Einstein et l’article incompris de 1911

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Einstein et l’article incompris de 1911
Auteur : Albert Einstein (1879-1955)
Auteur de l'analyse : par Pierre Spagnou Ingénieur chez Thales Air Systems, auteur scientifique Enseignant à l’ISEP (Ecole d’ingénieurs du numérique)
Publication :

« De l’influence de la gravitation sur la propagation de la lumière », texte originalement publié en allemand en 1911 dans la revue Annalen der Physik, 35, pp. 898-908 [traduction française de Pierre Spagnou à partir de la traduction anglaise de Michael D. Godfrey, PDF disponible en ligne] [partie commentées en détail : introduction, première et troisième parties].

Année de publication :

1911

Nombre de Pages :
10
Résumé :

Cet article d’Einstein publié en 1911 reste l’un de ses travaux les plus cités et constitue aujourd’hui la référence pour les physiciens quand il s’agit de présenter une dérivation simple du décalage spectral gravitationnel, appelé couramment « effet Einstein ». Cet article possède une importance historique et pédagogique considérable, notamment parce que les physiciens continuent majoritairement à l’interpréter incorrectement, ce qui les conduit à ignorer l’origine purement relativiste de l’effet. Contrairement à l’article d’Einstein de 1907 « Du principe de relativité et des conséquences tirées de celui-ci » où il proposait une dérivation du décalage spectral gravitationnel proche de la version moderne, l’article de 1911 est beaucoup plus ambigu pour un non-spécialiste et peut conduire aisément à des contresens.
 

Source de la numérisation :
Mise en ligne :
août 2017

L’article intitulé « De l’influence de la gravitation sur la propagation de la lumière », qu’Einstein publie en 1911 constitue la deuxième étape (après son splendide article de 1907 « Du principe de relativité et des conséquences tirées de celui-ci ») dans sa longue route vers sa théorie de l’espace, du temps et de la gravitation, la relativité générale, qu’il établira en 1915. Dans cet article, Einstein utilise un nouveau point de vue pour prédire le décalage spectral gravitationnel (appelé communément « effet Einstein »). Le raisonnement ambigu d’Einstein dans cet article (fondé sur l’effet Doppler) continue en 2017 à être mal compris : il conduit une majorité de physiciens vulgarisateurs à interpréter incorrectement l’effet Einstein en ignorant son origine purement relativiste. Un bel exemple de propagation d’idées fausses qui court depuis plus d’un siècle.


Pierre Spagnou est ingénieur et auteur d’ouvrages de culture scientifique, notamment « De la relativité au GPS – Quand Einstein s’invite dans votre voiture », aux éditions Ellipses. Il enseigne l’histoire des sciences à l’ISEP  (Ecole d’ingénieurs du numérique) depuis 2012.

Einstein et l’article incompris de 1911
par Pierre Spagnou Ingénieur chez Thales Air Systems, auteur scientifique Enseignant à l’ISEP (Ecole d’ingénieurs du numérique)

Figure 1 : Albert Einstein au congrès Solvay de 1911

 

 

L’un des articles d’Einstein les plus cités et les plus mal compris

L’article d’Einstein de 1911 « De l’influence de la gravitation sur la propagation de la lumière » reste l’article historique de référence pour les physiciens quand il s’agit de présenter une dérivation simple du décalage spectral gravitationnel (effet Einstein). Pourtant c’est bien dans son article de 1907 « Du principe de relativité et des conséquences tirées de celui-ci », rédigé quatre ans plus tôt, qu’Einstein présente l’explication la plus proche de la version moderne correcte. Destiné à clarifier le sujet en l’attaquant depuis un angle différent, ce travail original mais ambigu de 1911 a été la source, à rebours des intentions de son auteur, d’un nombre incalculable d’erreurs d’interprétation dont la propagation se poursuit de nos jours dans une tranquille insouciance, aussi bien dans des cours d’introduction à la relativité que via des ouvrages de vulgarisation.

Nous nous focalisons ici sur la troisième partie (consacrée au temps et à la vitesse de la lumière dans un champ gravitationnel) de cet article, en mettant en relief les erreurs de compréhension fondamentales les plus fréquentes.

 

le plan de l’article

Le plan d’ensemble de l’article d’Einstein est le suivant :

Introduction

  1. Une hypothèse sur la nature physique du champ gravitationnel
  2. Sur la gravité de l’énergie
  3. Temps et vitesse de la lumière dans un champ gravitationnel
  4. Déviation des rayons lumineux sous l’effet du champ gravitationnel

 

Introduction

Einstein précise d’emblée dans l’introduction que son objectif est double.

Dans un article publié il y a quatre ans, j'ai essayé de répondre à la question de savoir si la propagation de la lumière est influencée par la gravité. Je reviens à ce sujet parce que la présentation que j’en ai faite à l’époque ne me satisfait pas, mais surtout parce que je me rends compte à présent que l’une des conséquences les plus importantes de mon traitement d’alors est susceptible d’être vérifiée expérimentalement.

La contribution d’Einstein publiée quatre ans plus tôt est le fameux article de 1907 « Du principe de relativité et des conséquences tirées de celui-ci[1] » dans lequel il énonce pour la première fois son principe d’équivalence (locale) entre accélération et gravitation et prédit un nouvel effet, le décalage spectral gravitationnel.

Revenons à l’objectif double d’Einstein : d’une part présenter une nouvelle dérivation théorique de l’effet qui porte son nom ; d’autre part proposer une expérience susceptible de vérifier dans un futur proche la déviation des rayons lumineux sous l’effet de la gravité.

Einstein n’indique pas pourquoi sa présentation de 1907 ne le satisfait pas mais on peut imaginer pourquoi. En 1907, il dérive l’effet qui porte son nom, autrement dit le décalage gravitationnel des fréquences, en raisonnant à l’intérieur d’une cabine uniformément accélérée. C’est la bonne façon de procéder ; mais le formalisme de Minkowski, qui va de pair avec une approche purement chrono-géométrique, n’est pas encore connu. Il apparaît en 1908, et Einstein n’en comprendra vraisemblablement l’importance pour sa théorie de la gravitation qu’après son article de 1911, puisqu’il ne publie aucun article sur la gravitation entre décembre 1907 et juin 1911 (ses travaux se concentrent sur la théorie quantique durant cette période). Sa manière d’argumenter dans le référentiel accéléré suscite beaucoup de critiques et d’incertitudes en 1907 quant à la validité du raisonnement et des calculs, d’autant qu’Einstein n’a pu fournir que des valeurs approchées. Einstein cherche donc en 1911 à attaquer le problème par un autre angle : il va raisonner dans le référentiel inertiel qui voit la cabine accélérer et la démonstration sera beaucoup plus simple – en fait presque trop ! –, d’où les erreurs qui vont s’enchaîner chez les physiciens plus réceptifs à ce procédé bien plus intuitif (qui les dispense en fait de raisonner de manière « relativiste »).

En ce qui concerne la déviation des rayons lumineux, Einstein comprend qu’il existe un moyen aisé de vérifier l’effet. Si l’on compare la position apparente des étoiles visibles à proximité du disque solaire lors d’une éclipse totale avec celle de ces mêmes étoiles en l’absence du Soleil, on devrait mesurer l’écart que prédit la théorie. Einstein fournit la valeur attendue dès 1911, sans se douter alors qu’elle n’est que la moitié de la valeur exacte (car il raisonne encore dans un espace plat). Les expéditions menées par Arthur Eddington lors de l’éclipse totale de 1919 permettront de confirmer la prédiction correcte, issue de la relativité générale qu’Einstein élabore en 1915. L’annonce dans la presse de la confirmation de la relativité générale par Eddington marque le début de la célébrité d’Einstein.

 

 

Figure 2 : Arthur Stanley Eddington (1882 – 1944) ; Figure 2bis (ci-dessous): Les résultats de l'éclipse totale de 1919 dans la presse. Crédit : New York Times, 10 novembre 1919 (à g.); Illustrated London News, 22 novembre 1919 (à dr.)

 

 

 

 

Première partie : une hypothèse sur la nature physique du champ gravitationnel

Einstein revient dans cette partie sur le principe d’équivalence (locale) entre accélération et gravitation, qu’il avait déjà énoncé dans son article de 1907. Il commence par poser l’existence de deux référentiels K et K’ :

Dans un champ gravitationnel homogène (accélération de la gravité γ), soit un système de coordonnées stationnaire K, orienté de façon à ce que les lignes de force du champ gravitationnel soient dirigées dans le sens négatif de l’axe z. Dans un espace libre de tout champ gravitationnel, soit un second système de coordonnées K’, animé d’une accélération uniforme (γ) dans le sens positif de l’axe z.

Einstein rappelle ensuite l’importance cruciale de la loi universelle de la chute des corps établie par Galilée au début des années 1600.

Cette expérience, celle de la chute identique de tous les corps dans un champ gravitationnel, est l’une des plus universelles que l’observation de la nature nous ait offerte ; pourtant cette loi n’a trouvé aucune place dans les fondements de notre compréhension générale de l’univers physique.

Alors que cette loi de Galilée avait été intégrée dans la théorie de Newton en constatant simplement l’égalité entre masse grave et masse inerte, le principe d’équivalence d’Einstein la fait passer du statut de simple coïncidence à celui de conséquence inévitable de la nature intrinsèque de notre univers :

Cependant, nous parvenons à une interprétation très satisfaisante de cette loi empirique si nous supposons que les systèmes K et K’ sont physiquement exactement équivalents, c’est-à-dire si nous supposons que nous pouvons aussi bien considérer le système K comme étant situé dans un espace libre de tout champ gravitationnel ; nous devons alors considérer K comme uniformément accéléré. Cette hypothèse de la parfaite équivalence physique ne nous autorise plus à parler d’une accélération absolue du système de référence, tout comme la théorie ordinaire de la relativité nous interdit de parler de la vitesse absolue d’un système. Cette supposition fait aussi apparaître l’identité de la chute de tous les corps placés dans un champ gravitationnel comme une évidence.

Einstein souligne avec justesse l’originalité de son approche par rapport à celle déjà audacieuse de Galilée :

Tant que nous nous limitons à des processus purement mécaniques dans le domaine où la mécanique de Newton s’applique, nous sommes certains de l’équivalence des systèmes K et K’. Mais notre approche ne possèdera une signification profonde que si les systèmes K et K’ sont équivalents vis-à-vis de tous les processus physiques.

Einstein insiste sur le fait que son principe d’équivalence est opératoire, c’est-à-dire permet d’inférer de nouvelles prédictions théoriques :

En considérant théoriquement des processus qui se déroulent relativement à un référentiel uniformément accéléré, nous obtenons de l’information sur le déroulement de processus localisés dans un champ gravitationnel homogène.

Il faut ensuite faire l’hypothèse que les prédictions ainsi dérivées peuvent se généraliser à des champs de gravitation non homogènes (comme le champ terrestre).

Nous allons à présent analyser la troisième partie de cet article « Temps et vitesse de la lumière dans un champ gravitationnel » où Einstein propose une nouvelle dérivation du décalage spectral gravitationnel, d’apparence plus simple que celle de 1907 – mais aussi plus propice à la confusion.

 

Troisième partie : temps et vitesse de la lumière dans un champ gravitationnel

Einstein ne fait pas mention du raisonnement très différent (et à la portée beaucoup plus générale) qu’il avait utilisé en 1907 (sur lequel nous reviendrons) et propose une nouvelle solution du problème.

Rappelons que la situation physique étudiée est celle de l’intérieur d’un ascenseur (loin de toute source de gravitation) animé d’une accélération constante g avec des horloges réparties le long de l’axe du mouvement (donc réparties entre le plancher et le plafond). On cherche à déterminer quelle est la fréquence de l’onde électromagnétique reçue au plancher après qu’elle a été émise depuis le plafond. On utilise une horloge supposée parfaite à l’endroit où la fréquence du signal est mesurée (donc on dispose par exemple une horloge au plancher et une autre au plafond séparées de la hauteur h).

Si le rayonnement émis à l’intérieur du référentiel uniformément accéléré K’ depuis le point S2 en direction du point S1 était de fréquence  par rapport à l’horloge en S2, alors, à son arrivée en S1, il n’aura plus la fréquence  par rapport à une horloge identique en S1, mais une fréquence augmentée , telle que, en première approximation :

 

(2)                          

Si nous introduisons à nouveau le référentiel non accéléré K0, par rapport auquel K’ est immobile au moment où le signal lumineux est émis, alors la vitesse de S1 par rapport à K0 vaut , à l’instant où le rayonnement lui parvient, et la relation ci-dessus s’obtient immédiatement comme l’expression de l’effet Doppler.

 

Einstein parle ci-dessus d’une démonstration triviale fondée sur l’effet Doppler classique qu’il ne prend pas la peine de détailler. Nous allons néanmoins le faire.

Le faisceau lumineux met approximativement le temps   pour atteindre le plancher depuis le plafond de l’ascenseur accéléré, si l’on pose t = 0 pour l’instant d’émission. Au bout du temps t, l’ascenseur atteint la vitesse  par rapport au référentiel inertiel K0. Le récepteur au plancher voit donc arriver l’onde lumineuse alors qu’il s’en approche à la vitesse . Vu du référentiel inertiel, nous concluons qu’il existe un effet Doppler (classique), donc que l’onde est reçue au plancher avec une fréquence augmentée.

Il est important de noter que cet effet Doppler dont nous parlons pour cette expérience de pensée est d’un genre particulier. Habituellement, l’effet Doppler est défini comme un décalage entre la fréquence de l’onde émise et celle de l’onde reçue lorsque l’émetteur et le récepteur s’éloignent ou se rapprochent l’un de l’autre. Ici, nous décrivons une situation dans laquelle récepteur et émetteur restent en permanence à une distance fixe l’un de l’autre. Toutefois la situation est similaire à l’effet Doppler « standard » dans le référentiel inertiel puisque, entre l’émission du signal et sa réception, la distance à parcourir varie d’une impulsion à l’autre du fait de l’accélération de l’ascenseur.

Revenons à l’article de 1911. Einstein utilise ensuite son principe d’équivalence comme un pont lui permettant d’inférer des effets gravitationnels à partir de ceux prédits en considérant des mouvements accélérés.

Conformément à notre hypothèse d’équivalence des systèmes K’ et K, cette équation est valable également pour un référentiel stationnaire K0 dans un champ de gravitation uniforme, si la transmission par rayonnement y a lieu comme décrit précédemment.

Nous remplaçons  par le potentiel gravitationnel en S2 – celui en S1 étant pris égal à 0 – et nous supposons que la relation que nous avons déduite pour le champ gravitationnel homogène reste valable aussi pour d’autres formes de champ. On obtient:

(2a)                                                     

 

Einstein retrouve donc l’effet qu’il avait déjà prédit en 1907 et qui porte aujourd’hui son nom : la fréquence d’une onde électromagnétique émise depuis un point situé à l’altitude h (par exemple sur Terre) arrive augmentée au sol de la quantité indiquée ci-dessus. Précisons qu’il y a trois valeurs à distinguer clairement dans cet effet : la fréquence du signal mesurée au point d’émission, la fréquence d’un signal identique qui serait émis au niveau du sol et la fréquence du signal reçu au niveau du sol après avoir été émis depuis l’altitude h. Les deux premières valeurs sont égales tandis que la fréquence de l’onde reçue est augmentée. Bien sûr, si l’on émet l’onde depuis le sol vers le point à l’altitude h, la fréquence de l’onde reçue à l’altitude h sera cette fois-ci diminuée par rapport à celle de l’onde émise.

Einstein quantifie ensuite cet effet pour la lumière en provenance du Soleil. La précision requise n’était pas hors de portée mais Einstein remarque fort justement que de nombreux facteurs compliquent les mesures.

Si les conditions dans lesquelles les raies du Soleil apparaissent étaient exactement connues, ce décalage serait susceptible d’être mesuré. Toutefois, comme d’autres facteurs (pression, température) affectent la position des centres des raies spectrales, il est difficile de déterminer si l’influence inférée du potentiel gravitationnel existe réellement.

 

De fait, ce n’est pas avec la mesure de la lumière en provenance d’objets célestes (telle que proposée par Einstein) que la première vérification de l’effet Einstein fut un succès, mais grâce à une expérience purement terrestre entre le pied et le sommet d’une tour d’une vingtaine de mètres, celle de Pound et Rebka en 1960. On sait aujourd’hui détecter en laboratoire l’effet Einstein entre deux points séparés verticalement d’une hauteur de seulement 30 cm.

 

 

Figure 3 : Principe de l'expérience de Pound et Rebka (1960).

 

 

Pour parvenir à mesurer entre le pied et le sommet d’une tour un décalage relatif de fréquence très faible, c’est-à-dire de l’ordre de 10-15, Pound et Rebka ont eu l’idée astucieuse d’exploiter l’effet Mössbauer, qui nous assure que l’absorption ou l’émission de photons gamma par les noyaux atomiques dans un cristal a lieu sans effet de recul. En émettant des rayons gamma depuis le sommet d’une tour jusqu’à son pied, il est possible d’observer un phénomène d’absorption résonante au bas de la tour (avec des atomes identiques). En éloignant à la bonne vitesse la source de rayonnement au sommet de la tour, on crée un effet Doppler qui compense l’effet Einstein, la fréquence étant diminuée par l’éloignement de la source. On estime la valeur de l’effet Einstein à partir de la vitesse d’éloignement (très faible) qui déclenche l’absorption résonante au bas de la tour.

On a aussi réussi à mettre en évidence l’effet pour la lumière en provenance de naines blanches (qui correspondent au stade ultime d’une étoile comme le Soleil). Quant à la détection de l’effet pour le Soleil lui-même qu’évoque Einstein en 1911, les meilleures mesures[2] datent de 1991 et l’accord avec la théorie est de l’ordre de 2%.

 

 

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Nous en venons à un passage crucial de l’article. Einstein remarque ce qui semble être une contradiction dans le raisonnement.

A première vue, chacune des équations (2) ou (2a) semble énoncer quelque chose d’absurde. Si la lumière se propage continûment de S2 à S1, comment peut-il parvenir en S1 un nombre de périodes par seconde différent de celui émis en S2 ?

En effet, si l’on admet que la vitesse de propagation de la lumière à l’intérieur de la cabine accélérée reste constante, le temps que met chaque impulsion à parcourir la distance h reste identique et il ne peut pas y avoir d’effet Doppler.

Comment résoudre ce paradoxe apparent ? La solution passe par une remise en cause du temps universel unique de Newton :

Ce que mesure v2 est le nombre de périodes par seconde par rapport à l’unité de temps de l’horloge U en S2, tandis que v1 correspond au nombre de périodes par seconde par rapport à l’unité de temps de l’horloge identique en S1. Rien ne nous oblige à admettre que les horloges U situées en des potentiels gravitationnels différents doivent battre au même rythme.

Einstein poursuit :

Au contraire, nous devons définir précisément le temps dans K de telle façon que le nombre de creux et de bosses de l’onde entre S2 et S1 soit indépendant de la valeur absolue du temps : en effet le processus examiné est par nature stationnaire. Si nous ne satisfaisions pas cette condition, nous parviendrions à une définition du temps telle que celui-ci interviendrait explicitement dans les lois de la nature, et ce procédé serait certainement artificiel et inapproprié.

Le raisonnement ci-dessus d’Einstein est ambigu car il donne l’impression que la résolution du paradoxe reposerait sur une pure convention : la façon de définir le temps. Or, comme l’avait bien montré Einstein dans son article de 1907, le point essentiel en relativité est la multiplicité des temps propres indépendamment du procédé utilisé pour synchroniser les horloges. Pour un relativiste, ce n’est pas tant la synchronisation parfaite des horloges (qui renvoie au procédé de synchronisation utilisé) qui est essentielle mais la désynchronisation des horloges parfaites (effet relativiste qui est totalement indépendant du procédé de synchronisation employé). Einstein a-t-il oublié voire renié en 1911 son approche audacieuse de 1907 ? Difficile de trancher mais il semble en tout cas qu’en 1911, il a simplement choisi de privilégier provisoirement une présentation très différente de celle de 1907, qui ne contribue pas vraiment à clarifier le sujet, contrairement aux souhaits de son auteur.

En conséquence les deux horloges en S1 et S2 n’indiquent pas “à la fois” le “temps” correctement. Si nous mesurons le temps en S1 avec l’horloge U, alors nous devons mesurer le temps en S2 avec une horloge qui bat fois plus lentement que l’horloge U lorsqu’on la compare à U au même endroit. En effet la fréquence du rayon lumineux considéré ci-dessus, lorsque nous la mesurons à l’aide d’une telle horloge, est

Elle est donc, par la formule (2a), égale à la fréquence  du même rayon de lumière à son arrivée en S1.

 

Einstein ci-dessus raisonne en fait sans le savoir – sa théorie de la relativité générale date de 1915, soit quatre ans plus tard – avec ce que nous appelons aujourd’hui le temps-coordonnée : un temps qui permet d’étiqueter l’espace-temps sans pouvoir être mesuré réellement au point considéré. Il s’agit du temps qui serait mesuré en un point donné en l’absence de champ gravitationnel (ou par un observateur à l’infini). Si l’on suppose qu’on ajuste le rythme des horloges parfaites selon leur localisation dans le champ gravitationnel de sorte qu’elles demeurent synchronisées, cela revient à utiliser le temps-coordonnée.

Il s’intéresse ensuite aux implications sur la mesure de la vitesse de la lumière.

De ceci nous tirons une conséquence qui est d’une importance fondamentale pour notre théorie. En effet si nous mesurons la vitesse de la lumière à différents endroits dans le système K’ accéléré et sans gravitation, en utilisant des horloges U aux propriétés identiques, nous obtenons la même valeur en tout point. La même remarque s’applique également, avec notre hypothèse fondamentale, pour le système K.

Einstein insiste fort justement sur une propriété de la lumière qui est trop souvent occultée : sa vitesse de propagation en un point donné (donc si elle est mesurée à l’endroit où se trouve l’observateur) est toujours égale à c, y compris dans un champ gravitationnel. Cette invariance locale (valable aussi bien pour un observateur accéléré qu’en présence de gravitation) est une propriété essentielle.

Néanmoins nous avons vu que nous devons utiliser des horloges aux propriétés différentes pour mesurer le temps à des endroits qui diffèrent par leur potentiel gravitationnel. Pour mesurer le temps en un point qui, par rapport à l’origine des coordonnées, correspond à un potentiel gravitationnel , nous devons utiliser une horloge qui – une fois transférée à l’origine des coordonnées – bat fois plus lentement que l’horloge utilisée pour mesurer le temps à l’origine des coordonnées.

Si nous notons la vitesse de la lumière à l’origine des coordonnées c0, alors la vitesse de la lumière en un point où le potentiel  gravitationnel est   sera donnée par la relation

(3)                                                                  

Einstein nous dit que si l’on utilise le temps-coordonnée (autrement dit, si on utilise des horloges parfaites au rythme ajusté de façon à maintenir la synchronisation dans tout l’espace indépendamment du champ gravitationnel), la vitesse de la lumière mesurée à l’aide de ces horloges n’est plus constante mais varie selon la valeur du potentiel gravitationnel au point considéré. Une vitesse ainsi mesurée est ce que nous appelons aujourd’hui une vitesse-coordonnée (car calculée à partir du temps-coordonnée).

 

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Dans la dernière partie de son article, Einstein utilise ainsi cette vitesse-coordonnée pour prédire la déviation des rayons lumineux rasant le Soleil. Certains auteurs (toujours prompts à revenir à un point de vue non relativiste) en profitent pour arguer que la lumière se propagerait plus ou moins vite dans le champ gravitationnel, celui-ci agissant de façon analogue à un milieu plus ou moins dense qui ralentirait l’onde électromagnétique dans son parcours. Einstein, à l’époque où il rédige son article, n’a pas encore compris qu’il lui faudrait raisonner avec un espace-temps courbe pour sa future théorie de la gravitation.

En fait, la vitesse-coordonnée n’a pas de réelle signification physique car le choix des coordonnées est indifférent en relativité générale. Les dérivations modernes pour les trajectoires diverses de la lumière en présence de gravitation ne se fondent plus du tout sur cette notion artificielle de vitesse-coordonnée (la vitesse mesurée localement étant toujours c) mais sur les géodésiques de longueur nulle[3] dans un espace-temps courbe. La lumière « se contente » d’épouser la courbure de l’espace-temps et se propage de proche en proche invariablement à la vitesse c. Einstein le comprendra dans les années qui suivirent cet article après un travail acharné qui lui permit d’aboutir en 1915 au remarquable édifice que constitue la relativité générale.

Nous allons à présent nous attarder sur quelques idées fausses tenaces concernant l’effet Einstein qui ont fait suite à cet article.

 

 

L’effet Einstein n’est-il qu’une conséquence du principe d’équivalence et de rien d’autre ?

Si l’on oublie l’article de 1907, on pourrait croire que l’effet Einstein n’a rien de relativiste : Einstein le dérive ici à partir d’un simple effet Doppler du premier ordre. Cela ne prouve-t-il pas que cet effet résulte uniquement du principe d’équivalence dans le cadre de la cinématique newtonienne avec son temps universel unique ?

À lire cet article d’Einstein de 1911, on pourrait s’y laisser prendre ; bon nombre de physiciens continuent aujourd’hui de le penser et commettent ainsi un contresens complet.

Il faut d’abord comprendre que l’on peut effectivement dériver l’effet Einstein dans le cadre de la cinématique newtonienne, si on se limite aux ondes électromagnétiques. Le raisonnement dans le référentiel inertiel qui voit la cabine accélérer conduit effectivement à un effet Doppler, du fait de l’accélération. Toutefois, comme Einstein le remarque dans cet article de 1911 (certes de façon ambiguë par rapport à son raisonnement de 1907), la cinématique newtonienne ne permet pas de rendre compte de la situation physique à l’intérieur de la cabine accélérée. Il faut admettre la multiplicité des temps propres. Si la cinématique newtonienne s’appliquait, cela impliquerait (selon la loi classique d’addition des vitesses) que la vitesse de la lumière en un point donné de la cabine varierait puisque la cabine accélère par rapport à l’onde émise. Or la vitesse de la lumière est invariante localement puisqu’elle a la propriété de se propager toujours à la vitesse limite dans le vide. Si l’on part de cette hypothèse, la cinématique newtonienne ne prédit pas d’effet Einstein. De plus, si on raisonne non plus avec la lumière mais avec des objets quelconques (par exemple des balles de tennis envoyées à intervalles réguliers depuis l’intérieur de la cabine), la physique newtonienne prédit là encore un effet nul (contrairement à la relativité).

Certains auteurs persistent à croire au caractère essentiellement non relativiste de l’effet Einstein en remarquant qu’il s’obtient en première approximation par un simple effet Doppler en v/c : il n’y a pas de terme « relativiste » en v2/c2, par conséquent comment croire à une origine purement relativiste ? Il y a là effectivement un leurre qu’on retrouve aussi avec l’effet Sagnac[4] via un terme où la vitesse intervient au premier ordre. Pour des objets tout à fait quelconques expédiés à intervalles réguliers du plancher au plafond d’une cabine uniformément accélérée, la relativité prédit bel et bien cet effet Doppler du premier ordre, tandis que la cinématique newtonienne prédit un effet nul. Croire que seuls les termes supérieurs au premier ordre en v/c sont relativistes est une idée fausse.

En fait, l’effet Doppler considéré est une variante très spéciale de la version standard (où le terme en v/c est non relativiste) : il se produit pour un émetteur et un récepteur qui restent en permanence à une distance fixe l’un de l’autre. La cinématique newtonienne prédit correctement pour la lumière l’effet vu du référentiel inertiel mais pas ce qui se passe à l’intérieur de la cabine rigide accélérée : elle prédit incorrectement une variation de la vitesse de la lumière telle que mesurée dans la cabine.

Ce qu’il faut bien comprendre est qu’il n’est pas possible d’obtenir la chrono-géométrie de la relativité générale grâce au principe d’équivalence en partant de la cinématique newtonienne. L’effet Einstein est purement relativiste : on a besoin pour le prédire correctement (même en première approximation) de partir de la chrono-géométrie singulière de la relativité restreinte et c’est le principe d’équivalence qui permet de passer de cette chrono-géométrie purement cinématique à une autre plus générale qui inclut la gravitation. Nous détaillons le raisonnement plus loin.

 

Ne faut-il pas admettre qu’il existe de multiples explications également valables pour l’effet Einstein ?

Une autre question mérite d’être posée : après tout, est-ce si anormal de disposer de plusieurs explications très différentes mais également valables pour le même effet ?

Il est tout à fait vrai qu’en physique, il n’est pas rare pour un effet donné d’avoir plusieurs explications différentes. Toutefois, il est la plupart du temps possible de les départager car les théories qui les sous-tendent ne prédisent pas en général les mêmes effets dans d’autres situations. C’est l’expérience qui permet alors de trancher.

Par exemple, l’absence de variations dans la vitesse de la lumière lors de l’expérience d’Arago[5] ou lors de celle de Michelson et Morley pouvait s’expliquer de nombreuses façons mais la plupart se sont révélées fausses.

L’entraînement partiel de l’éther[6] supposé par Fresnel pour expliquer les résultats négatifs de l’expérience d’Arago de 1810 s’inscrit dans la cinématique newtonienne mais celle-ci est incapable de prédire d’autres effets physiques bien réels (comme la désynchronisation des horloges parfaites).

En résumé, toutes les explications ne se valent pas : la cinématique newtonienne est capable de prédire l’effet Einstein pour le cas particulier de l’onde électromagnétique (si on se limite au référentiel inertiel global) mais est impuissante à prédire l’universalité de l’effet (observable en principe quel que soit le processus physique périodique considéré).

 

Le raisonnement correct d’Einstein en 1907 dans la cabine rigide uniformément accélérée

Rappelons quelle est la dérivation correcte (applicable à n’importe quel processus physique périodique) de l’effet Einstein à partir du principe d’équivalence. C’est grosso modo le raisonnement utilisé par Einstein en 1907. Il repose sur une analyse détaillée (dans le cadre de la relativité restreinte) de la situation physique pour une cabine rigide uniformément accélérée[7].

 

D’abord un référentiel inertiel :

Imaginons un ascenseur très loin dans l’espace (soustrait à toute influence extérieure). Nous pouvons le considérer comme inertiel : dans ce référentiel, tout corps libre suivra un mouvement rectiligne à vitesse constante.

Accrochons du plancher jusqu’au plafond des horloges supposées parfaites au rythme identique et idéalement synchronisées. Ces horloges sont donc espacées verticalement d’une distance fixe. Dans l’ascenseur « immobile », ces horloges parfaites resteront synchronisées conformément à la relativité restreinte.

 

Ensuite un référentiel uniformément accéléré :

A présent, supposons que l’ascenseur subisse une accélération constante selon l’axe où sont disposées les horloges. La relativité restreinte prédit que les horloges parfaites à l’intérieur de l’ascenseur qui sont en permanence à une distance fixe les unes des autres vont se décaler : les temps propres enregistrés par ces horloges (le nombre de cycles comptés)  seront différents d’une horloge à l’autre. Ceci signifie que si nous avions des jumeaux (des quintuplés par exemple) à la place des horloges, leurs âges vont se décaler. Une variante du fameux « paradoxe » des jumeaux. Il n’y a aucune contradiction logique. La situation est « paradoxale » uniquement parce qu’elle heurte le sens commun.

 

Figure 4 :  Horloges désynchronisées dans une cabine rigide uniformément accélérée (point de vue de l'horloge au plancher).

 

Comment expliquer simplement cette multiplicité des temps propres dans l’ascenseur accéléré ?

 

Nous serions tentés de conclure que les horloges ne se décalent pas puisque nous pourrions penser qu’elles se déplacent à la même vitesse à tout instant dans le référentiel inertiel global qui voit l’ascenseur accélérer.

Mais ce raisonnement est incorrect. Voyons pourquoi.

Tout d’abord la condition de rigidité implique que toute horloge à l’intérieur de l’ascenseur mesure une distance fixe par rapport à une autre horloge de l’ascenseur. Le temps d’aller-retour pour un signal électromagnétique entre les deux horloges reste constant à l’intérieur du référentiel accéléré. Une autre façon d’énoncer la condition de rigidité (dite de Born) est de dire qu’il existe pour toute horloge à l’intérieur de l’ascenseur un référentiel inertiel local (qui change d’un instant à l’autre) par rapport auquel les horloges gardent une distance fixe les unes par rapport aux autres. Cette condition de rigidité est cruciale en relativité et nous allons voir pourquoi.

Vu du référentiel inertiel global, la distance entre deux horloges à l’intérieur de l’ascenseur diminue puisque l’ascenseur accélère : c’est la contraction des longueurs (ici variable) prédite par la relativité restreinte. Il s’agit de la distance entre deux horloges mesurée au même instant pour les deux horloges dans le référentiel inertiel global.

Les horloges ne gardent donc pas une distance fixe dans le référentiel inertiel global : leurs vitesses diffèrent de même que leurs accélérations. Nous en concluons que leurs temps propres seront différents : c’est la désynchronisation cinématique des horloges parfaites prédite par la relativité restreinte.

Précisons que l’accélération n’est constante pour une horloge donnée que par rapport au référentiel inertiel local et non par rapport au référentiel inertiel global. Une horloge ne peut pas avoir une accélération constante par rapport au référentiel inertiel global car cela impliquerait qu’elle finirait par dépasser la vitesse limite (qui est celle de la lumière). Son accélération varie donc en fonction du temps. À l’intérieur de l’ascenseur accéléré, chaque horloge mesure localement une accélération constante mais qui varie d’une horloge à l’autre.

Pour satisfaire le critère de rigidité, les accélérations mesurées par rapport au référentiel inertiel local doivent varier nécessairement d’un point à l’autre de l’ascenseur et tout ceci est parfaitement cohérent.

Ne pas confondre avec une autre situation (cabine non rigide) :

La situation ci-dessus décrite doit être distinguée d’une autre : supposons que deux horloges sont immobiles dans un référentiel inertiel global mais séparées d’une certaine distance selon un axe. Que se passe-t-il si les horloges se mettent à accélérer séparément mais exactement de la même façon le long de cet axe. Ici nous n’imposons plus le critère de rigidité. Les horloges gardent la même vitesse par rapport au référentiel inertiel global : elles ne se décaleront pas. En revanche, la distance séparant les deux horloges telle que mesurée par chacune des horloges ne sera pas constante.

Utilisons à présent le principe d’équivalence :

En appliquant le principe d’équivalence locale d’Einstein entre accélération et gravitation, on peut passer de la situation de la cabine  uniformément accélérée (rigide) à celle d’une cabine « immobile » plongée dans un champ gravitationnel. On en déduit que des horloges placées à différentes altitudes dans le champ gravitationnel terrestre vont se décaler car leurs temps propres cumulés seront différents.

C’est la bonne explication pour prédire l’effet Einstein (en première approximation) mais on ne la trouve dans pratiquement aucun ouvrage de vulgarisation. L’une des raisons est la croyance fausse selon laquelle la relativité restreinte ne permettrait pas d’étudier le point de vue d’observateurs accélérés.

 

 

 

 

 

L’universalité de l’effet Einstein

Nous avons déjà évoqué ce point mais c’est un aspect essentiel de l’effet Einstein qui prouve son caractère purement relativiste : son universalité. Cet effet peut en principe être observé indépendamment de la nature des « objets » utilisés : des ondes, des particules ou des corps massifs quelconques expédiés à intervalles réguliers.

La relativité via le raisonnement exposé précédemment permet de prédire cette universalité puisqu’elle est la simple conséquence de la disparité des temps propres cumulés aux points de réception et d’émission. Son origine est purement chrono-géométrique. C’est pourquoi la cinématique newtonienne avec son temps universel unique ne permet pas de prédire l’effet dans le cas général.

Notons que la situation est similaire pour un autre effet purement relativiste (et d’origine purement cinématique) : l’effet Sagnac.

 

Le raisonnement correct via la relativité générale

Bien sûr, la dérivation rigoureuse[8] de l’effet Einstein passe par la relativité générale (qui n’existait ni en 1907 ni en 1911). Toutefois elle est assez proche du raisonnement déjà formulé par Einstein en 1907.

Dans son article de 1907 (et dans une moindre mesure dans celui de 1911 discuté ici), Einstein raisonne sans le savoir avec une métrique de Minkowski généralisée pour la cordonnée temporelle, mais avec une courbure spatiale nulle. Ce n’est pas un problème pour l’effet Einstein puisque le raisonnement concerne deux horloges distantes statiques. Les termes spatiaux sont donc nuls.

Cela revient à utiliser (implicitement) la métrique :

 

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L’analyse de ces réflexions einsteiniennes de 1911 offre une belle opportunité de rappeler quelques vérités souvent ignorées :

  • L’effet Einstein (en tant que décalage spectral gravitationnel) est purement relativiste : combiner la cinématique newtonienne (via l’effet Doppler classique) au principe d’équivalence ne suffit pas pour expliquer correctement l’effet ;
  • Il s’obtient en combinant la relativité restreinte (multiplicité des temps propres dans une cabine rigide uniformément accélérée) avec le principe d’équivalence ;
  • Il est universel, donc s’applique à n’importe quel processus physique périodique, par exemple l’envoi à intervalles réguliers de balles de tennis ;
  • Il s’explique par la disparité entre les durées propres enregistrées dans des régions où les potentiels gravitationnels sont différents ;
  • La dérivation de l’effet via le raisonnement ci-dessus (en considérant la situation physique à l’intérieur d’une cabine rigide uniformément accélérée) est un bel exemple de la capacité de la relativité restreinte à décrire le point de vue d’observateurs accélérés ;
  • La vitesse de la lumière n’est pas ralentie dans sa progression par le champ gravitationnel : la vitesse-coordonnée n’est pas invariante certes mais elle n’a pas de signification physique réelle en relativité. Ce qui compte est que la vitesse de la lumière mesurée localement est invariante, la lumière se propageant à la vitesse c de proche en proche le long de géodésiques de longueur nulle dans un espace-temps courbe.

 

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Plus d’un siècle après la publication de cet article important d’Einstein, force est de constater qu’il s’agit d’un travail qui reste encore très souvent mal interprété, en partie (mais pas seulement) à cause de ses propres ambiguïtés.

En fait, on ne peut comprendre facilement cet article de 1911 sans avoir lu sur le même sujet l’article de 1907. Il s’agit d’un jalon très intéressant d’Einstein dans son cheminement personnel vers la relativité générale. Toutefois ce travail étant « au milieu du gué », certaines de ses tournures sont devenues caduques (pour Einstein lui-même par la suite) et doivent être présentées comme telles.

Dans quelle mesure les confusions conceptuelles chroniques au sujet de la relativité, dont souffrent certains physiciens, sont-elles un frein aux progrès théoriques en physique ? L’avis des philosophes des sciences serait ici bienvenu mais il ne semble pas exister actuellement de véritable prise de conscience du problème.

Avec un peu d’ironie, nous pouvons conclure que les incompréhensions suscitées par cet article d’Einstein (datant de 1911) sont un bel exemple de l’influence de la gravité des préjugés en physique sur la propagation des idées fausses.

 

 

(août 2017)



[1]. Voir l’analyse Bibnum de cet article de 1907 par Pierre Spagnou, mai 2015.

[2]. LoPresto, J. C., Schrader, C. and Pierce, A. K., “Solar gravitational redshift from the infrared oxygen triplet”, Astrophys. J., 376, 757–760 (1991).

[3]. Une géodésique de longueur nulle est une trajectoire entre deux points pour laquelle la longueur définie par la métrique de l’espace-temps courbe (qui est une combinaison de coordonnées d’espace et de temps) est nulle.

[4]. Voir l’analyse Bibnum, Pierre Spagnou, « Sagnac et l’expérience à contresens », octobre 2013. On pourra aussi consulter l’article de Malykin “The Sagnac effect: correct and incorrect explanations”, Physics 43 (12) 1229 – 1252 (2000). Malykin fait une remarque similaire dans son excellente conclusion.

[5]. Voir l’analyse BibNum de ce texte d’Arago (1810/1853), par James Lequeux, septembre 2008.

[6]. Voir l’analyse BibNum de l’article de Max von Laue (1907), par Jean-Jacques Samueli et Alexandre Moatti, novembre 2010.

[7]. Pour des précisions complémentaires, on pourra consulter l’excellent article récent : Uri Ben-Ya’acov, « The ‘twin paradox’ in relativistic rigid motion », European Journal of Physics, Volume 37 (2016).

[8]. Voir le livre de Pierre Spagnou, Les mystères du temps - De Galilée à Einstein, CNRS Editions (2017). La démonstration (simple) est fournie dans l’annexe C.

 

L’article de 1911 d’Einstein

  • (en allemand) « Über den Einfluss der Schwerkraft auf die Ausbreitung des Lichtes », Annalen der Physik, 35 (1911), pp. 898-908 (Gallica) (traduction française partielle par P. Spagnou, onglet ‘à télécharger’ de BibNum)

  • (en anglais) traduction anglaise de Michael D. Godfrey, PDF disponible en ligne.
  • (en français) traduction par P. Spagnou (à partir de la version anglaise), onglet BibNum ‘à télécharger’).

 

Livres                                    

  • Pierre Spagnou, Les mystères du temps - De Galilée à Einstein, CNRS-Editions (2017), collection "Le banquet scientifique" dirigée par Jean Audouze (lien). Voir plus particulièrement les chapitres  « La désynchronisation gravitationnelle des horloges parfaites » et « L’effet Einstein ».

  • Pierre Spagnou, Déjouez les idées fausses en physique, Editions Ellipses (2017) (lien). Voir plus particulièrement pour notre article les idées fausses 19 et 20.

 

  • Eric Gourgoulhon, Relativité restreinte : Des particules à l'astrophysique, EDP Sciences (2010). Voir plus particulièrement pour notre article : § 12.3.1 Pour la désynchronisation des horloges parfaites dans un référentiel accéléré § 22.2 Pour le principe d’équivalence et l’effet Einstein.

 

Articles récents (pour approfondir)

  • Uri Ben-Ya’acov, “The ‘twin paradox’ in relativistic rigid motion”, European Journal of Physics, Volume 37 (2016). PDF disponible en ligne (ArXiv).
     
  • G.F. Torres del Castillo, C.I. Pérez Sánchez, “Uniformly accelerated observers in special relativity”, Revista mexicana de física, Volume 52 (2006). PDF disponible en ligne.