Le principe d’équivalence et l’effet Einstein

  • INFORMATION
  • ACTUALITÉ
  • ANALYSE
  • EN SAVOIR PLUS
  • À TÉLÉCHARGER
Le principe d’équivalence et l’effet Einstein
Auteur : Albert Einstein (1879 - 1955)
Auteur de l'analyse : Pierre Spagnou - Ingénieur chez Thales Air Systems, auteur scientifique, Enseignant à l’ISEP
Publication :

Partie V de l’article « Du principe de relativité et des conséquences tirées de celui-ci », texte originalement publié en allemand en décembre 1907 dans la revue Jahrbuch der Radioaktivität und Elektronik, sous le titre : «Über das Relativitätsprinzip und die aus demselben gezogenen Folgerungen ». Ici traduction en anglais par H. M. Schwartz, American Journal of Physics, Vol. 45, n°6, June 1977, p. 899-902.

Année de publication :

1907

Nombre de Pages :
4
Résumé :

L’article d’Einstein de 1907, beaucoup moins connu que les célèbres productions de son « annus mirabilis » 1905, est pourtant l’une de ses publications les plus importantes : synthèse originale par ses soins des différents travaux portant sur la relativité, d’un intérêt historique considérable ; première formulation du principe d’équivalence locale entre gravitation et accélération, étape cruciale sur la longue route qui allait le conduire à la théorie de la relativité générale en 1915 [le présent article est publié dans le cadre du centenaire de la relativité générale, 2015]

Source de la numérisation :
Mise en ligne :
mai 2015

L’article intitulé « Du principe de relativité et des conséquences tirées de celui-ci » qu’Einstein publie en 1907 constitue un premier pas crucial vers sa nouvelle théorie de la gravitation, la relativité générale, qu’il établira en 1915. Dès cet article, Einstein énonce le principe d’équivalence et parvient à prédire un nouvel effet révolutionnaire qui porte son nom, en combinant ce principe avec la nouvelle théorie de l’espace et du temps qu’il avait proposée en 1905. Ce papier remarquable offre une belle opportunité, en cet anniversaire des 100 ans de la relativité générale, de décortiquer les erreurs « chroniques » dans la compréhension de cet effet.

 

                                                                                                                                                         

 

 

Pierre Spagnou est ingénieur et auteur d’ouvrages de culture scientifique, notamment De la relativité au GPS – Quand Einstein s’invite dans votre voiture aux éditions Ellipses (2012). Il enseigne l’histoire des sciences à l’ISEP  (Institut Supérieur d’Electronique de Paris) depuis 2012.

 

 

 

Le principe d’équivalence et l’effet Einstein
Pierre Spagnou - Ingénieur chez Thales Air Systems, auteur scientifique, Enseignant à l’ISEP

 

 

 

Figure 1 : Albert Einstein (1879 – 1955) à l’âge de 16 ans

 

 

Un article-charnière

L’article d’Einstein de 1907 Du principe de relativité et des conséquences tirées de celui-ci, moins connu que ses travaux exceptionnels de l’année 1905, possède pourtant un intérêt historique considérable pour au moins deux raisons : d’une part il s’agit d’une première synthèse des travaux antérieurs d’auteurs divers en lien avec la relativité (Einstein y donne pour la première fois son point de vue sur la genèse de la théorie) ; d’autre part Einstein réalise un premier pas crucial vers la relativité générale en énonçant son fameux principe d’équivalence et en prédisant avec audace un nouvel effet physique purement relativiste, le décalage spectral gravitationnel, appelé communément effet Einstein.

Nous nous focalisons ici sur la dernière partie (principe d’équivalence et effet Einstein) de cet article novateur, en insistant sur certaines erreurs de compréhension élémentaires qui demeurent pourtant étonnamment fréquentes.

 

 

Une demande de synthèse

Suite aux articles qu’il publie en 1905 (année qualifiée à juste titre d’annus mirabilis), Einstein attire rapidement l’attention de certains physiciens illustres, le plus célèbre étant Max Planck. Rappelons qu’Einstein apporte en 1905 une triple contribution à la physique de l’époque :

  • il explique l’effet photo-électrique en supposant que la lumière est composée de quanta d’énergie (appelés plus tard photons) ;
  • il explique le mouvement brownien à partir des chocs de molécules invisibles et en estime la taille (prouvant ainsi la réalité des atomes) ;
  • il propose[1] une nouvelle théorie de l’espace et du temps (qui sera dénommée relativité restreinte) et établit l’équivalence masse-énergie.

Le physicien allemand Johannes Stark[2] (futur prix Nobel 1919 pour la découverte de l’effet qui porte son nom, dédoublement des raies spectrales dans les champs électriques) propose à Einstein en 1907 de rédiger une synthèse des travaux menés sur la relativité restreinte, dans le cadre de la revue scientifique qu’il dirige depuis peu, Jahrbuch der Radioaktivität und Elektronik.

Dans une lettre[3] à Stark, datée de septembre 1907, Einstein fait part de ses difficultés[4] à rassembler les articles ou ouvrages de référence :

 

Je ne suis malheureusement pas en mesure de consulter tout ce qui est paru sur le sujet, car la bibliothèque est fermée à mes heures de liberté.

Mais encore :

Mis à part mes propres travaux, j’ai connaissance d’un travail de Lorentz (1904), d’un autre d’E. Cohn, d’un papier de Mosengeil et de deux articles de Planck. Je ne connais pas les autres travaux théoriques portant sur ce sujet.

 

Dans cet article, Einstein ne fait référence à aucun travail de Poincaré, ce qui confirme qu’il n’avait pas connaissance du mémoire de Palerme de Poincaré (écrit en 1905 et publié en 1906). Les principaux travaux qu’il cite sont ceux de Lorentz, Planck, Max von Laue[5], J. Laub et Mosengeil. Einstein s’applique à détailler dans cet article les conséquences de sa théorie qui seraient démontrables dans un futur prévisible.

 

 

Figure 2 : Début de l'article original d’Einstein de 1907

 

 

 

 

le plan de l’article

Le plan d’ensemble de l’article de 1907 est le suivant :

Introduction

  1. Partie cinématique
  2. Partie électrodynamique
  3. Mécanique d’un point matériel (électron)
  4. Mécanique et thermodynamique des systèmes
  5. Principe de relativité et gravitation.

Les quatre premières parties de l’article sont consacrées à ce que nous nommons aujourd’hui la théorie de la relativité restreinte[6], nouvelle théorie-cadre de l’espace et du temps. Dans l’introduction consacrée au développement historique des idées-clef, Einstein mentionne les résultats négatifs des tentatives diverses pour détecter des variations de la vitesse de la lumière et note avec justesse le caractère ad hoc de l’hypothèse (introduite par Lorentz et Fitzgerald) de la compression physique des corps dans le sens de leur mouvement à travers l’éther, suite aux mesures réalisées par Michelson et Morley avec leur interféromètre.

 

Mais, de façon surprenante, il se révéla en fait que, pour surmonter la difficulté exposée précédemment, il était seulement nécessaire d’appréhender le concept de temps avec suffisamment d’acuité. Il suffisait de réaliser qu’une grandeur auxiliaire introduite par H. A. Lorentz, qu’il appelait « temps local », pouvait être définie comme « le temps », purement et simplement […]

L’hypothèse de H. A. Lorentz et G. F. Fitzgerald apparaît alors comme une conséquence nécessaire de la théorie.

 

Remarquons que le jugement très humble d’Einstein ci-dessus sur sa propre contribution ne doit pas être pris à la lettre, car adopter une nouvelle théorie de l’espace et du temps impliquait une remise en cause profonde de certains concepts, notamment celui du temps universel unique, extrêmement difficiles à remettre en question.

Nous allons à présent décortiquer la dernière partie (très originale) de cet article « Principe de relativité et gravitation », décomposée en quatre sections, du numéro 17 au numéro 20.

 

 

Section 17 intitulée « Référentiels accélérés et champ gravitationnel »

Einstein pour la première fois pose la question de l’extension du principe de relativité (à l’origine de la relativité restreinte) aux mouvements accélérés.

 

Jusqu’à présent nous avons appliqué le principe de relativité – c'est-à-dire l’hypothèse selon laquelle les lois de la nature ne dépendent pas de l’état de mouvement du référentiel considéré – uniquement aux référentiels non accélérés. Est-il concevable que le principe de relativité soit également valable pour des référentiels qui sont accélérés les uns par rapport aux autres ?

 

Einstein cherche à comparer deux référentiels, l’un uniformément accéléré, l’autre au repos dans un champ gravitationnel.

 

Nous considérons deux référentiels, Σ1 et Σ2. Supposons que Σ1 est accéléré dans la direction de son axe des coordonnées X, et que g est la valeur (constante dans le temps) de son accélération. Supposons que Σ2 est au repos, mais situé dans un champ de gravitation homogène, qui communique à tous les objets une accélération g dans la direction de l’axe des X.

 

Einstein peut alors formuler pour la toute première fois son principe d’équivalence entre accélération et gravitation.

 

Autant que nous le sachions, les lois physiques par rapport à Σ1 ne diffèrent pas de celles par rapport à Σ; cela dérive du fait que tous les corps sont accélérés de la même façon dans le champ gravitationnel. Nous n’avons donc aucune raison de supposer en l’état de notre expérience que les référentiels Σ1 et Σ2 diffèrent en quoi que ce soit, et nous supposerons par conséquent dans ce qui suit l’équivalence physique totale entre le champ gravitationnel et l’accélération correspondante du référentiel considéré.

 

En quoi un tel principe pourrait-il être utile à la physique ? Einstein en souligne la valeur heuristique.

 

Cette hypothèse étend le principe de relativité au cas du mouvement uniformément accéléré rectiligne d’un référentiel. La valeur heuristique de cette hypothèse réside dans la possibilité de substituer à un champ gravitationnel homogène un mouvement uniformément accéléré, ce dernier cas pouvant faire l’objet d’un traitement théorique jusqu’à un certain degré.

 

Dans son article ultérieur[7] sur ce thème (1911), Einstein précisera encore cette valeur heuristique :

 

En considérant théoriquement des processus qui se déroulent relativement à un référentiel uniformément accéléré, nous obtenons de l’information sur le déroulement de processus localisés dans un champ gravitationnel homogène.

 

Dans une lettre à A. Rehtz de 1953, Einstein précisera la signification de ce principe qui n’est applicable que localement (dans une région suffisamment petite) :

 

Le principe d’équivalence n’affirme pas qu’il soit possible de produire n’importe quel champ gravitationnel (par exemple celui associé à la Terre) au moyen de l’accélération d’un référentiel. Il affirme seulement que les propriétés d’un espace physique, telles qu’elles se présentent à nous-mêmes du point de vue d’un référentiel accéléré, constituent un cas particulier du champ gravitationnel.

 

L’une des motivations principales d’Einstein est explicitée dans son article de 1911, où il revient sur la loi universelle de chute des corps établie par Galilée, avec une remarquable hauteur de vue :

 

Cette expérience, celle de la chute identique de tous les corps dans un champ gravitationnel, est l’une des plus universelles que l’observation de la nature nous ait offerte ; pourtant la loi correspondante n’a trouvé aucune place dans les fondements de notre compréhension générale de l’univers physique.

 

En quoi ce principe d’équivalence d’Einstein se démarque-t-il vraiment des travaux antérieurs ? Pour répondre à cette question, un regard sur les premiers défricheurs est indispensable.

 

 

Les conclusions d’Aristote, puis la contribution cruciale de Galilée

 

 

Figure 3 : Aristote (384 av. J.-C. - 322 av. J.-C.)

 

 

Les penseurs grecs ont été les premiers à tenter une synthèse ambitieuse des observations qui leur étaient offertes par l’évidence immédiate des sens. L’absence d’expérimentation approfondie les exposait néanmoins à des jugements hâtifs et trompeurs.

Aristote érigea deux lois pour rendre compte de la chute des corps, l’une décrivant le mouvement d’un corps donné dans des milieux différents, l’autre décrivant le mouvement de différents corps dans un milieu donné. Le plus simple est de citer Galilée dans les Discours concernant deux sciences nouvelles (p. 53) :

 

Développant son argumentation, Aristote fait d'abord deux suppositions : la première concerne des mobiles de poids différents, se mouvant dans le même milieu, et la seconde un même mobile se mouvant dans différents milieux. Dans le premier cas il admet que des mobiles de poids différents se meuvent dans le même milieu avec des vitesses inégales ayant entre elles même proportion que les poids ; en sorte, par exemple, qu'un mobile dix fois plus lourd qu'un autre, descendra dix fois plus vite. Dans le second cas il admet que les vitesses du même mobile dans différents milieux sont inversement proportionnelles à l'épaisseur ou densité de ces milieux ; si l'on prête ainsi à l'eau une densité dix fois supérieure à celle de l'air, il veut que dans l'air la vitesse soit dix fois plus rapide que dans l'eau. De cette seconde supposition il tire alors la démonstration suivante : puisque la ténuité du vide diffère infiniment de la corporéité, si subtile soit-elle, de n'importe quel milieu plein, un mobile qui dans un milieu plein parcourt une certaine distance en un certain temps devrait dans le vide se mouvoir instantanément ; or le mouvement instantané est impossible ; donc on ne peut introduire le vide à cause du mouvement.

 

 

Figure 4 : Galilée (1564 - 1642)

 

 

Galilée, dans ce qui fut sans doute sa contribution la plus remarquable en physique par la richesse des moyens employés, va démontrer avec brio que les deux lois énoncées par Aristote et tenues pour vraies depuis 2000 ans, sont fausses. Il immortalisera ses réflexions et démonstrations dans les Discours concernant deux sciences nouvelles, qu’il publie sous le manteau en 1638 (à l’âge de soixante-quatorze ans), alors qu’il est assigné à résidence près de Florence depuis sa condamnation par l’Inquisition en 1633.

La loi universelle de chute des corps de Galilée (valable dans un vide hypothétique) s’énonce en deux volets :

  • La trajectoire des corps correspond à un mouvement à accélération constante, la distance parcourue étant proportionnelle au carré du temps écoulé ;
  • tous les corps indépendamment de leur composition et de leur poids subissent la même accélération.

Le deuxième volet est certainement le plus novateur et Galilée ne manque pas d’en souligner le caractère extraordinaire[8] :

 

Tout ce que j’ai avancé jusqu’à présent, et notamment le fait que les différences de poids, même très grandes, ne jouent aucun rôle dans les écarts de vitesse enregistrés entre les mobiles, en sorte que le poids étant seul en cause tous les corps tomberaient également vite, tout cela est si nouveau, et, à première vue, si éloigné de la vraisemblance, que mieux vaudrait se taire s’il était impossible de le rendre clair comme le jour ; m’étant donc laissé aller à cette affirmation je ne dois négliger aucune expérience et aucun argument susceptibles de la corroborer.

 

Galilée est pleinement conscient des difficultés à interpréter certaines observations :

 

L'expérience qui consiste à prendre deux mobiles de poids aussi différents que possible et à les lâcher d'une hauteur donnée pour observer si leurs vitesses sont égales, offre quelques difficultés ; car si la hauteur est importante, le milieu que le corps, en tombant, doit ouvrir et repousser latéralement par son impeto, gênera beaucoup plus le faible moment du mobile le plus léger que la force considérable du plus lourd, et sur une longue distance le corps léger demeurera ainsi en arrière.

Galilée précise :

Si fluide, si ténu et si tranquille que soit le milieu, il s'oppose en effet au mouvement qui le traverse avec une résistance dont la grandeur dépend directement de la rapidité avec laquelle il doit s'ouvrir pour céder le passage au mobile ; et comme celui-ci par nature va en accélérant continuellement, il rencontre de la part du milieu une résistance sans cesse croissante, d'où résulte un ralentissement [...], si bien qu’en fin de compte la vitesse d'une part, la résistance du milieu de l'autre, atteignent à une grandeur où, s'équilibrant l'une l'autre, toute accélération est empêchée, et le mobile réduit à un mouvement régulier et uniforme qu'il conserve constamment par la suite.

 

Galilée met au point un ingénieux dispositif expérimental à base de plans inclinés qui offre l’avantage de ralentir le mouvement :

 

Plaçant alors l'appareil dans une position inclinée, […] nous laissions, comme je l'ai dit, rouler la boule dans le canal, en notant […] le temps nécessaire à une descente complète; l'expérience était recommencée plusieurs fois afin de déterminer exactement la durée du temps, mais sans que nous découvrîmes jamais une différence supérieure au dixième d'un battement de pouls.

Galilée insiste sur la stabilité du résultat obtenu en répétant l’expérience :

Dans ces expériences répétées une bonne centaine de fois, nous avons toujours trouvé que les espaces parcourus étaient entre eux comme les carrés des temps, et cela quelle que soit l'inclinaison du plan, c'est-à-dire du canal, dans lequel on laissait descendre la boule.

 

Galilée peut alors énoncer le premier volet de sa loi de chute des corps concernant le mouvement uniformément accéléré : les vitesses croissent proportionnellement au temps ; les espaces parcourus, dans les intervalles successifs, comme les nombres impairs ; et les espaces parcourus depuis le commencement de la chute, comme les carrés.

Puis il énonce le second volet (le plus contre-intuitif):

 

Tous les corps, grands et petits, lourds et légers, tombent en principe sinon en fait avec la même vitesse, quelles que soient leurs dimensions et leurs natures.

 

En conséquence un œuf de poule et un œuf de marbre ont même loi de chute, résultat en contradiction flagrante avec l’enseignement d’Aristote qui affirmait que, dans un milieu donné, les vitesses variaient proportionnellement aux poids.

Galilée a parfaitement compris le phénomène d’impesanteur (ou apesanteur) qu’expérimenterait tout observateur en chute libre :

 

Nous sentons la pression d’un corps disposé sur nos épaules quand nous voulons nous opposer à son mouvement mais si nous descendions avec la vitesse qui serait naturellement la sienne comment ce corps pourrait-il appuyer sur nous ?

Concluez donc que dans la chute libre et naturelle, la plus petite pierre n’exerce aucune pression sur la plus grande et n’accroît nullement son poids comme elle le fait au repos.

 

Galilée décrit ci-dessus ce qu’observent couramment en 2015 les passagers de la station spatiale internationale : puisque la station et ses occupants sont en chute libre tout en tournant autour de la Terre, tous les objets qui les environnent tombent à la même vitesse qu’eux et n’exercent aucune pression.

 

 

le principe d’équivalence newtonien

 

 

Figure 5 : Isaac Newton (1642 - 1727)

 

 

Rappelons que la loi fondamentale de la dynamique newtonienne stipule que l’accélération subie par un corps est proportionnelle à la résultante des forces appliquées et inversement proportionnelle à sa masse inerte (qui correspond donc à la résistance que le corps oppose à une variation de sa vitesse). D’autre part la force gravitationnelle exercée par la Terre sur un corps donné est proportionnelle à la masse dite pesante du corps.

Dans le cadre de la physique newtonienne, la loi universelle de chute des corps de Galilée se traduit en conséquence par l’égalité entre masse inerte et masse pesante.

On nomme généralement cette égalité « principe d’équivalence faible » ou « principe d’équivalence newtonien ». Il est important de souligner que le principe est en fait déjà énoncé par Galilée, la théorie de Newton ne fournissant aucune explication sur l’origine de cette identité entre masse inerte et masse pesante.

 

 

 « L’idée la plus heureuse de ma vie »

 

 

Figure 6 : Photographie officielle d’Einstein pour le Prix Nobel de Physique 1921

 

 

[Quand j’ai été assis sur une chaise au Bureau des Brevets, à Berne, en 1907] me vint l’idée la plus heureuse de ma vie : le champ gravitationnel n’a qu’une valeur relative, à la manière du champ électrique engendré par l’induction magnétoélectrique. Parce que pour un observateur tombant en chute libre du toit d’une maison, il n’existe – du moins dans son voisinage immédiat - aucun champ gravitationnel. Si d’ailleurs cet observateur laisse tomber des corps, ceux-ci restent par rapport à lui dans un état de repos ou de mouvement uniforme, et cela indépendamment de leur nature physique ou chimique (en ignorant bien sûr ici la résistance de l’air). Cet observateur a donc le droit de se considérer au repos[9].

 

Si l’on excepte la référence aux phénomènes électromagnétiques, Galilée aurait pu rédiger quasiment les mêmes lignes. En quoi l’approche d’Einstein est-elle novatrice ?

L’originalité de la démarche d’Einstein tient à ce qu’il va faire de ce constat connu depuis Galilée un principe d’équivalence fort : aucune expérience de physique à l’intérieur d’un petit référentiel en chute libre dans un champ gravitationnel ne peut permettre de distinguer cet état de celui du même référentiel au repos en dehors de tout champ gravitationnel.

Or les expériences de physique réalisées dans ce petit référentiel au repos sont décrites dans le cadre de la relativité restreinte. Einstein a donc trouvé un pont entre la cinématique de la relativité restreinte et la gravitation.

Galilée s’était contenté de décrire une loi mécanique universelle valable pour tous les corps ; un grand pas en avant certes, mais qu’il est important de distinguer de la propre contribution d’Einstein.

Notons que les physiciens d’aujourd’hui ont été conduits à opérer des distinctions subtiles entre différentes formulations possibles[10] pour le principe d’équivalence exprimé sous une forme plus ou moins faible ou forte, afin de départager plus aisément certaines théories métriques concurrentes de la relativité générale.

 

 

Section 18 intitulée « L’espace et le temps dans un référentiel uniformément accéléré  »

Dans cette section, Einstein utilise une démonstration astucieuse, à partir d’approximations judicieusement choisies, pour établir un résultat correct en première approximation. Néanmoins, en exploitant le formalisme fourni par Minkowski dès 1908, il est possible d’étudier la situation de façon précise et rigoureuse dans le cadre de la relativité restreinte.

Supposons que nous disposions des horloges parfaites à l’intérieur de l’ascenseur ci-dessous depuis le plancher jusqu’au plafond. Au départ, lorsque l’ascenseur est immobile (dans un référentiel supposé inertiel), nous synchronisons les horloges entre elles (elles indiquent toutes le temps zéro). Que se passe-t-il pour ces horloges si nous imprimons à l’ascenseur un mouvement uniformément accéléré vers le haut (donc avec une accélération constante g) ?

 

 

 

 

On peut montrer[11] que les horloges distantes dans l’ascenseur accéléré se désynchronisent, ce qui signifie que les temps cumulés qu’elles enregistrent sont tous différents entre eux. Le temps propre t’ indiqué par une horloge située à la hauteur z par rapport à l’horloge au plancher est donné par :

t’ = (1 + gz/c2) t,

où t est le temps propre indiqué par l’horloge au plancher et c la vitesse limite de notre univers (égale à celle de la lumière).

Nous en concluons que le temps cumulé enregistré par chaque horloge dans l’ascenseur est d’autant plus grand que l’horloge est plus haute dans l’ascenseur. Une horloge avance donc d’autant plus par rapport à l’horloge au plancher qu’elle est plus haute.

Einstein obtient le même résultat dans son article (équation à laquelle il attribue le numéro 30).

 

 

 

Section 19 intitulée « Influence du champ gravitationnel sur les horloges »

Einstein peut à présent exploiter son principe d’équivalence pour prédire le comportement des horloges en présence d’un champ gravitationnel. Nous sommes autorisés à considérer que la situation dans l’ascenseur accéléré est équivalente à celle dans un ascenseur immobile soumis à un champ de gravitation homogène. Il nous suffit dans l’équation 30 de remplacer la quantité gz par le potentiel gravitationnel φ. Einstein peut alors conclure :

 

Si en un point P du champ gravitationnel φ se trouve une horloge qui indique le temps local, alors en accord avec l’équation (30a) ses indications sont 1 + (φ/c2) plus grandes que le temps τ, autrement dit cette horloge marche 1 + (φ/c2) plus vite qu’une horloge identique située à l’origine des coordonnées. Supposons qu’un observateur placé n’importe où dans l’espace récupère les indications des deux horloges, par exemple par un procédé optique. Puisque l’intervalle de temps Δτ, qui sépare l’indication de l’une des horloges et le moment où elle est reçue par l’observateur, est indépendant de τ, l’horloge en P marche pour un observateur placé n’importe où dans l’espace 1 + (φ/c2) plus vite que celle située à l’origine des coordonnées.

 

Précisons que, lorsqu’Einstein décrit une horloge qui « marche plus vite », il ne veut pas dire que le rythme de l’horloge serait affecté en quelque façon par la gravitation mais que sa fréquence apparaît décalée par rapport à l’horloge distante. Il est conseillé d’éviter ces tournures de langage car la fréquence propre de chaque horloge (supposée parfaite) est invariante : ce sont les temps cumulés qui diffèrent, chaque horloge « traçant » une durée qui lui est propre.

 

Einstein peut ensuite prédire sans frémir un effet universel inédit[12] :

C’est dans ce sens que nous pouvons dire que le processus qui a lieu à l’intérieur de l’horloge – et plus généralement, n’importe quel processus physique – se déroule à un rythme qui est d’autant plus rapide que le potentiel gravitationnel du lieu où il se produit est plus élevé.

Il donne un exemple de mesure permettant de vérifier cette prédiction théorique :

Or il existe des « horloges » qui se trouvent en des lieux de potentiels gravitationnels distincts et dont les rythmes peuvent être contrôlés très précisément ; ce sont les générateurs de raies spectrales. Il découle de la discussion précédente que la lumière qui nous parvient de la surface du Soleil, elle-même issue d’un tel générateur, possède une longueur d’onde qui est plus grande d’environ 2 millionièmes que celle de la lumière émise par une source identique à la surface de la Terre.

 

Einstein précise dans une note pour la « discussion précédente » qu’il faut supposer aussi que l’équation obtenue reste valable pour un champ gravitationnel non homogène.

 

Un effet avec trois grandeurs mesurables

Il est important pour éviter les confusions de distinguer trois grandeurs dans cet effet : la fréquence de la raie émise depuis le Soleil (ou depuis une autre étoile) et qui serait mesurée sur le Soleil, la fréquence de la même raie émise depuis la Terre et mesurée sur Terre et la fréquence de la raie émise depuis le Soleil et reçue puis mesurée sur Terre. Les deux premières grandeurs ont des valeurs identiques car les fréquences propres sont inchangées mais la troisième valeur diffère des deux premières, à cause de la disparité des temps propres sur la Terre et sur le Soleil.

On parle de décalage vers le rouge (« redshift » en anglais) des longueurs d’ondes lorsque le signal est émis depuis une région correspondant à un potentiel gravitationnel plus élevé que celui du point de réception ; on parlera de décalage vers le bleu si le signal est émis depuis une région correspondant à un potentiel gravitationnel plus faible, par exemple pour les signaux mesurés sur Terre en provenance des satellites GPS.

 

 

Section 20 intitulée « Influence de la gravitation sur les processus électromagnétiques »

Einstein pour la première fois prédit la déviation des rayons lumineux dans un champ de gravitation. Un tel effet était impensable en physique newtonienne, si l’on supposait que la lumière était une onde. Néanmoins, à cette époque, Einstein considère l’effet trop faible pour autoriser une confrontation de la théorie avec l’expérience.

 

Malheureusement, l’influence du champ gravitationnel terrestre est selon notre théorie si faible (à cause de la petite valeur de gx/c2) qu’il n’existe aucun espoir de comparer les prédictions de la théorie avec l’expérience.

 

Einstein révisera son jugement en 1911 quand il prédira[13] la déviation des rayons lumineux d’étoiles lointaines rasant le Soleil et proposera d’exploiter les éclipses totales de Soleil pour mesurer l’effet. Comme il raisonne encore dans un espace plat, la valeur prédite sera en 1911 moitié moindre de celle (exacte) qu’il fournira en 1915 dans le cadre de la relativité générale.

 

L’effet Einstein universel

Après avoir commenté le texte de cette cinquième partie de l’article, nous allons, afin de clarifier la portée de l’effet Einstein, expliciter davantage son caractère universel, autrement dit, son applicabilité à n’importe quel processus physique périodique, mettant en jeu au choix : ondes, particules ou objets macroscopiques.

Une façon simple de frapper les esprits est de décrire l’effet avec des balles de tennis. Supposons qu’une machine lance-balles disposée au plancher d’un ascenseur uniformément accéléré vers le haut envoie avec une fréquence constante des balles de tennis en direction du plafond où un observateur mesure la fréquence des balles reçues.

 

 

 

 

L’intervalle de temps propre entre deux envois de balles mesuré par l’horloge au niveau du lance-balles est différent de l’intervalle de temps propre entre deux réceptions mesuré par une horloge identique au point de réception (plafond), donc la fréquence des balles reçues au plafond diffère de celle du lance-balles. Cela est entièrement dû au fait que les temps cumulés pour chacune des horloges (en haut et en bas) ne concordent pas, conformément à la relativité restreinte. En appliquant le principe d’équivalence, nous en déduisons que le même effet doit être observé si le lance-balles et le point de réception sont chacun statiques mais situés en des lieux de potentiels gravitationnels différents, ce qui correspond par exemple au cas d’une tour sur la Terre avec le lance-balles au pied et l’observateur au sommet. La physique classique prédit un effet nul (aucun décalage en fréquence) dans les deux situations puisque chaque balle met exactement le même temps à aller du plancher au plafond : distance fixe à parcourir et vitesse constante.

 

On peut compléter l’expérience pour s’assurer de l’origine purement relativiste de l’effet en transmettant régulièrement d’une horloge à l’autre le temps d’émission du message via une onde électromagnétique. Ce temps d’émission correspond pour chaque horloge au temps cumulé enregistré, donc au temps réellement écoulé pour l’horloge. La relativité prédit un décalage entre les temps respectifs des horloges (celle au plafond et celle au pied) inexplicable en physique classique. C’est parce que la fréquence du même signal est mesurée par des horloges dont le temps propre diffère que l’effet Einstein est observé.

 

 

 

Deux erreurs d’interprétation persistantes et routinières

On rencontre fréquemment et abondamment dans la littérature (dans de très nombreux ouvrages de vulgarisation) deux types d’erreurs qui entretiennent une confusion certaine.

Le premier cas fréquent consiste à étudier la propagation du signal lumineux émis depuis l’origine de l’ascenseur accéléré à partir d’un référentiel inertiel dans lequel l’ascenseur accélère. En raisonnant dans ce référentiel, on montre qu’on doit observer un effet Doppler, c'est-à-dire que la fréquence de l’onde reçue est décalée par rapport à celle de l’onde émise. En effet, l’effet Doppler classique est dû au fait que le temps de trajet de deux impulsions consécutives n’est pas identique, d’où une non conservation à l’arrivée de l’intervalle de départ entre impulsions. En fait le raisonnement classique est correct tant qu’on se limite au référentiel inertiel. Or la mesure est réalisée à l’intérieur de l’ascenseur accéléré au niveau du récepteur. Il nous faut donc examiner l’explication fournie classiquement du point de vue du référentiel accéléré.

Comme la distance entre les deux horloges (l’une au pied, l’autre au plafond de l’ascenseur) est fixe, la physique classique (ici la théorie de l’éther) explique l’effet par une variation de la vitesse de la lumière entre les deux impulsions : la lumière se propage à la vitesse c dans son milieu mais, vu du référentiel accéléré, sa vitesse sera plus faible pour l’impulsion suivante puisque entre-temps, l’ascenseur a accéléré. En résumé, le récepteur dans l’ascenseur accéléré voit les impulsions lumineuses arriver de plus en plus rapidement ou lentement (selon la situation), ce qui explique le décalage en fréquence.

Cette explication n’est pas valable car en réalité, on peut vérifier que la vitesse de chaque impulsion lumineuse localement (en un point donné de l’ascenseur où elle passe) est toujours égale à c, contrairement à ce que prédit la physique classique. L’encadré suivant résume l’erreur de raisonnement.

 

 

 

 

Bien que ce raisonnement soit clairement inacceptable, il est encore souvent utilisé. L’important est de se rappeler que la physique classique combinée au principe d’équivalence ne permet pas d’expliquer correctement l’effet observé. Ceci est encore plus flagrant lorsqu’on étend l’expérience à des objets quelconques, par exemple des balles de tennis envoyées à intervalles réguliers depuis le plafond ou le plancher d’un ascenseur accéléré : la relativité prédit le même effet (sur le décalage en fréquence) que pour les signaux lumineux tandis que la physique classique prédit un effet nul. La même erreur de raisonnement est abondamment commise pour l’effet Sagnac[14]. L’une des causes de ces confusions est la propension à interpréter ces effets purement relativistes comme de simples correctifs à des effets classiques déjà existants, alors qu’ils n’ont pas d’équivalent en physique classique. Cela revient à penser les nouveaux concepts relativistes en termes de simple évolution par rapport aux théories antérieures, plutôt que d’y voir une véritable rupture vis-à-vis des schémas anciens.

 

@@@@@@@

 

Un second cas d’erreur fréquent consiste à raisonner de façon newtonienne sur une masse gravitationnelle attribuée au photon. Par exemple, on affirmera : le photon allant du point A au point B doit lutter pour s’échapper du champ de gravitation, donc il perd de l’énergie et sa fréquence diminue puisque l’énergie du photon est proportionnelle à sa fréquence.

L’important est de se rappeler que l’effet Einstein n’est pas dû à la propriété d’un signal spécifique (comme la lumière) mais est d’origine chrono-géométrique et donc valable pour un processus physique périodique quelconque.

Notons toutefois que l’énergie mesurée du photon à la réception est différente[15] de celle à l’émission (puisque la fréquence est différente) mais il s’agit là d’une conséquence et non de la cause du phénomène. L’interprétation en termes d’une attraction supposée du photon par la masse de la Terre est totalement erronée[16]. L’énergie et la fréquence d’un photon ne changent pas en fonction de son altitude.

 

 

 

 

Dérivation correcte de l’effet Einstein

 

L’encadré qui suit donne le raisonnement détaillé correct conduisant à inférer l’effet Einstein (de façon correcte en première approximation[17]), en tant que décalage spectral gravitationnel. Il est important de souligner que, dans cette déduction, aucune mention n’est faite ni de la lumière ni d’interaction électromagnétique, celles-ci ne jouant aucun rôle spécifique dans l’explication de l’effet.

 

 

 

 

 

Le cadre cinématique de la relativité restreinte peut se déduire[18] de considérations qui n’ont rien à voir avec la lumière : il suffit de supposer l’existence d’une vitesse limite en plus du principe de relativité (équivalence de tous les référentiels inertiels) et d’hypothèses simples de symétries pour l’espace et le temps.

 

Le principe d’équivalence combiné à la multiplicité des temps propres prédite par la relativité restreinte[19], conduit à prédire une multiplicité de temps propres là où il y a multiplicité des potentiels gravitationnels. Donc deux horloges parfaites placées en des lieux de potentiels gravitationnels différents n’enregistreront pas des temps cumulés identiques. On peut parler de « paradoxe » des jumeaux bis : deux jumeaux vivant à des altitudes différentes n’enregistreront pas la même durée, donc se retrouveront avec des âges différents, même si sur Terre, la différence est infime. Cela choque le bon sens issu de l’expérience ordinaire mais l’effet est l’une des conséquences les plus sûrement établies de toute la physique.

Cette discordance entre temps propres explique complètement le décalage des fréquences observé. Le décalage spectral gravitationnel est un cas particulier du phénomène lorsque l’onde utilisée est la lumière.

 

 

Les vérifications de l’effet Einstein

Les principales expériences ayant permis de vérifier l’effet Einstein sont les suivantes, par ordre chronologique.

  • Expérience de Pound et Rebka (1960)

Cette expérience a consisté à comparer les fréquences de la raie gamma de désintégration d’un isotope du fer entre le bas et le sommet d’une tour de l’Université d’Harvard (avec une hauteur pour la tour de 22.5 mètres). La valeur mesurée fut en accord avec la valeur prédite par la relativité générale à 10% près. L’expérience fut répétée en 1965 et l’accord obtenu fut de 1%.

 

 

 

 

Figure 7 : Laboratoire Jefferson dans lequel l'expérience de Pound et Rebka fut réalisée.

  • Expérience de Vessot et Levine (1976)

Cette expérience, aussi dénommée Gravity Probe A, a consisté à comparer les fréquences entre le sol et une fusée voyageant à l’altitude d’environ 10000 km. L’accord obtenu avec la théorie fut de 7 ×10-5.

 

  • Expérience ACES/PHARAO (à partir de 2016)

Ce projet de l’Agence spatiale européenne a pour but de vérifier l’effet Einstein à l’aide d’horloges atomiques de très grande précision qui seront embarquées sur la station spatiale internationale. L’horloge PHARAO est une horloge à atomes de césium refroidis par laser dont la fréquence sera comparée avec celle d’horloges à atomes froids au sol. On devrait gagner un facteur 35 pour la précision des mesures par rapport à l’expérience de Vessot et Levine.

 

L’expérience cruciale des américains Hafele et Keating, réalisée en 1971, a quant à elle, permis de confirmer l’origine purement relativiste de l’effet Einstein, en comparant non pas des fréquences mais des temps cumulés (enregistrés par des horloges atomiques). La désynchronisation des horloges (même parfaites) ayant séjourné an altitude (dans un avion) par rapport à celles restées au sol est une validation du « paradoxe » des jumeaux bis déjà mentionné et confirme que la disparité entre les temps propres explique entièrement le décalage gravitationnel des fréquences observé pour l’effet Einstein.

Notons enfin que cet effet Einstein est aujourd’hui détectable pour des horloges atomiques séparées verticalement d’une distance d’un mètre seulement, ce qui démontre au passage que parler d’ « un temps qui s’écoule » dans une pièce n’a pas grand sens.

 

 

Les principales étapes vers la relativité générale

Les principales étapes qui conduisent Einstein à la relativité générale peuvent être résumées ci-après :

  • Einstein publie en 1907 l’article ici commenté où il énonce le principe d’équivalence et prédit l’effet qui porte son nom ;
  • Minkowski publie en 1908 son fameux article où il fournit le formalisme adéquat (principalement une métrique) pour décrire l’espace-temps en conformité avec la théorie proposée par Einstein en 1905 ;
  • Einstein, après s’être tourné vers des problèmes de physique quantique, revient à ses réflexions de 1907 et propose en 1911 (article déjà cité) une vérification possible de la déviation des rayons lumineux par la gravitation en exploitant une éclipse totale de Soleil ;
  • Einstein comprend en 1912 qu’il lui faut abandonner la géométrie euclidienne valable pour un espace plat et opter pour un espace-temps courbe en généralisant la métrique de Minkowski. Il sollicite l’aide de son ami mathématicien Grossmann pour le familiariser avec la géométrie non euclidienne de Riemann ;
  • À l’issue d’un travail acharné, Einstein établit en 1915 les équations de la relativité générale qui portent son nom et qui relient la courbure de l’espace-temps à la distribution de masse-énergie dans l’univers.

Il est aisé de comprendre pourquoi la métrique minkowskienne de la relativité restreinte ne suffit pas à rendre compte de l’effet Einstein et qu’elle doit être généralisée d’une certaine façon pour inclure la gravitation.

Le raisonnement qui conduit à généraliser la chrono-géométrie minkowskienne peut être formulé comme suit. Le principe d’équivalence utilisé conjointement avec la relativité restreinte nous indique que deux horloges parfaites statiques (séparées par une distance fixe) situées en des lieux de potentiels gravitationnels différents vont se désynchroniser car les temps cumulés enregistrés seront distincts. Or la relativité restreinte considérée isolément ne prédit pas d’écart entre les horloges dans cette situation puisque sa métrique est indépendante de la gravitation et que deux horloges fixes dans un référentiel inertiel ne se décalent pas. Nous en concluons que, si le principe d’équivalence est correct, nous devons généraliser la métrique de Minkowski de telle façon que ses coefficients dépendent de la gravitation ou de la masse-énergie. Cela nous impose de chercher une théorie métrique de la gravitation dont la relativité restreinte constituera un cas limite.

 

@@@@@@@

 

Finalement, l’article de 1907 possède un grand intérêt pédagogique autant pour l’histoire de la relativité que pour sa compréhension. Dans la dernière partie de ce travail, d’une audace inouïe, Einstein poursuit irrésistiblement sa révolution conceptuelle autour du temps commencée en 1905, en route vers sa plus belle réussite, l’unification de l’espace, du temps et de la gravitation. Dans cet article, il est le premier à :

  • étudier des mouvements accélérés dans le cadre de la relativité restreinte ;
  • énoncer le principe d’équivalence entre gravitation et accélération ;
  • prédire à partir de ce principe un nouvel effet physique révolutionnaire, le décalage spectral gravitationnel ;
  • comprendre que cet effet est très général et ne dépend pas du processus physique périodique considéré ;
  • prédire la déviation des rayons lumineux pour la propagation de l’onde électromagnétique[20].

L’analyse de ce travail remarquable offre une belle opportunité de rappeler quelques vérités négligées et ainsi de battre en brèche certaines idées fausses tenaces :

  • l’effet Einstein (en tant que décalage spectral gravitationnel) ne s’explique pas par la combinaison de l’effet Doppler classique avec le principe d’équivalence ;
  • il ne s’explique pas non plus par la variation de l’énergie potentielle du photon durant son trajet ;
  • il est en réalité universel, donc s’applique à n’importe quel processus physique périodique, par exemple l’envoi à intervalles réguliers de balles de tennis ;
  • il est purement relativiste : il s’explique par la disparité entre les durées propres enregistrées dans des régions où les potentiels gravitationnels sont différents ;
  • il s’obtient en première approximation en combinant la relativité restreinte (multiplicité des temps propres) avec le principe d’équivalence.

 

@@@@@@@

 

Un siècle après la publication de la relativité générale par Einstein, il nous faut constater non sans gravité que cette théorie majeure (tout comme sa cadette, la relativité restreinte) pâtit encore et toujours d’erreurs chroniques dans sa diffusion, à cause sans doute de la persistance déraisonnable des préjugés de jadis.

N’est-il pas temps de dire enfin adieu à l’ancien temps ?

 

 

 

 (mai 2015)



[1]. Voir l’analyse Bibnum de l’article fondateur d’Einstein de 1905 (par P. Spagnou, oct. 2014).

[2]. Johannes Stark deviendra tristement célèbre à partir des années 1920 (avec un autre prix Nobel allemand, Philipp Lenard) pour son allégeance au parti nazi. Il sera un opposant virulent à la physique dite juive et à Albert Einstein en particulier.

[3]. Cité dans : Albert Einstein, Œuvres choisies, t 2, Relativités I, p. 87 (éditions du Seuil, éditions du CNRS, 1993).

[4]. Rappelons qu’Einstein était, en dehors de ses « heures de liberté », absorbé par son travail d’expert technique des brevets à l’office de Berne et qu’il fallait consulter les ouvrages sur place dans les bibliothèques car il n’y avait pas de photocopieuse à l’époque !

[5]. Voir l’analyse Bibnum de l’article de Max von Laue de 1907 sur l’interprétation relativiste de l’expérience de Fizeau (propagation de la lumière dans un tube d’eau en mouvement) (par J.-J. Samueli et A. Moatti, nov. 2010).

[6]. Le qualificatif « restreinte » est trompeur car il s’agit bien d’un nouveau cadre cinématique universel, permettant d’étudier n’importe quel type de mouvement.

[7]. Albert Einstein, « De l’influence de la gravitation sur la propagation de la lumière », Annalen der Physik, 35 (1911).

[8]. Les citations qui suivent de Galilée sont extraites des Discours concernant deux sciences nouvelles, Presses Universitaires de France (1995), traduction par Maurice Clavelin.

[9]. Einstein, Les idées fondamentales et les méthodes de la théorie de la relativité exposées selon leur développement, manuscrit inédit de 1920 (Bibliothèque Pierpont Morgan, New York, copie aux Archives Einstein).

[10]. Voir l’article de Eolo Di Casola et Stefano Liberati, « Nonequivalence of equivalence principles », American Journal of Physics 83, 39 (2013) (onglet « Pour en savoir plus »)

[11]. Pour un calcul détaillé, voir le paragraphe 12.3.1 de l’ouvrage d’Eric Gourgoulhon, Relativité restreinte : Des particules à l'astrophysique, EDP Sciences (2010).

[12]. Cet effet est universel en ce sens qu’il ne dépend pas de la nature des objets utilisés (ondes, particules ou corps aux dimensions macroscopiques) et s’applique à n’importe quel processus physique périodique.

[13]. Albert Einstein, « De l’influence de la gravitation sur la propagation de la lumière », Annalen der Physik 35 (1911)

[14]. Voir l’analyse Bibnum consacrée à l’expérience historique de Georges Sagnac et aux idées fausses qui sont attachées à l’effet qui porte son nom (analyse par P. Spagnou, oct. 2013)

[15]. Voir le cours de relativité générale d’Eric Gourgoulhon (§ 3.4.2) pour un calcul détaillé de l’énergie émise et de l’énergie reçue.

[16]. Pour une analyse détaillée de cette erreur d’interprétation de l’effet Einstein, voir l’article de Okun, Selivanov et Telegdi, « Gravitation, photons, clocks », Physics 42 (10) 1045 – 1050 (1999).

[17]. La dérivation rigoureuse passe par la relativité générale et requiert l’usage de la métrique de Schwarzschild.

[18]. Pour une dérivation des transformations de Lorentz à partir de ces principes très généraux (sans faire intervenir la lumière), voir l’article de Jean-Marc Lévy-Leblond, « One more derivation of the Lorentz transformation », American Journal of Physics 44 (3) 271 - 277 (1976)

[19]. Rappelons qu’Einstein fut le premier à prédire la désynchronisation cinématique de deux horloges parfaites dans son article fondateur de 1905.

[20]. La déviation des rayons lumineux n’est compréhensible en physique newtonienne que dans le cadre de l’hypothèse corpusculaire.

 

À LIRE (LIVRES)

 

 

  • Galilée, Discours concernant deux sciences nouvelles, Presses Universitaires de France (1995) - Traduction par Maurice Clavelin (la première publication de cet ouvrage de Galilée date de 1638)

 

 

 

  • Pierre Spagnou, L’histoire de la physique racontée par votre smartphone, Ellipses (2014) [voir plus particulièrement pour notre article les chapitres 14 et 15 sur la relativité et son rôle dans la localisation par GPS].
     

 

 

 

  • Eric Gourgoulhon, Relativité restreinte : Des particules à l'astrophysique, EDP Sciences (2010) [voir plus particulièrement pour notre article : § 12.3.1 Pour la désynchronisation des horloges parfaites dans un référentiel accéléré § 22.2 Pour le principe d’équivalence et l’effet Einstein].

 

 

 

  • Jean Eisenstaedt, Einstein et la relativité générale. CNRS Éditions (2013)

 

 

COURS EN LIGNE

 

 

  • Éric Gourgoulhon, cours de relativité générale en ligne site Observatoire de Paris (PDF) [voir plus particulièrement pour notre article : le paragraphe 3.4 Décalage spectral gravitationnel (effet Einstein) ; l’annexe A (Relativité et GPS)

 

 

ARTICLES SCIENTIFIQUES

 

Jérôme Gavin et Alain Schärlig, Der falsche Ansatz im Wandel der Zeiten, in : Rainer Gebhardt (édit.), Arithmetik, Geometrie und Algebra der frühen Neuzeit, Actes du colloque éponyme, Adam-Ries-Bund e.V., Annaberg-Buchholz, 11-13 avril 2014, pp. 167-174.
  • Albert Einstein, « Sur l’électrodynamique des corps en mouvement » (1905), traduction française Classiques des sciences sociales (en ligne BibNum)

 

 

 

Jérôme Gavin et Alain Schärlig, Der falsche Ansatz im Wandel der Zeiten, in : Rainer Gebhardt (édit.), Arithmetik, Geometrie und Algebra der frühen Neuzeit, Actes du colloque éponyme, Adam-Ries-Bund e.V., Annaberg-Buchholz, 11-13 avril 2014, pp. 167-174.
  • Albert Einstein, « De l’influence de la gravitation sur la propagation de la lumière », Annalen der Physik 35 (1911) ; traduction en anglais disponible en ligne.

 

 

Jérôme Gavin et Alain Schärlig, Der falsche Ansatz im Wandel der Zeiten, in : Rainer Gebhardt (édit.), Arithmetik, Geometrie und Algebra der frühen Neuzeit, Actes du colloque éponyme, Adam-Ries-Bund e.V., Annaberg-Buchholz, 11-13 avril 2014, pp. 167-174.
  • Okun, Selivanov et Telegdi, Gravitation, photons, clocks, Physics 42 (10) 1045 – 1050 (1999) (PDF en ligne).

 

 

 

Jérôme Gavin et Alain Schärlig, Der falsche Ansatz im Wandel der Zeiten, in : Rainer Gebhardt (édit.), Arithmetik, Geometrie und Algebra der frühen Neuzeit, Actes du colloque éponyme, Adam-Ries-Bund e.V., Annaberg-Buchholz, 11-13 avril 2014, pp. 167-174.
  • Eolo Di Casola et Stefano Liberati, « Nonequivalence of equivalence principles », Am. J. Phys. 83, 39 (2013), en ligne ArXiv Cornell University)