Œuvres de Fermat, publiées par les soins de MM. Paul Tannery et Charles Henry, Gauthier-Villars, 1896 (Tome troisième, extrait pp. 121-123)
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Ce document nous permet de comprendre comment au XVII° siècle, bien avant la notion de fonction, de dérivée, de calcul infinitésimal ou différentiel, on pouvait appréhender les notions de « minimum et de maximum ».
(analyse par Jacques Bair, professeur ordinaire à l’Université de Liège & Valérie Henry, chargée de cours aux Facultés Universitaires Notre-Dame de la Paix à Namur et à l’Université du Luxembourg).
La méthode de Fermat
Rappelons que, pour un segment (figure ci-dessous), Fermat présente ainsi sa méthode pour trouver le maximum de AE×EC :
« Posons AC = b ; soit a un des segments, l’autre sera b – a, et le produit dont on doit trouver le maximum : ba – a². Soit maintenant a + e le premier segment de b, le second sera b – a – e, et le produit des segments : ba – a² + be – 2ae – e². Il doit être adégalé au précédent : ba – a² Supprimant les termes communs : be ae + e² Divisant tous les termes : b 2a + e Supprimez e : b = 2a Pour résoudre le problème, il faut donc prendre la moitié de b. »
1) « adégaler » f(a) et f(a + e), ce qui est noté dans l’exemple à l’aide du signe 2) supprimer les termes semblables figurant dans les deux membres de cette adégalité 3) diviser les deux membres de l’adégalité restante par e 4) supprimer les termes qui contiennent encore e tout en transformant l’adégalité obtenue en une égalité.
Une autre application par Fermat de sa méthode : la recherche de tangentes
Voici une présentation, un peu adaptée (3), du texte de Fermat sur cette question.
Dans le plan rapporté à un repère orthogonal, considérons la parabole d’équation x = y². Sur celle-ci se trouve un point B par lequel on cherche à mener la tangente à la courbe ; cette tangente va rencontrer l’axe des abscisses en E. Notons C le point situé sur l’axe horizontal à la même abscisse, notée d, que B et désignons par a la longueur EC : a est l’inconnue de notre problème (4). Choisissons encore sur l’axe des abscisses un point I entre l’origine O du plan et C, notons e la longueur IC. Construisons enfin les points D et D’ qui se trouvent sur la droite verticale passant par I ainsi que, respectivement, sur la tangente recherchée et sur la parabole : on a donc, en vertu de l’équation de la parabole, d – e = (D’I)² et d = (BC)² .
La figure ci-dessous représente la situation étudiée.
Comme la parabole est située sous la tangente, on a DI > D’I.
Or, le théorème de Thalès permet d’écrire . En vertu de ce qui précède, on peut donc écrire ou encore avec nos notations , ce qui est équivalent à . Il suffit alors de suivre fidèlement la démarche de Fermat, puisque quand e se rapproche de 0, le point D’ se rapproche du point D :
- adégaler les deux membres de l’inégalité précédente : d(a-e)² a²(d-e) (ce qui revient à adégaler DI et D’I) - supprimer les termes semblables dans les deux membres de l’adégalité : de² - 2ade -a²e - diviser les deux membres de l’adégalité restante par e : de-2ad - a² - supprimer le terme qui contient encore e et transformer l’adégalité en égalité, ce qui permet d’écrire a=2d.
qui est ensuite égalée à zéro. En d’autres termes, le nombre a recherché annule la dérivée de f : ce résultat est connu de nos jours sous le nom de Théorème de Fermat (pour les maximums). Dans cette optique, le symbole e désigne donc une variable tendant vers 0. Il convient toutefois de constater que le raisonnement de Fermat n’est qu’un prélude à cette présentation contemporaine, puisque, notamment
Les nombres hyperréels – l’analyse non standard
Les nombres hyperréels forment un corps algébrique totalement ordonné dont celui des réels est un sous-corps : ainsi, tout nombre réel est hyperréel et l’on peut additionner, soustraire, multiplier et diviser entre eux des nombres hyperréels avec les mêmes règles algébriques en vigueur dans les nombres réels (à condition, bien sûr, de ne pas diviser par zéro). De plus, il existe des nombres hyperréels non réels : ils sont dits « non standards », les réels étant qualifiés de « standards ». De façon plus précise, les nombres hyperréels sont répartis selon trois « ordres de grandeur » :
a) des nombres infiniment petits, c’est-à-dire des nombres dont la valeur absolue est inférieure à tout nombre réel positif ; le seul réel infiniment petit est 0 (7). b) des nombres infiniment grands, c’est-à-dire des nombres hyperréels dont la valeur absolue est supérieure à tout nombre réel positif ; ce sont encore les inverses d’infiniment petits non nuls ; c) des nombres appréciables, c’est-à-dire des nombres hyperréels compris (au sens large) entre deux réels non nuls.
De façon imagée, il est possible de visualiser tous les nombres hyperréels en partant d’une classique droite numérique représentant les réels : les infiniment petits forment le « halo » de 0 apparaissant sous la forme d’un phylactère dessiné au dessus du point représentatif de 0 (8) , les appréciables sont dessinés dans le halo d’un réel non nul (9), tandis que les infiniment grands positifs (igp en abrégé) et les infiniment grands négatifs (ign en abrégé) se trouvent respectivement à l’extrême droite ou l’extrême gauche sur l’axe numérique (10) :
De plus, tout hyperréel x qui n’est pas infiniment grand est infiniment proche d’un réel en ce sens que la différence entre x et ce réel est infiniment petite : ce réel, qui est unique, est appelé la partie standard de x et est noté st (x). Les règles régissant le passage à la partie standard sont classiques et assez naturelles : par exemple pour des hyperréels x et y non infiniment grands, st (x + y) = st (x) + st (y), st (x × y) = st (x) × st (y), mais x < y entraîne st (x) = st (y).
L’analyse infinitésimale peut être avantageusement et aisément développée dans ce contexte : on est alors en présence de ce que l’on appelle l’ « analyse non standard ». Par exemple, un fonction f est dite continue en un réel a dès que, pour x infiniment proche de a, f(x) (11) est infiniment proche de f(a) ; ou encore, f est dérivable en a si, pour tout « infiniment petit » non nul e, est limité et de partie standard indépendante de e : cette partie standard vaut alors le nombre dérivé f'(a).
Considérons un infiniment petit non nul ε et admettons que f(a) est le maximum, supposé strict (12), cherché. On doit dès lors avoir
f(a+ε)< f(a)
et l’on en déduit
si ε>0 ,mais si ε<0. Un passage par la partie standard livre si ε>0 et si si ε<0.
L’ADÉGALITÉ
La méthode de Fermat repose fondamentalement sur le concept d’adégalité, symbolisé par le signe . Il s’agit, en reprenant les termes de l’auteur dans un autre extrait de ses oeuvres, de « cette sorte de comparaison adaequalitem comme Diophante l’appelle » ou encore d’une « comparaison feinte » dans la mesure où les deux nombres comparés sont « comme s’ils étaient égaux, quoi qu’en fait ils ne le soient point » (13) . La traduction anglaise du mot latin adeaqualitas est souvent approximate equality, termes auxquels certains préfèrent pseudoequality.
(1) En fait, Fermat présente plusieurs méthodes différentes pour résoudre ce problème ; nous analysons ici uniquement celle qui se trouve au début du chapitre intitulé « Méthode pour la recherche du maximum et du minimum » (aux pages 121 à 156 de la référence consultée).
(2) Dans ses Œuvres, Fermat illustre sa méthode par plusieurs exemples semblables ; celui-ci est le premier d’entre eux et le plus simple.
(3) De manière à mieux expliquer le raisonnement de Fermat, nous modifions légèrement la figure originale en changeant l’orientation de la parabole (afin de caractériser celleci par une équation simple) et révisons également quelque peu les notations de Fermat : en fait, par rapport à la figure initiale, nous échangeons les lettre D et O, puisque le sommet de notre parabole est l’origine O du plan.
(4) En effet, la connaissance de a entraîne celle de E, et la tangente recherchée, qui est la droite passant par B et E, peut alors être tracée.
(5) L. Euler (1707 – 1783) a précisé la notion générale de fonction et, à l’instar de Clairaut A. (1713 – 1765), a utilisé la notation f(x) pour désigner l’image par une fonction f d’un nombre x : elle lui semblait en effet mieux adaptée que celle initialement introduite J. Bernoulli (1667 – 1748), à savoir fx ou même φx.
(6) C. Huygens, Œuvres complètes, Martinus Nijhoff, La Haye, (1940), Tome 20.
(7) En effet, un réel non nul est tel que sa valeur absolue n’est pas inférieure, par exemple, à sa moitié.
(8) Les nombres infiniment petits non nuls ne figurent pas sur la droite numérique réelle, mais il est possible de les imaginer dans l’oculaire d’un « microscope infiniment puissant » qui permettrait de « distinguer » le réel 0 des différents éléments de son halo.
(9) Ils peuvent être envisagés à l’aide d’un « microscope infiniment puissant » centré sur n’importe quel réel non nul.
(10) Les infiniment grands peuvent être conçus virtuellement en recourant à des « télescopes infiniment puissants » dirigés vers l’extrême droite (pour les igp) ou l’extrême gauche (pour les ign) de la classique droite numérique réelle.
(11) En réalité, il s’agit de l’image de x par ce que l’on appelle l’ « extension naturelle » de f, cette fonction au sein des hyperréels jouissant exactement des mêmes propriétés que f dans les réels.
(12) Le cas des inégalités larges se traite semblablement.
(13) Œuvres de Fermat, Tome troisième, Traductions par M. Paul Tannery, Paris, GauthierVillars et Fils, imprimeurslibraires, M DCCC XCVI, p. 126. Dans le texte BibNum luimême, Fermat indique « on adégalera, pour parler comme Diophante,… ».
(14) Un hyperréel est dit appréciable lorsqu’il coïncide avec un réel non nul ou bien est infiniment proche d’un réel non nul.
(15) Rappelons qu’au sein des nombres hyperréels, on distingue trois ordres de grandeur : les nombres infiniment petits, les nombres appréciables et les nombres infiniment grands.
(16) En effet, si b diffère de 2a, l’expression (b 2a)/e est infiniment grande.
(17) Il est aujourd’hui prouvé que le « théorème de Fermat (pour les maximums) » s’applique non seulement aux fonctions polynomiales (considérées par le savant) mais aussi à des fonctions bien plus générales.
(18) Comme la définition en epsilon – èta du concept de limite ou le recours aux nombres hyperréels.
(19) Plus spécialement, la théorie des modèles.
(20) Voir l’onglet « Pour en savoir plus » du texte BibNum.
ARTICLES
Les deux références ci-dessous livrent un complément épistémologique à notre analyse, comparant notamment la méthode reprise dans l’extrait choisi à d’autres méthodes données par Fermat lui-même pour résoudre des problèmes semblables.
OUVRAGES
Pour des introductions pédagogiquement élémentaires de l’analyse non standard et une analyse didactique sur son enseignement, nous renvoyons les lecteurs à ces trois références :