvoyées dans l'espace.
Chladni énumère ensuite des exemples de pierres trouvées après l'observation d'un bolide et de masses de fer natif dont celle de Pallas à laquelle, nous l'avons dit au début, il accorde une attention toute particulière, une autre trouvée en Argentine (Campo del Cielo), et une autre à Aix-la-Chapelle (qui elle n'était pas météoritique). Notez que pour ce qui est des masses métalliques, seule la chute de celle d'Agram avait été observée. Ainsi donc, à côté des chutes, c'est-à-dire, les météorites dont la traversée atmosphérique a été observée et qui ont été ramassées ensuite, Chladni introduit les trouvailles, des roches trouvées sans observation de météore, mais dont on suspecte (ou sait de nos jours) la nature météoritique. De nos jours, les trouvailles constituent la majorité des météorites dans les collections. Il réfute ensuite quelques hypothèses concernant ces dernières. Il considère que la fusion est prouvée par
(6)
la surface en-dessous plus convexe et au-dessus plus plate ou écrasée, la ride externe dure et parsemée d'empreintes sphériques, à côté de la texture interne spongieuse et écailleuse,
qui excluent une origine par voie humide : Pallas lui-même avait suggéré cette origine, qui supposait que la veine où la pallasite se serait formée aurait été érodée par la suite, en constatant qu'à cent pieds de son emplacement se trouvait un affleurement de minerai de fer. Mais Chladni – sans contester que pareille formation soit possible, par exemple pour le fer de Steinbach, qu'on sait pourtant aujourd'hui être une vraie météorite – indique que la masse métallique a été trouvée en surface et plus haut que ledit affleurement, et qu'il n'y avait aucun pour les deux autres masses qu'il trouve très similaires – c'est assez souvent qu'il s'appuie sur cette identité supposée d'origine de ces masses (fausse donc, en toute rigueur, à cause de la masse d'Aix-la-Chapelle) pour esquiver les contre-arguments se présentant pour l'une d'elles.
Figure 6 : Plaque de sidérite (météorite ferreuse). La plaque révèle un système de bande entrecroisées, les figures de Widmanstätten, qui correspondent à deux minéraux différents constitutifs de l'alliage fer-nickel, la kamacite et la taénite, qui se sont séparés lors du lent refroidissement du noyau de l'astéroïde-parent (sur des centaines de millions d'années), de même que l'huile et le vinaigre se démixent lorsqu'on les verse ensemble dans un verre.
Chladni exclut ensuite une origine artificielle, arguant de l'abîme qui sépare les capacités métallurgiques des anciens habitants de la région, dont nul vestige ferreux n'était même connu, des 1600 livres de la masse de Krasnoïarsk à fondre, alors même que les expériences de Meyer (1777) n'avaient abouti qu'à une fusion très localisée lors des chauffages les plus intenses.
(...) Les anciens mineurs en Sibérie, dont on trouve des traces des travaux, semblent n'avoir absolument pas travaillé avec du fer. (...) Quand bien même on trouverait des scories ferreuses, leurs foyers étaient si insuffisants qu'ils n'auraient jamais pu fondre une masse de quelques livres, sans même parler de plus de 40 livres, ce qui aurait déjà nécessité un four d'une hauteur considérable. Et même si cela était possible, aucune raison ne justifierait qu'une telle masse aussi inadaptée au travail de forge à cause de la pierre mêlée et d'un poids aussi élevé ait été transportée d'une montagne où on l'aurait fondu à une autre aussi raide dont le voisinage est exempt de traces de travail ou de fusion. (...) Si la masse sibérienne avait été fondue artificiellement, le matériau pierreux mêlé ne serait pas distribué de manière aussi homogène ni aussi translucide, puisque les scories des feux métallurgiques sont le plus souvent noires et opaques (...) Le fer de la masse sibérienne ainsi que le matériau pierreux résistent tant à la fusion sans autre additif, que d'après l'expérience de Meyer (dans le troisième volume de la Société Berlinoise des Amis étudiant la Nature, page 385), il ne fondait lors du chauffage le plus intense que la partie immédiatement adjacente au creuset (...) Un fait important est la malléabilité du fer. Toute fonte est notoirement fragile et n'acquiert sa malléabilité qu'après avoir été travaillée au marteau, après quoi elle devient aussi infusible que le fer de Pallas. Ce dernier est cependant un fer très malléable et fragile au rouge. (...)
Circonstances qui suggèrent une fusion dans des conditions extrêmes que, anticipe-t-il, seule sa théorie est capable de fournir. Il ne considère pas non plus plausible une origine volcanique, puisque :
(...) l'infusibilité du fer et de la pierre devrait être encore plus insurmontable par le feu volcanique que par le plus fort feu artificiel (...) on ne rencontre aucun volcan aux lieux où elles ont été trouvées, au moins sur une distance sur laquelle des masses aussi grosses et lourdes auraient pu être lancées. On ne trouve dans les volcans aucun produit analogue. Il devrait se trouver, là où des masses aussi grandes auraient été envoyées par des volcans, beaucoup de plus petites masses similaires à proximité, ce qui n'est pas le cas.
Dernier argument qu'il oppose aussi à l'idée d'un feu de forêt. En ce sens, il a eu de la chance qu'on ne connaissait alors à chaque fois qu'une masse, car la quasi-totalité des météorites explosent pendant leur chute de sorte qu'une pluie de météorites s'abat ensuite, et en effet, pour Campo del Cielo, d'autres ont été trouvées par la suite.
Il s'attaque enfin à l'hypothèse d'un impact de foudre, qu'il reconnaît être la moins invraisemblable des idées antérieures. Il évoque notamment que tous les points d'impact de foudre examinés ne recèlent que des parties terreuses et autres scoriacées (les roches créées par les impacts de foudre sont appelées fulgurites et consistent généralement en des tubes siliceux d'une longueur de l'ordre du décimètre), et que nul orage n'a été relevé lors de la chute du fer d'Agram, certains témoignages parlant explicitement d'un temps serein. D'ailleurs, observe Chladni, s'il y avait eu des nuages,
les gens qui ne sont pas instruit des sciences naturelles comme l'était la plupart, voyant ces phénomènes, auraient plutôt dit que [la pierre] serait tombée des nuages,
or ils parlent tous d'une pierre tombée du ciel. Notre enquêteur conclut donc à l'identité entre les bolides et les masses de fer natif.
Dans l'avant-dernière section, Chladni hasarde quelques pensées sur la formation-même des masses dont il traite – donc dans l'espace –, question qui pour lui ne se distingue pas de celle de la formation des autres corps célestes, et pour laquelle il concède n'avoir pas d'opinion bien fondée ou déterminée. Il préfère cependant penser que ces corps célestes se sont formés à un moment, plutôt qu'ils aient existé de toute éternité. Il écrit :
La succession de destruction et de création n'est pas propre aux êtres organiques ou anorganiques sur notre Terre, ce qui suggère que la Nature, pour laquelle d'ailleurs grandeur et petitesse sont relatives, pourrait opérer semblables choses en grand : on a observé maints changements dans des corps célestes éloignés, qui rendent cette dernière opinion vraisemblable dans une certaine mesure, comme l'apparition et la disparition complète de quelques étoiles, quand il ne s'agit pas de quelques variations périodiques. Si l'on admet dès lors que les corps célestes se sont formés, une telle formation ne se concevrait pas autrement qu'en envisageant que soit des parties matérielles, qui d'abord était distribués dans un état plus lâche et plus chaotique dans un espace plus grand, se sont agrégés par la gravité en de grandes masses ou soit que les corps célestes se sont constitués à partir des parties d'une très grande masse fragmentée, dont la fragmentation procéderait peut-être de quelque choc de l'extérieur ou d'une explosion de l'intérieur.
C'est la fin du mythe aristotélicien de l'incorruptibilité du monde supralunaire, dont prend acte Chladni, qui n'est pas original en cela. Dès le XVIe siècle, Tycho Brahe avait observé que les comètes se trouvaient au-delà de l'orbite lunaire : il avait ainsi porté le coup de grâce à ce mythe. Brahe avait aussi observé une supernova (explosion d'étoile, qui augmente temporairement sa luminosité), phénomène auquel Chladni fait sans doute allusion, entre autres, avec ses apparitions et disparitions d'étoiles. Mais surtout, Chladni pressent ce qu'on appelle aujourd'hui l'
accrétion, c'est-à-dire le processus par lequel les solides d'abord sous forme de poussière se sont coagulés au début de l'histoire du système solaire pour former des planètes et des astéroïdes ; il voit la gravité y jouer un rôle important, ce qui a été vrai à la fin du processus (les premières étapes de la coagulation étant dominées par des forces de surface). Il envisage aussi la possibilité de destruction de corps célestes : longtemps, les astéroïdes de la Ceinture principale, entre Mars et Jupiter, seront interprétés comme les fragments d'une planète qui aurait explosé – mais il semble aujourd'hui qu'une telle planète n'a jamais pu être formée. Il envisage aussi le réassemblage, qui a en effet concerné de nombreux corps parents de météorites. En un mot, il pressent le rôle des impacts dans le système solaire
(7). Dans une note de bas de page, il considère les nébuleuses planétaires comme de vrais disques non résolubles en étoiles, réservoirs de matière pour la formation de corps célestes : ceci est inexact pour ce que l'on continue à appeler "nébuleuses planétaires" (issues de la mort d'une géante rouge, étoile de masse moyenne en fin de vie), mais le système solaire primitif était bien une nébuleuse, comme Kant et Laplace l'avaient déjà suggéré.
Le livre se conclut sur diverses propositions d'études, qu'il s'agisse d'élargir les collections de météorites, les connaissances expérimentales, les observations d'étoiles filantes, d'impact de foudre – même si sa théorie exclut ce phénomène pour produire du métal – et de bolides. A ce sujet, Chladni trouve souhaitable
qu'à l'occasion de rumeurs relatives à un phénomène naturel extraordinaire, l'on envoie des plénipotentiaires pour examiner la chose au lieu-même, qu'on l'on entende individuellement plusieurs témoins et qu'on écrive tout dans un style simple, portant le sceau de la sincérité, sans y mêler son jugement, qu'on rédige un rapport et qu'on l'envoie avec une des masses trouvées au Cabinet Impérial d'Histoire Naturelle.
On ne peut s'empêcher d'y voir l'annonce du rapport de Biot en 1803, qui se posera comme « un témoin étranger à tout système », et ne cherchera pas là l'explication physique du phénomène.
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Ajoutons que si, en 1803, les derniers doutes concernant la connexion des bolides aux « pierres météoriques » étaient dissipés, la théorie de l'origine cosmique de Chladni était loin de faire consensus. Il se trouvait encore des savants comme Izarn, auteur d'une Lithologie atmosphérique en 1803, pour soutenir une origine par condensation d'exhalaisons dans l'atmosphère. Une théorie plus populaire, évoquée sans conviction par Olbers et Laplace – et adoptée par Lichtenberg dès 1797 par exemple – faisait provenir les météorites des cratères lunaires, alors considérés comme des volcans et reconnus aujourd'hui comme le résultat d'impacts météoritiques. Chladni lui-même se déclara « lunariste » en 1805. Mais on s'aperçut de la trop grande quantité d'éruptions nécessaire pour rendre compte des chutes observées (on connaît aujourd'hui quelques météorites lunaires, éjectées lors de collisions, mais ce ne sont qu'une infime fraction des collections). Dans son deuxième livre, en 1819, Chladni était de nouveau plus que jamais « cosmiste ». Au milieu du XIXe siècle, cette hypothèse était seule en lice, mais il fallut attendre encore un siècle pour 1) écarter une origine hors du système solaire, 2) comprendre que les astéroïdes dont dérivaient les météorites n'avaient jamais fait partie d'une planète plus grosse. On pourrait certes imaginer que sans Chladni, la science des météorites aurait vu le jour avec les chutes qui ont émaillé les années 1790 et 1800. Chladni ne fut pas même le premier à suggérer une origine cosmique des météorites, pareilles hypothèses remontant à l'Antiquité avec Plutarque ou Diogène d'Appolonia, entre autres. Mais ce fut bien lui qui établit le premier avec rigueur les faits fondamentaux sur lesquels repose la science des météorites : nul doute qu'avec sa prescience, et même avec ses erreurs, il en inspira les premiers développements.
Novembre 2009
(1) Certains astéroïdes ont en effet fondu au début de l'histoire du système solaire, de sorte que tout le métal se décanta au centre pour constituer le noyau tandis que les matériaux pierreux surnagèrent et formèrent un manteau et une croûte, processus que l'on appelle de nos jours différenciation.
(2) Biot écrit dans son rapport de 1803 (voir texte BibNum à http://www.bibnum.education.fr/sciencesdelaterre/geologie/relation-d-un-voyage-fait-dans-le-departement-de-l-orne ) : « On consultait les écrits des anciens, dont l’autorité a été trop souvent suspectée, et que l’on reconnaît de plus en plus pour des témoins fidèles, à mesure que l’occasion se présente de vérifier leurs observations ».
(3) Notons que la densité moyenne de la Terre calculée d'après l'intensité de la pesanteur, valant 5,5 gramme par centimètre cube, était supérieure à la densité typique des roches de la surface, et, de concert avec les manifestations du champ magnétique terrestre, laissait déjà soupçonner que la Terre interne devait receler une concentration de métal : en effet, la sismologie nous enseigne aujourd'hui que notre planète possède un noyau métallique de 6800 km de diamètre, à comparer au diamètre de 12756 km de la Terre.
(4) Opticks: Or a treatise of the reflexions, refractions and inflexions and colours of light.
(5) Carl von Schreibers, 1775-1852, directeur du Cabinet d'Histoire Naturelle de Vienne.
(6) Chladni croit d'ailleurs l'olivine vitrifiée, alors qu'elle est en réalité cristallisée, mais les bords des grains d'olivine ne sont pas ici selon des plans cristallins ; la cristallographie fondée par René-Just Haüy (1743-1822) est alors une science relativement jeune.
(7) On découvrira plus tard que les impacts sont à l'origine des cratères qui parsèment la surface de la Lune ou des autres planètes (y compris la Terre, quoique l'activité géologique les efface continuellement, sans parler de la protection offerte par l'atmosphère) ; peut-être la Lune elle-même est-elle née d'un choc entre la proto-Terre et un planétésimal de la taille de Mars, dont les éjecta se seraient accrété en notre satellite. On ne compte plus les astéroïdes binaires (formés de plusieurs parties liées par gravité) sans doute fragmentés à la suite d'une collision.