« Sur une nouvelle sorte de rayons » (trad. de « Über eine neue Art von Strahlen »), Comptes-rendus des réunions de la Société physico-médicale de Würzburg, 28 décembre 1895.
1895
Ce texte est l’acte de naissance des rayons X, finement caractérisés par le physicien expérimental Röntgen, ce qui lui vaudra le premier prix Nobel de physique.
Le texte de Röntgen (1895) sur la découverte des rayons X est intéressant sur le fond, par la nature du phénomène découvert, comme sur la forme, par la qualité de la démarche scientifique de caractérisation qui sous-tend la découverte. L’analyse de J.J. Samueli, que nous remercions d’avoir mis à disposition de BibNum l’original allemand de l’article de 1895 (et de l’avoir traduit lui-même !) nous apprend, notamment, le fonctionnement d’un tube de Crookes – dans lequel les rayons X ont été découverts – et l’explication actuelle de la génération des rayons X, par « rayonnement de freinage » notamment. Il reprend aussi, point par point, la façon dont Röntgen caractérise ces nouveaux rayons, à commencer par l’appellation de « rayons X » qu’il leur donne.
Jean-Jacques Samueli est docteur d'État ès sciences physiques ; il a été notamment chef du service d'instrumentation nucléaire à l'Institut de Physique Nucléaire de Lyon.
Röntgen’s text (1895) on the discovery of X-rays is interesting both in terms of its content – the nature of the phenomenon he discovered – and the manner in which the text is presented, that is to say the quality of the scientific characterisation that underpins the discovery. This analysis by J. J. Samueli – whom we would like to thank for making the original German article of 1895 available on BibNum (and translating it from German himself!) – explains how a Crookes tube, the device in which X-rays were discovered, works. It also provides an up-to-date explanation of how X-rays are generated, in particular through “braking radiation”. The author also provides a step-by-step guide to how Röntgen characterises these new rays, starting with why he calls them “X-rays”.
Jean-Jacques Samueli (1933-2014) holds a state doctorate in physics. He has held various posts, including the directorship of the department of nuclear instrumentation at the Institute for Nuclear Physics in Lyon.
Le tube de Crookes
Sir William Crookes (1832-1919) avait inventé un dispositif expérimental appelé aujourd'hui tube de Crookes (ou tube à décharge, tube à gaz ou tube à cathode froide), afin d'étudier la fluorescence de minéraux. Ce tube est simplement une ampoule de verre comportant deux électrodes à ses extrémités : une cathode métallique, en aluminium, et une anode, qui sert de cible aux électrons. On fait le vide dans le tube mais il reste une pression d'air résiduelle de l'ordre de 100 Pa (environ un millième d’atmosphère). Une bobine d'induction est utilisée pour fournir une haute tension électrique entre anode et cathode. Il se produit alors une ionisation de l'air résiduel contenu dans le tube. Comme dans une pile, les ions positifs ainsi crées sont attirés par la cathode, qu’ils heurtent en arrachant d’autres électrons au métal de la cathode, eux-mêmes attirés par l’anode : avant la découverte de l'électron, on appelait "rayons cathodiques" le flux d'électrons arrivant sur l'anode ou sur la cible servant d'anode (comme la croix de Malte ci-dessous).
Figure 1 : Tube de Crookes (alimenté par une bobine de Ruhmkorff, visible à droite).Grâce au vide poussé au sein du tube, les électrons rencontrent peu de molécules sur leur trajet et conservent la grande vitesse (de l’ordre de 0,1c) acquise grâce au champ électrique. Certains dépassent l’anode et provoquent une fluorescence du verre, accentuée lorsque le fond du tube est recouvert d’un matériau fluorescent. La projection de l’ombre de la croix de Malte amena Hittorf (1824-1914) à émettre l’hypothèse que quelque chose se déplaçait de manière rectiligne au sein du tube, ce qui sera baptisé « rayon cathodique ».
Figure 2 : Radiographie aux rayons X de la main du médecin anatomiste Kölliker (1896)
§1 : Description du phénomène observé : Fluorescence induite à distance par une décharge dans un tube de Crookes.
§2 : La fluorescence de l’écran distant est bien provoquée par un rayon inconnu en provenance du tube, et non par la lumière solaire (visible ou ultraviolette) voire artificielle (arc électrique) avec laquelle on avait l’habitude d’observer jusqu’alors la fluorescence :
§2 : C’est aussi dans ce paragraphe que Röntgen nomme cet effet :
§2 : Ces rayons X passent à des degrés divers à travers la matière :
§3: L’absorption des rayons par les matériaux traversés est fonction de la densité de ces matériaux, mais à densité égale des différences existent.
§4 : L'absorption des rayons X par la matière croît avec l'épaisseur du matériau interposé.
§5 : Les métaux possèdent des transparences aux rayons X qui ne sont pas égales.
§6 : Les rayons X ne sont pas visibles par l’œil. Ils impressionnent les plaques photographiques.
§7 : Les rayons X, à la différence des rayons lumineux, ne sont pas déviés par des prismes de différents matériaux, ni concentrés par des lentilles.
§8 : Aucune réflexion régulière des rayons X n'est détectable.
§9 : Il est possible que la structure interne d'un matériau influe sur sa transparence aux rayons X.
§10 : L'intensité des rayons X détectés varie avec l'inverse du carré de la distance à l'anode du tube émetteur ; les rayons X sont peu atténués par l'air, alors que les rayons cathodiques le sont.
§11 : Les rayons X ne sont pas défléchis par un champ magnétique, alors que les rayons cathodiques le sont.
§12 : Les rayons X sont produits par les rayons cathodiques sur la paroi de verre du tube à décharge.
§13: Une tube de en aluminium – et non en verre – produit aussi des rayons X.
§14 : Le terme "rayon" est justifié par une propagation rectilinéaire.
§15 : Des expériences d'interférences se sont révélées négatives.
§16 : Des expériences de déflexion par un champ électrique ne sont pas encore achevées.
§17 : Röntgen ignore la nature des rayons X mais propose l'hypothèse selon laquelle ils seraient des "vibrations longitudinales de l'éther."
Le rayonnement de freinage, source d’apparition des rayons X dans le tube de Crookes
Le rayonnement de freinage, de l’allemand Bremsstrahlung, est un rayonnement électromagnétique à large spectre créé par le ralentissement de charges électriques. Lorsque l'on bombarde une cible avec un faisceau d'électrons, ceux-ci sont freinés et déviés par le champ électrique des noyaux de cette cible. Selon les équations de Maxwell-Lorentz, toute charge électrique dont la vitesse varie, en grandeur ou en direction, émet un rayonnement électromagnétique.
Figure 3 : Rayonnement de freinage. Les électrons passant à proximité des noyaux des atomes de la cible (à charge positive) sont déviés. Ils perdent de l’énergie et la différence d'énergie, pour un électron particulier, correspond à celle du photon X émis.
Comme la décélération des électrons n'est pas quantifiée, le rayonnement de freinage créé est un flux de photons dont le spectre en énergie est continu (7). L'énergie émise sous forme de photons X est prélevée sur l'énergie cinétique Ec de l'électron de charge e qui poursuit sa trajectoire avec une énergie cinétique plus faible E'c telle que :
Si l'électron a été accéléré sous une différence de potentiel U et si toute l'énergie de l'électron incident est transformée en rayonnement, on obtient :
et, pour la longueur d'onde minimale du spectre :
Figure 4 : C. T. Ulrey (Phys. Rev, 12, 47) a décrit en 1918 les spectres obtenus par bombardement du tungstène avec des électrons d'énergies comprises entre 20 et 50 keV. On vérifie que plus U augmente, plus la longueur d’onde λmin diminue (U = 20kV, λmin = 0,6Å ; U = 40 kV, λmin = 0,3Å). On vérifie aussi que la majeure partie du spectre correspond à une longueur d’onde entre 0,3 et 1Å, donc une fréquence C/ λ comprise entre 3.1018 Hz et 1019 Hz, dans la gamme des rayons X.
À la mort de Röntgen en 1923, la connaissance des rayons X s’est considérablement accrue grâce à la contribution d’un grand nombre de physiciens. L’anglais C.G. Barkla (1877-1944, prix Nobel 1917), étudiant la diffusion des rayons X, a montré (8) que le rayonnement diffusé est caractéristique du matériau constituant la cible. Max von Laue (1879-1960, prix Nobel 1914) établit en 1912 la nature ondulatoire des rayons X grâce à l’observation de la diffraction par un cristal (cette technique est une méthode de mesure des longueurs d'onde des rayons X, qui consiste à recueillir par un monocristal fixe le cliché de diffraction d'un faisceau de rayons X, dont le spectre est continu).
Moseley (1887-1915) précise en 1914 que l’intensité des raies X est fonction de Z2, Z étant le numéro atomique de l’élément considéré. Maurice de Broglie (1875-1960) conduit en France à partir de 1913 des travaux précurseurs, et développe en particulier la méthode du cristal tournant utile pour mesurer les distributions angulaires. Sir William Henry Bragg (1862-1942) et son fils, Sir William Lawrence Bragg (1890-1971), tous deux prix Nobel 1915, étudient, à partir de 1912, les cristaux à l’aide des rayons X et établissent la loi donnant la direction de leur diffraction entre les plans réticulaires : lorsque l'on bombarde un cristal avec un rayonnement dont la longueur d'onde est de l'ordre de la distance inter-atomique, il se produit un phénomène de diffraction, la loi de Bragg régissant cette diffraction en fonction de l’angle d’incidence. En 1922, Arthur Compton (1892-1962, prix Nobel 1927) étudie la diffusion des rayons X sur le graphite et découvre l’effet qui porte son nom.
L'effet Compton
Arthur Compton a été le premier à étudier la diffusion de photons X par les électrons d'une cible. Lorsque le photon cède une partie de son énergie à un électron qui est éjecté, le photon diffusé voit sa fréquence diminuer selon la relation de Planck liant l'énergie à la fréquence. Compton montra que le changement de fréquence ne dépend que de l'angle de diffusion pour une particule cible donnée (9). L'expérience de Compton décrite dans son mémoire de 1923, utilise la raie X dite K du molybdène pour bombarder une cible en carbone. Un spectromètre de Bragg permet la comparaison des spectres des rayons X primaires et des X diffusés.
Formule de la diffusion Compton
Considérons un photon d'impulsion et d'énergie se dirigeant vers un électron au repos d'énergie initiale mec2. Le photon est diffusé par l'électron dans une direction faisant un angle θ par rapport à la direction d'origine. L'électron prenant une direction Ф, l'impulsion du photon après diffusion sera et celle de l'électron .
Figure 5 : Schéma de la diffusion Compton
La conservation de l'impulsion et celle de l'énergie donnent l'équation de la diffusion Compton entre la longueur d’onde du photon incident et celle du photon diffusé :
L'auteur remercie vivement Alexandre Moatti pour sa participation à la rédaction de la présente analyse.