« Essai de Minéralogie du Département du Gard », Extrait du Bulletin de la Société d’Etude des Sciences Naturelles de Nîmes, Vol 29 – 42 (1902).
1902
Cet ouvrage recense les espèces minérales connues du Gard. Des plus communes aux plus rares, P. de Brun dresse un inventaire aussi exhaustif que possible des minéraux et de leurs localisations dans le département.
En 1902, Pierre De Brun, Receveur des Domaines, membre de la Société d’Étude des Sciences Naturelles de Nîmes, publie son Essai de Minéralogie du Département du Gard. Amateur éclairé, passionné de sciences naturelles, et plus particulièrement de minéralogie et de paléontologie, il dresse en une centaine de pages une liste aussi exhaustive que possible des minéraux présents dans ce département. Cet ouvrage n’est certes pas un grand classique de la minéralogie scientifique, tels que peuvent être considérés les six tomes de La Minéralogie de la France et de ses colonies par Alfred Lacroix, Professeur au Museum National d’Histoire Naturelle de 1893 à 1936, et Secrétaire Perpétuel de l’Académie des Sciences pendant 34 ans. Il n’en reste pas moins emblématique des écrits qui caractérisent la minéralogie de cette fin du XIXe et début du XXe siècle : un savoureux mélange de descriptions objectives, documentées, précises des espèces minérales, et d’éléments plus anecdotiques au style littéraire, qui fait, aujourd’hui encore, le bonheur des minéralogistes amateurs et des historiens des sciences.
Martin Tiano est ancien élève de l'École Normale Supérieure de Lyon, docteur en chimie, enseignant de physique-chimie et président de l'association de diffusion des sciences Lyon Science
En 1902, Pierre de Brun (1874-1941), receveur des Domaines, membre de la Société d’Étude des Sciences Naturelles de Nîmes, publie son Essai de Minéralogie du Département du Gard. Amateur éclairé, passionné de sciences naturelles, et plus particulièrement de minéralogie et de paléontologie, il dresse en une centaine de pages une liste aussi exhaustive que possible des minéraux présents dans ce département. Cet ouvrage n’est certes pas un grand classique de la minéralogie scientifique, tels que peuvent être considérés les six tomes de La Minéralogie de la France et de ses colonies par Alfred Lacroix (1863-1948), professeur au Museum national d’histoire naturelle de 1893 à 1936, et Secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences pendant 34 ans. Il n’en reste pas moins emblématique des écrits qui caractérisent la minéralogie de cette fin du xixe et début du xxe siècle : un savoureux mélange de descriptions objectives, documentées, précises des espèces minérales, et d’éléments plus anecdotiques au style littéraire, qui fait, aujourd’hui encore, le bonheur des minéralogistes amateurs et des historiens des sciences.
Figure 1 : P. de Brun (collection Museums de Provence-Alpes-Côte d’Azur)
Un ouvrage « catalogue » accessible aux non spécialistes
Pierre de Brun revendique l’écriture d’un livre simple, accessible à un public lettré non spécialiste. Ainsi écrit-il dès son introduction :
Voulant éviter de faire une œuvre par trop scientifique, j'ai négligé volontairement les parties et cristallographiques et optiques [...] grâce auxquelles on tombe souvent dans un excès de formules peu compréhensibles, sinon pour les initiés. Je me range, du reste, dans la catégorie de ceux qui ne le sont pas et c'est à eux que je m'adresse.
Cette phrase nous interroge sur le statut d’écrit scientifique de cet ouvrage. L’auteur ne déclare-t-il pas lui-même faire partie des non-initiés aux éléments les plus rigoureux de la minéralogie ? On verra en fin d’analyse qu’il n’en est rien. Pierre de Brun assume néanmoins la tenue de propos compréhensibles, expurgés d’éléments qui nuiraient au propos global de cet essai.
Par ailleurs, s’il fallait résumer l’organisation de ce travail en quelques mots, avec la pointe de dédain qui semble parfois caractériser notre regard sur les ouvrages des naturalistes du xixe, on pourrait le qualifier d’un simple catalogue de minéraux sommairement organisé. Ils sont ainsi réunis dans quatre groupes :
Bien sûr, un tel dédain n’est en rien justifié, et c’est dans le soin apporté aux détails que la lecture de cet essai de minéralogie devient captivante.
Pour chaque espèce minérale : une analyse de la littérature, des examens complémentaires, et une description du lieu de la découverte
Chaque espèce minérale s’y retrouve ainsi décrite avec soin, la littérature scientifique analysée et éventuellement questionnée, et les lieux décrits avec grande précision. Voici ce qu’on peut lire, par exemple, sur la Goethite, minerai accessoire de fer :
Goëthite (H2Fe2O4).
P. S. = 3, 8 à 4,4 – D = 5 à 5, 5. Syst. rhombique[1].
Soluble dans l'acide sulfurique. Couleur variant du jaune-rougeâtre au brun-noirâtre. Poussière jaune.
Em. Dumas (t. 2 ; p. 715) la cite et je l'ai retrouvée dans les géodes siliceuses du Trias, près le souterrain d'Alzon. Elle y est du reste assez rare et s'y présente en petits cristaux aciculaires isolés, implantés entre les prismes de quartz hyalin ou les rhomboèdres de calcite, qui tapissent l'intérieur de ces géodes.
Figure 2 : Goethite sur quartz, Tarn. Un aspect probablement proche de celui des géodes du souterrain d’Alzon évoquée par P. de Brun (WikiCommons, auteur Didier Descouens, CC BY 3.0 )
On remarque la façon assez rudimentaire, si l’on peut dire, dont sont caractérisés les minéraux : densité, dureté, mais également solubilité dans des acides, couleur de la « poussière ». Il faut cependant rappeler que ces méthodes de caractérisation sont toujours utilisées – et bien pratiques, au demeurant.
On trouvera également la réaction produite au chauffage. Ainsi de Brun caractérise-t-il l’opale :
Mêmes propriétés chimiques que le quartz, sauf qu'elle décrépite au chalumeau et ne fait pas feu au briquet [nous soulignons]
Certains minéraux ont des notices beaucoup plus développées. C’est le cas de la Blende (ZnS), un des principaux minerais du zinc, exploitée en de nombreux endroits dans le département, en particulier autour du Vigan.
Figure 3 : Blende en petits cristaux rouges, de Saint-Laurent-Le-Minier (Gard) (avec l’aimable autorisation de Le Sablais, modérateur sur le site http://www.geoforum.fr)
De même, les différentes variétés de quartz y sont détaillées une à une, depuis le quartz hyalin (incolore) jusqu’à l’améthyste, plutôt rare dans le département :
L'Améthyste (variété violette), n'existe que dans les filons au milieu du granite : au col de Lamirat, aux Plaines, à la Baumette, à Caderle, St Jean-du Gard (1) et avec la barytine au Pigeonnier (Générargues) (7); - vis à vis le moulin des Adams (Corbès) (1); – dans le lit du ruisseau de Fabret, près l'Espérou (Valleraugues) (2).
Figure 4 : Améthyste trouvée sur une route forestière près de l’Espérou (Valleraugue). Son origine locale reste à confirmer par la découverte du filon en place dont elle serait issue. (Photo : Martin Tiano)
Contexte géologique et historique
L’intérêt que porte Pierre de Brun au Gard est tout sauf un hasard. Il s’agit sans aucun doute d’un département des plus riches, minéralogiquement parlant, de France métropolitaine. Et ce, grâce à son contexte géologique tourmenté et varié.
Le Gard se trouve coupé en trois zones séparées par deux failles quasi parallèles. Au sud de la faille de Nîmes se trouvent le Bas-Pays et les Costières, caractérisés par des dépôts sablo-argileux. Plus au nord se trouve la zone des Garrigues, dominés par les marnes et les calcaires. Au-delà de la Faille des Cévennes, se trouvent en particulier les terrains cristallins (schistes et granite) et les roches datant du Carbonifère.
C’est au niveau de cette faille et au nord de celle-ci que se concentre la plus grande partie des espèces décrites par de Brun : accompagnée d’un réseau de failles secondaires, elle a permis à de nombreux gîtes minéraux d’affleurer. Dans cette zone torturée d’un point de vue géologique, se retrouve la plupart des sites miniers du département : bassin houiller d’Alès, mais également mines de zinc, plomb argentifère, cuivre[2].
Figure 5 : Carte géologique du Gard (reproduit avec l’aimable autorisation de J.-P. Rolley, Géologie du département du Gard, PDF en ligne).
Pierre de Brun cite tout particulièrement les mines de Saint-Laurent-Le-Minier, à l’ouest du département, dans laquelle il note la présence de blende, soufre natif, barytine, galène, etc., ainsi que « l’ancienne mine » de Laval-Pradel au Nord-Est (malachite, azurite, mimétèse – renommée depuis mimétite –, pyrite, galène, pyromorphite, etc. ).
Plus au Nord, c’est le massif granitique et en particulier sa zone de contact avec des roches sédimentaires du Trias qui sont à l’honneur : À l’ouest du Vigan, à proximité du département de l’Aveyron, les calcaires et dolomies ont été métamorphisés au contact du granite, faisant apparaître des minéraux variés. Ainsi, Pierre de Brun a-t-il retrouvé dans cette zone du grenat grossulaire, de l’andalousite, de la wollastonite, de la greenookite, ...[3]
Figure 6 : Macrophotographie de minéraux de Laval-Pradel, Gard (avec l’aimable autorisation de Frédéric Hède)
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Cette rapide description du contexte géologique dans lequel s’inscrit cet essai de minéralogie ne saurait se passer d’une petite discussion sur le contexte historique de ce département, et plus particulièrement l’histoire minière des Cévennes. Même si l’exploitation des substances telles que le zinc, le plomb, le cuivre, ou le charbon n’est pas réellement abordée par Pierre de Brun, il n’en reste pas moins que les Cévennes gardoises de la fin du xixe et du début du xxe siècle étaient le siège d’intenses activités minières. Ce qui ne pouvait que renforcer l’intérêt pour son ouvrage.
Ainsi, contrairement à l’image de havre de paix et de nature que constitue le Parc National des Cévennes, la région a connu une intense activité industrielle et minière lors du xixe siècle : charbon dans le bassin d’Alès et du Vigan, mais également plomb, cuivre, argent et surtout zinc dans toute la partie septentrionale du Gard. Ce dernier métal ne connaît en fait pas ou peu d’applications industrielles avant 1850, mais lorsque son utilisation se développe, notamment pour l’évacuation des eaux de pluies et les toitures, c’est une « ruée vers le zinc » qui a lieu dans la région. Si bien que vers 1900, on notait 116 exploitations en activité – de tailles très variables, de la simple galerie aux mines les plus développées.
Ce sont environ 20 000 personnes qui travaillent dans ce secteur économique majeur des Cévennes, alors principale région productrice de zinc en Europe. Cette activité périclite peu à peu au cours du xxe siècle, au gré des guerres mondiales, du cours des métaux, et surtout de la concurrence mondiale d’autres gisements. La dernière mine, celle de Saint-Laurent-Le-Minier, ferma les portes de ses quelques 300 kilomètres de galeries en 1991.
Les habitants des Cévennes subissent encore les conséquences de cette activité, comme à Anduze, où l’air et l’eau sont pollués par les métaux lourds de l’ancienne mine de Saint-Félix-de-Pallières. Les anciens déblais miniers sont par ailleurs très souvent visibles depuis les chemins de randonnées ou les habitations.
Une invitation à la découverte minéralogique
Mais revenons à l’ouvrage, et, au-delà du témoignage historique et épistémologique qu’il représente, à ce qui fait son charme et son intérêt aujourd’hui.
Je l’avoue : j’ai abordé ce livre comme une sorte de carte au trésor. Amateur de minéraux, je n’aime rien tant que parcourir cartes géologiques, travaux universitaires ou notices du BRGM (Bureau de Recherches Géologiques et Minières) pour préparer mes promenades et prospections minéralogiques. C’est au gré de ces recherches que cet Essai de minéralogie m’est apparu comme une référence dans le département que je parcours régulièrement. C’est ainsi que je me suis convaincu d’aller explorer les environs d’Arrigas pour y trouver du grossulaire :
J'ai découvert ce beau minéral dans les schistes métamorphisés au contact du granite à quelques centaines de mètres au-dessus du hameau de Vernhes (Arrigas). Dans ce gisement où il est très abondant à l’état de masses cristallines et de cristaux imparfaits jaune-orange ou jaune-miel, il est associé à l’idocrase, au diopside et à la wollastonite.
Ou encore, de prospecter du quartz dans la montagne de « Peyroubas », qui ne porte plus ce nom, pour y trouver des « pierres de Gigig », dont parle magnifiquement notre auteur :
[Quartz hyalins bipyramidés] en cristaux de 3 à 4 cts, dans une argile ferrugineuse, remplissant les poches d'un filon de quartz commun, dans le terrain primitif au sommet de la montagne de Peyroubas, au sud de Talayrac (Valleraugue) ; ces échantillons, réellement beaux, sont très connus des habitants du pays qui les nomment Pierres de Gigig. J'ai pu m'en procurer quelques-uns remarquables par leur netteté.
Figure 7 : Quartz « diamants » de Saint-Jean de Valériscle (limite Gard- Ardèche). Les « pierres de Gigig » auraient-elles le même aspect ? (photo Frédéric Hède)
Mais au-delà de ces précieuses indications, c’est l’écriture presque romanesque de Pierre de Brun qui m’a séduit : comment résister à son récit de la découverte d’un gisement présentant de beaux cristaux d’orthose ?
Mais le gisement le plus beau et le plus important, sans aucun doute, est celui que coupe dans la commune de Dourbies, le chemin entre Duzas et le Montet. Là, dans un filon de porphyre très altéré, réduit à l'état d'arène et d'une trentaine de mètres de puissance, qui traverse le granite, sont épars des milliers de cristaux d'orthose blancs ou rouges, variant de 5 à 8 centimètres de long. Leur surface est rugueuse, mais cela ne nuit guère à la netteté de leurs angles […] Pour donner une idée de la richesse de ce gisement, qui m'a été indiqué par M. Lacour, garde forestier à Dourbies, je dirais que seul, dans l'espace d'une demi-heure, j'ai pu recueillir plus de 200 cristaux entiers et choisis parmi des quantités d'autres. Ce filon de porphyre altéré n'est visible que sur le chemin ; ailleurs, il est caché par la bruyère.
Par ces passages, l’auteur transforme en effet le catalogue de minéraux en œuvre littéraire, dont on feuillette les pages avec délectation. Ici il signale la découverte d’une hachette polie en Silimanite, interrogeant sa provenance :
Il en a été trouvé une autre à peu près de même dimension dans le lit de la Vis près du domaine de Larcy (Alzon); elle est en ma possession. La matière de ces instruments provient-elle d'un gisement ignoré du Gard ? Vient-elle de l'Auvergne où elle existe en filons dans les gneiss et dont quelques rivières en roulent de nombreux galets ? Je ne sais. Ce serait une substance à rechercher dans le département.
Un peu plus loin, c’est une utilisation surprenante (et industrielle !) d’ossements préhistoriques qui est détaillée :
À une époque assez rapprochée de nous, pendant la période quaternaire, des dépôts d'ossements se sont formés dans les grottes et sont également exploités pour le phosphate de chaux qu'ils contiennent, en particulier, près de Cavillargues. Non loin des limites du département, entre Ganges (Hérault) et Saint-Laurent-le-Minier, la fameuse « Caverne des Ours » a été fouillée pendant très longtemps et des centaines de squelettes de ces animaux ont été broyés dans le moulin à bras établi près de l'entrée.
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Il existe probablement quantités d’ouvrages similaires à l’Essai de Minéralogie du Département du Gard de Pierre de Brun[4], datant de cet âge d’or de l’exploration naturaliste. Ils nous semblent aujourd’hui bien faibles scientifiquement. Ne sont-ils pas justement de simples inventaires, des catalogues d’espèces minérales (ou végétales, ou animales) la plupart du temps déjà connues ?
Ce serait oublier qu’ils ont fait le terreau des sciences géologiques, biologiques telles qu’elles existent aujourd’hui. Ce livre, comme d’autres de la même période, respecte bien les idées fondamentales du travail scientifique : expérimentation (ici : recherche et identification de minéraux), confrontation aux travaux antérieurs et inclusion dans une communauté de pratique scientifique (échanges avec notamment Alfred Lacroix et Emilien Dumas), et enfin publication des résultats. On retrouve d’ailleurs fréquemment mention de cet ouvrage dans les documents récents du B.R.G.M. et autres thèses de géologie ayant le Gard comme terrain.
Pour ma part, n’étant pas géologue de profession, je continuerai à l’utiliser pour mes prospections de minéralogiste amateur, jubilant à l’idée, quasi 120 ans plus tard, de retrouver les mêmes trésors que Pierre de Brun. N’est-ce pas une des plus belles façons de lui rendre hommage ?
(mai 2017)
[1]. P.S. : Poids Spécifique (densité); D : dureté sur l’échelle de Mohs. Emilien Dumas (1804-1870), paléontologue et géologue gardois, est l’auteur de Statistique géologique, minéralogique, métallurgique et paléontologique du département du Gard (1856).
[2]. En réalité la faille des Cévennes traverse 3 départements, de l’Ardèche (vers Aubenas) jusqu’à l’Hérault (vers Lodève). Les minéralisations affleurant ne concernent ainsi pas uniquement le Gard, mais également ces deux autres départements.
[3]. On pourra consulter également sur cette zone la thèse de géologie d’Alain Ziserman « Étude géologique et métallogénique de la région d'Alzon-le Vigan» (Paris, 1964), disponible en ligne grâce à l’Association de Géologie d’Alès et sa Région.
[4]. P. de Brun a par ailleurs écrit deux autres Essais de Minéralogie, non numérisés à ma connaissance, portant sur les Côtes-du-Nord (aujourd’hui Côtes-d’Armor) et la Haute-Loire.
Géologie et minéralogie générale
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