Extrait (Questions XIX, XXX) de Questions inouyes, ou Récréation des sçavans, qui contiennent beaucoup de choses concernantes la théologie, la philosophie et les mathématiques, 1634 ; Extrait (Questions I, II, X) de Questions théologiques, physiques, morales et mathematiques, 1634 ; Extrait (Question XI) de Préludes de l’harmonie universelle, 1634.
1634
Le père Marin Mersenne est connu pour les nombres premiers de Mersenne, pour ses travaux sur la musique et pour sa correspondance avec les savants de son temps. C’était aussi, dans une première partie de sa vie, un virulent prédicateur contre-réformiste.
Sylvie Taussig est ancienne élève de l’École normale supérieure (Lettres), agrégée de lettres classiques (1991), docteur ès-lettres. Elle est chargée de recherches au CNRS (Centre Jean Pépin, UPR 76). Spécialiste de la France sous Louis XIII, elle est aussi éditrice et traductrice, productrice d’émissions radiophoniques, ainsi qu’auteur de nombreux articles scientifiques et ouvrages (page de publications).
Une brève biographie de Mersenne
Marin Mersenne (Oizé, Sarthe, 3 septembre 1588 – Paris 1er septembre 1648) fait ses classes de grammaire au collège du Mans. En janvier 1604, les jésuites ouvrent les cours du collège de la Flèche dont il est l’un des premiers élèves (Descartes y arrive après Pâques 1604). De 1609 à 1611, il suit des cours à la Sorbonne et au Collège royal. Le 16 juillet 1611 il prend l’habit au couvent des Minimes de la Place royale et reçoit les ordres sacrés le 17 juillet 1612. En 1615-1618 il est professeur au Collège des minimes à Nevers, avant de retourner au couvent de la Place royale. Il fait quatre voyages : Pays-Bas (1629-1630), Est de la France (1639), Provence et Italie (1644-1645), provinces de l’Ouest et du Sud-Ouest (1646-1647). Dans sa Correspondance, il pose de nombreux problèmes (la cycloïde, la roulette par exemple), ce qui est un excellent ferment pour l’activité des savants et provoque la publication de bien des œuvres (disputes et chocs d’idées). Il devient le premier vulgarisateur des mathématiques et de la physique (Synopsis mathematica, 1626), insérant des textes anciens et des traités inédits qu’il commente. Gassendi est son plus ancien et plus cher ami. En sciences, il s’en tient à des expérimentations très minutieuses, à des faits positifs, s’interdisant tout système métaphysique. Il fait également de célèbres recherches sur l’acoustique (1627). En 1634, il formule des règles précises de la méthode scientifique (Questions inouyes ou Récréation des Scavans). Il soutient Galilée même après sa condamnation. Il commet des impairs (dispute entre Descartes, Fermat et Roberval en 1638 ; divulgation à bien des gens du manuscrit de Descartes des Méditations). En 1635, il réalise son projet d’organiser le travail scientifique collectif, créant et animant l’Academia parisiensis où se réunissent Mydorge, Carcavy, Pascal, Roberval, Huygens, etc. Cette académie est suivie de celle créée officiellement par Colbert en 1666. Il voyage en Italie et meurt entre les bras de Gassendi.
Mersenne, religieux de l’ordre des Minimes
L’ordre des minimes, créé vers 1436 en Calabre par saint François de Paule, est introduit en France par Charles VIII. Il se répand tant et si bien qu’il faut diviser le pays en deux Provinces en 1592, la Province de France dont le Provincial réside au couvent de Nigeon, sur le territoire de la paroisse de Chaillot à Paris (fondé en 1493, agrandi par Anne de Bretagne en 1496), et la Province de Champagne pour les pays de l’Est. Ses principales prescriptions sont la pénitence, l’amendement et l’humilité, qui constituent les trois vœux de religion, outre lesquels il y a le carême perpétuel, avec l’interdiction de manger de la viande, des œufs, du beurre, du fromage et tous les composés de lait ; les minimes observent le jeûne et le silence. L’ordre a pour armes le mot Charitas d’or, entouré de rayons sur champ d’azur.
L’habit des Minimes consiste en une robe d’étoffe commune, de laine noire non teinte, qui tombe jusqu’aux chevilles. Pour la doctrine, ils gardent la tradition scolastique et thomiste. L’étude n’est pas la préoccupation dominante, mais on compte des religieux instruits et même savants (Louis d’Alençon, médecin ; Jean Perceval, architecte ; Jean François, poète ; François de la Noue, théologien et auteur ascétique ; Jean François Niceron, physicien, élève de Mersenne ; Claude Rangueil). Les études profanes sont interdites aux Minimes, dans le souci de protéger la vie spirituelle et apostolique, même si saint François de Paule déclare qu’elles sont souverainement agréables à Dieu : des décisions sont donc prises par les chapitres généraux sur l’initiative du P. Gaspard Ricciolo del Fosso (entre 1535 et 1538), pour que les étudiants et lecteurs puissent être dispensés de l’assistance au chœur, surtout la nuit. Mais Mersenne assiste parfois à l’office de nuit.
Science et religion au XVIIe siècle
Avec le personnage de Mersenne, nous sommes amenés à remettre en cause une équation dont nous avons hérité d’un XIXe siècle marqué par une tension, alors inédite, entre un positivisme triomphant et une Église particulièrement rétrograde : en réalité, au XVIIe siècle, à la source de la science moderne, la progrès des connaissances ne voulait pas dire rejet de la religion. Pour Mersenne, qui fait figurer, inscrit de sa main, le sigle des minimes, CHARITAS, comme en-tête de toutes ses lettres, il est clair qu’il n’il y a pas de rupture entre les deux aspects de son existence, la vie contemplative de l’homme de prière et la vie active de l’homme de science. Je suis consciente de ma responsabilité ici, d’autant plus grande que je m’adresse à un public d’amateurs éclairés et de curieux, qui ne connaît pas tous les enjeux et peut difficilement lire entre les lignes ou mesurer toutes les implications. Alors que Mersenne passe pour un phare de la science moderne, ce qu’il est indubitablement, je ne veux pas le refaire basculer dans la bondieuserie, dans l’apologétique, au sens négatif du terme – il l’était mais dans un sens positif, ce sens que l’on ne pourfend pas chez un Platon, chez un Aristote, ou un Einstein : la vérité des sciences a chez lui quelque chose à voir avec la vérité de l’univers et la vérité divine. Tel est pour lui l’enjeu de la connaissance, l’enjeu de la recherche, et l’engagement d’un Mersenne comme animateur de la science s’inscrit dans sa lutte contre les sceptiques, c’est-à-dire contre l’idée qu’il est impossible de rien savoir et qu’il vaut donc mieux renoncer à chercher.
Les ouvrages publiés par Mersenne en 1633-1634
Les cinq traités publiés par Mersenne en 1634 ont paru en deux fois, à six mois d’intervalle : les deux premiers tout au début de l’année (ils sont sortis des presses en décembre 1633), et les trois autres pendant l’été 1634. Parmi ceux-ci, les Mechaniques de Galilée occupent évidemment une place à part. Mais les quatre autres recueils sont à peu près de même nature, même si les Questions harmoniques et les Préludes de l’Harmonie universelle sont surtout consacrés à la musique. Car la musique est plus que jamais au centre des préoccupations du minime en cette année où il achève enfin, pour l’essentiel, la rédaction de sa monumentale Harmonie universelle ; il lui reste à la retoucher encore pendant trois ans avant de la publier en 1637.
Question XIX : Quel estude est le meilleur de tous, et quelle occupation apporte plus de contentement, et de profit.
Question XXX : Un homme peut-il apprendre la philosophie tout seul par sa seule ratiocination, sans la lecture des livres ou la conférence des hommes sçavans.
Ainsi existe-t-il dès juillet 1634 deux versions des Questions, qui diffèrent par les questions 34, 37, 44 et 45. À voir les questions litigieuses (voir table en annexe) (21), on comprend que l’affaire ait pu faire quelque bruit ; mais, des questions de rechange que Mersenne formule, si la dernière est carrément ironique (« Est-il permis d’enseigner dans les Écoles que la terre est immobile ? ») et permet de découvrir chez notre minime un pince-sans-rire, les trois autres sont de vraies questions.
Je ne mets pas les Arts qui sont necessaires à la vie humaine entre les curiositez, mais seulement ceux dont il est aysé de se passer : car l’Agriculture et tous les Arts qui appartiennent au mesnage, par exemple, l’art de la pescherie, et de la chasse, l’art de boulanger, et de faire le beurre, etc. sont si utiles à la vie, qu’il est difficile de l’entretenir sans ces Arts que la necessité a fait rencontrer. Or les hommes monstrent evidemment par leur procedé, et par leurs exercices, qu’ils donnent plus de temps aux curiositez qu’aux choses necessaires, car les Canadois et plusieurs autres nations témoignent par leur façon de vivre que l’art de lire, et d’écrire, et que tous les arts, dont je parleray apres, ne sont pas necessaires ; et consequemment qu’ils peuvent estre mis au nombre des curiositez, car les doigts suffisent à nombrer tout ce dont on a besoin, tant parce qu’on recommence à nombrer par les mesmes doigts tant de fois que l’on veut ; ce qui se peut aussi faire avec de petits cailloux, qui ont donné le nom au calcul, sans qu’il soit besoin de jettons, ou de plume. L’on peut dire la mesme chose de la Geometrie, et de toutes les parties des Mathematiques, mais parce que l’on les a jugées necessaires en nostre temps, à raison de la guerre, des fortifications, et de plusieurs parties de la police, il vaut mieux mettre l’art des Floristes qui gouvernent les Tulipes (22), et les autres fleurs, et ceux qui font des cabinets de medailles, d’empreintes, de crayons, de portraits, d’images, et de tableaux, entre les curieux, d’autant que cet estude n’est pas necessaire à la Republique. Ce qu’il faut conclure aussi de ceux qui ramassent les gemmes, les camaieux, les pierres fines, les coquilles, les fruits estrangers, le scelet (23) des differentes especes de poissons, les papillons, les mouches, et les autres insectes (24). Je laisse l’art de filler la soye, de nourrir les vers (25), les bestes fauves, et les oyseaux, et de leur apprendre à parler : l’art de faire les Instruments de Musique, et d’en jouër, et generalement toutes les differentes sortes de jeux, et d’exercices tant de l’esprit que du corps, sans lesquels l’on peut vivre, et dont on n’a pas grand besoins, car l’on peut mettre tous ces Arts entre les principales Curiositez du monde : si ce n’est que l’on leur prefere l’estude des Astrologues, des Physionomes (26), et des Chyromanciens, et que l’on croye que toutes les gentillesses qui dependent des miroirs, des lunettes à longue et courte veuë, et des operations de Chymie (27), sont les principales curiositez. Or il y a plaisir de considerer ce que les hommes prisent davantage dans chaque genre de curiosités : par exemple, ce que l’on juge de plus excellent, et de plus remarquable parmy les coquilles (28), dont quelques-uns croyent que celles qui sont faites à vis, ou en helice qui va de droit à gauche sont fort rares, parce que toutes les autres vont de gauche à droit. Où l’on peut semblablement remarquer, que toutes les plantes et les herbes qui s’entortillent autour des pieux, ou des arbres qu’elles rencontrent, commencent et continuent tousjours leurs plis de droict à gauche, comme l’on expérimente aux poids de coq (29) et à toutes celles que l’on appelle Volubiles, excepté le seul houblon (30), qui s’entortille de gauche à droit (31). On tient aussi que les coquilles qui ont des notes de Musique, sont rares : ce qui arrive encore aux papillons (32), qui ont des lettres Grecques, ou d’autres characteres sur leurs ailes. Je laisse la maniere de tourner en l’air par le moyen de laquelle on fait des escaliers si menus en forme de colomnes torces, et en plusieurs autres manieres, que l’on a de la peine à les voir, ou à les tenir, encore qu’ils soient d’un pied de long. Je laisse toutes les subtilitez des pompes, des fontaines artificielles, des differentes manieres d’écrire occultement sans que l’on puisse apercevoir l’écriture (33) ; la maniere de titrer et de battre l’or, l’argent et les autres metaux, de faire les tapisseries de haute lice, et plusieurs autres Arts, qui peuvent estre mis au rang des curiositez, puis qu’ils ne sont pas necessaires à la vie humaine, comme l’on experimente chez les Toupinambous (34), Montagnards, et autres sauvages, qui vivent sans l’usage de ces Arts. D’où l’on peut aisément conclure que la plus grande partie de la vie et du labeur des hommes s’employe aux curiositez, et consequemment que l’on en employe la moindre à la necessité.
Corollaire
Il seroit à desirer que ceux qui ont des cabinets tres-rares, remarquassent ce qu’il y a de plus exquis dans chaque genre, et qu’ils advertissent de l’utilité que l’on en peut retirer pour les Arts, et pour les sciences : par exemple, qu’ils fissent un dénombrement des coquilles les plus rares (35), et dont on fait plus d’estime ; et puis des fleurs, et des oignons de tulipes, et des autres plantes etc. car il n’y a nul doute que l’on peut découvrir de grands secrets de la nature par la speculation de ses ouvrages, comme a fait Palissy, lors qu’il a trouvé le moyen de rendre une place imprenable par le moyen de l’helice, qui se remarque dans les coquilles, dont quelques-uns maintiennent que l’on peut user pour sçavoir quelle heure il est par les differentes couleurs, ou lumieres qu’elles font, à raison de leurs differentes reflexions (36). L’on pourrait aussi grandement profiter des differentes remarques que font les Jardiniers (37), et les Floristes en cultivant les plantes, car ils observent plusieurs choses dans les oignons, et dans les racines, qui peuvent aider à la physique. Et qui doute que la conduite de la durée et de la vie des plantes depuis leurs germes jusques à la maturité de leurs graines ne puisse nous servir de conduite pour la nostre, puisque toute la nature est si bien réglée, que les plus sçavans sont contraints de confesser que le moindre de ses ouvrages surpasse toute la sagesse, et la science des hommes, et qu’il est tout à fait impossible qu’elle les pousse, et les ameine au point de perfection, où nous les voyons, qu’elle ne soit conduite et aydée par une souveraine intelligence, qui nous oblige par des sentiments interieurs à l’adorer, et à l’aimer eternellement ?
Question II : D’où vient qu’il y a des hommes qui s’estiment si sçavans, et que les autres qui sont plus sçavans qu’eux s’estiment si ignorans ?
L’on pourroit respondre que quelques-uns font semblant de s’estimer sçavans, encore qu’ils cognoissent assez qu’ils ne sçavent rien, ou qu’ils sçavent fort peu de choses, parce qu’ils veulent acquerir de la reputation, afin de parvenir au dessein qu’ils se sont formés et qu’ils se sont proposés, et de paroistre les plus sçavans dans les compagnies, où ils se rencontrent, parce que voyant qu’ils y ont quelquefois reüssi et n’ayant rencontré personne qui leur ait peu, ou voulu resister, soit par respect et modestie, ou pour quelqu’autre raison, ils veulent entretenir le monde dans la bonne opinion que l’on a conceuë de leur capacité. Mais l’autre réponce est, peut-estre plus veritable, particulierement à l’égard de ceux qui se croyent tres-sçavans, et qui se sont persuadez que cela est, et qu’en effect ils peuvent instruire, et desabuser tout le monde : or ceste creance peut estre fondée sur ce qu’ils ont rencontré quelque façon de raisonner qui leur semble extraordinaire, soit pour discourir des difficultez de la physique, ou des autres sciences, ou parce qu’ils ont speculé quelque verité particuliere dont ils ne trouvent nulle connoissance ailleurs. Mais quand ils rencontrent quelqu’un qui ne leur cede point pour la facilité du discours, et qui a autant, ou plus de capacité qu’eux, ils se peuvent aysément desabuser, et quitter toute sorte de presomption, et de preoccupation d’esprit, quoy qu’il ne soit pas necessaire d’estre remis dans le bon chemin, quand on a assez d’esprit et de jugement pour cognoistre, et pour conclure que l’on ne sçait quasi rien dans la Physique, si l’on suit la definition de la science qu’Aristote a donnée : car si elle doit estre des objects eternels et immuables, et que Dieu puisse changer tout ce qui est dans la Physique, l’on n’en peut faire une science.
Corollaire
Il faut icy remarquer que le plus haut sommet de la science où les hommes puissent arriver, sert à les humilier, et à rabattre leur orgueil, d’autant qu’ils voyent clairement qu’apres avoir estudié l’espace de 60 ou 80 ans, qu’ils ont seulement travaillé à descouvrir et à recognoistre leur ignorance. De là vient que quelques-uns estiment que l’extreme science des hommes a le mesme effet qu’une extreme ignorance, et que toutes les extremitez se rencontrent au mesme but, comme le son grave, et l’aigu de l’Octave, ou du diapason, qui sont si semblables, qu’il est difficile d’en remarquer la difference. D’où l’on pourroit tirer plusieurs autres conclusions, que je reserve pour un autre lieu. J’ajouste seulement que chacun peut faire la preuve de ce corollaire sur soy-mesme, lors qu’il considerera qu’il s’imaginaoit pouvoir donner la raison de toutes choses à la sortie du cours de Philosophie, ou de Theologie, et qu’il sera contraint d’avoüer 20 ou 30 ans apres qu’il ne sçait nulle raison qui le contente, et qui luy soit si evidente, et si certaine, qu’il n’en puisse douter. C’est pourquoy il ne faut nullement craindre que la plus grande science que l’on puisse aquerir en ce monde remplisse l’esprit des sçavans de vanité, ou d’arrogance, attendu qu’il y a plus de danger qu’ils s’aillent cacher sans oser paroistre, et qu’ils demeurent dans un perpétuel silence, avec un desespoir d’arriver à quelque connoissance evidente, et infaillible des ouvrages de la nature, ou de ce qui se fait dans eux-mesmes, qu’il n’y en a qu’ils s’enorgueillissent de connoistre seulement qu’ils ne sçavent nulle chose avec assez d’evidence, et de certitude pour en establir une science. Car l’on peut dire que nous voyons seulement l’écorce (38), et la surface de la nature, sans pouvoir entrer dedans, et que nous n’aurons jamais autre science que celle de ses effects exterieurs, sans en pouvoir penetrer les raisons, et sans sçavoir la maniere dont elle agit, jusques à ce qu’il plaise à Dieu de nous delivrer de cette misere, et nous dessiller les yeux par la lumiere qu’il reserver à ses vrays adorateurs.
Question X D’où vient que les Romans, et les autres livres qui ne traittent pas des sciences, sont mieux vendus, que les livres qui parlent des sciences, et qui demonstrent plusieurs choses utiles, et nouvelles ?
Il n’y a nulle apparence que la raison de ce Phenomene se doive tirer de ce que la plus grande partie des hommes negligent les livres sçavans, parce qu’ils sont trop pleins de curiositez, puis qu’il n’y a rien qui les charme si puissamment, que d’apprendre des choses curieuses, et nouvelles, comme l’on experimente en tous ceux qui se plaisent à entendre ce qui arrive de nouveau, soit dans leur païs, ou ailleurs. Mais il semble que les Romans se vendent mieux, parce que tout le monde est capable de les lire, et que l’on y rencontre pas ordinairement des difficultez abstruses, qui desirent de grandes speculations, comme il arrive dans les livres, qui traitent des sciences, et qui semblent tous remplis d’épines aux ignorans. Les femmes, et les enfans se plaisent à l’histoire fabuleuse, ou veritable parce qu’elle n’a besoin que de la memoire, et de l’imagination, au lieu que les sciences requierent un jugement solide, et une pointe d’esprit, qui penetre tout ce qu’il y a de plus subtil, et de plus difficile dans la nature. Or puisqu’il se rencontre un moindre nombre de bons esprits, et d’hommes sçavans, il est evident que les livres qui leur plaisent, et qui répondent à leur capacité, doivent estre en moindre nombre que les Romans, et les histoires, ou les autres livres qui traittent d’une semblable matiere. Si l’on sçavoit le nombre des sçavans, et des ignorans, et de ceux qui prennent plus de contentement aux recherches curieuses des sciences, qu’aux discours du vulgaire, les Libraires sçauroient combien ils doivent tirer de copies de la Presse pour les uns, et pour les autres. A quoy l’on peut adjouster que l’excellence du stile des Romans est cause qu’ils se vendent mieux, au lieu que le stile des livres qui traittent des sciences, est le plus souvent assez rude, et qu’il est remply de plusieurs termes, qui ne sont entendus que de ceux qui ont estudié. D’ailleurs ils traitent pour l’ordinaire de la morale, et meslent des intrigues, et des rencontres, qui excitent, et esbranlent les passions des lecteurs, lesquelles sont ordinairement plus puissantes dans les ignorans, que dans les sçavans qui en ont esteint une partie par la frequente contemplation qu’ils font des souverains principes. Or tous sont capables des sentimens, et des reglemens de la Morale, tant parce que l’on nous contraint perpetuellement de les pratiquer, que parce que nous en sentons les semences dans nous mesme, sans qu’il soit necessaire de les prendre, ou de les recevoir d’ailleurs ; et consequemment tous sont capables de lire les Romans, qui sont pleins de moralitez. Finalement, tous confessent que l’amour est la plus puissante de nos passions, et qu’elle en est le commencement, et la fin ; et mesme l’on peut dire que toutes les autres passions ne sont que l’amour revestu de differentes couleurs ; or les Romans sont pleins de descriptions de l’amour, et n’ont point, ce semble, d’autre but, ny d’autre fin, que de faire aymer, et d’embraser leurs lecteurs de cette passion : c’est pourquoy il ne faut nullement s’estonner de ce qu’ils se vendent mieux que les livres des sciences : au contraire, il faudroit s’estonner s’ils ne se vendoient pas mieux : quoy que si l’on compare la science à l’amour, et les souveraines actions de l’entendement avec celles de l’appetit, ou de la volonté, celles-là soient, peut-estre, preferables à celles-cy ; mais cette difficulté doit estre reservée pour un autre lieu.
Corollaire
Si tous les hommes usoient parfaictement de la droite raison que Dieu leur a donnée, il n’y auroit plus de guerres, ny de querelles, ou de dissentions au monde, car tous auroient mesmes sentimens, et nul n’auroit jamais plus de contentement, apres les devoirs qu’il doit à la divine Majesté, que de faire toutes sortes de plaisirs à chacun : de sorte que celuy qui aurait besoin d’argent, de livres, de vestemens, ou de quelques autres commoditez, en trouveroit tousjours dix fois davantage qu’il n’en desireroit, parce que tous ses voisins, et ses amis luy porteroient à l’enuy tout ce qu’ils croyroient luy estre necessaire, utile, ou agreable. D’où il arriveroit que tous auroient un sujet tres-grand, et continuel d’élever les mains au Ciel, et de remercier la Bonté divine de tant de graces, ou plutôt de la supplier de retrancher une partie de tant de consolations. Or s’il se rencontre quelqu’un qui trouve du defaut dans cet heureux genre de vie, il est aysé de satisfaire à toutes les objections qu’il pourra faire, et à toutes les difficultés qu’il proposera, et de luy demonstrer qu’il ne contient autre chose que l’explication de la grande loy de la Morale, qui consiste à nous comporter envers tous les hommes, comme nous voudrions qu’ils se comportassent en nostre endroit.
Triste ennemy des belles choses Hyver couronné de glaçons, Esté qui meurit les moissons, Printemps qui fait fleurir les roses, Gresles, neiges, broüillards épais Loüés le Seigneur à jamais Celebrez son nom adorable, Tout ce qu’il produit est parfait Et cét univers admirable, De son divin pouvoir n’est qu’un petit-essait Theatre fameux des naufrages, Mer dont les flots impetueux Viennent d’un pas respectueux Baiser le sablon des rivages, Creux et vaste empire du vent, Dont le calme est si decevant Mole ceinture de la terre, Lien de cent peuples divers Champ de la paix et de la guerre Bénissez à jamais l’Autheur de l’Univers.
Février 2010
Annexe – Liste des Questions inouïes et des Questions théologiques, physiques, morales et mathématiques
Le titre complet des Questions inouyes est, en quelque sorte, à trois étages :
Questions inouyes
Ou recreation des scavans
Qui contiennent beaucoup de choses concernantes
la theologie, la philosophie et les mathematiques.
q. i : À sçavoir si l’art de voller est possible, et si les hommes peuvent voller aussi haut, aussi loin et aussi viste que les oyseaux.
q. ii : Peut-on cheminer sur l’eau sans miracle et sans magie.
q. iii : Pourquoy l’eau qui est dessus un homme qui va au fond d’une riviere, ne pese-elle point sur luy.
q. iv : La Perspective est-elle plus difficile et de plus grande estenduë que la Musique.
q. v : Quels corps sont plus aisez à faire mouvoir, ou rouller sur la terre, ou sur un plan.
q. vi : Peut-on dire si le corps qui tombe de haut en bas, ou que l’on jette contre terre, ou contre un autre corps, se reflechira, et combien il se reflechira.
q. vii : À sçavoir combien la terre contient de grains de sable, supposé qu’elle en soit composée, et si l’homme est plus grand au regard de la terre, qu’un ciron au regard de l’homme.
q. viii : Quelles sont toutes les mesures de la terre, de combien le Soleil en est-il esloigné, et quelle est la vistesse du mouvement de ce roy des Astres.
q. ix : Quelles sont les mesures ou les grandeurs du Ciel des Estoiles, que plusieurs appellent le Firmament, et combien fait-il de lieuës dans un jour, dans une minute, et dans toute autre sorte de temps.
q. x : Quels sont les mouvements de la mer, et quelles en sont les causes : Où il est aussi parlé de la quadrature du cercle.
q. xi : Peut-on sçavoir si la terre se meut tous les jours autour de son axe, et chaque année autour du Soleil, et s’il y a des habitans dans les Astres.
q. xii : Tous les hommes agissent-ils tellement pour leur propre interest qu’ils ne puissent le quitter entierement.
q. xiii : Si trois marchands mettent quatorze écus en compagnie, et que l’on ne sçache point la somme d’aucun en particulier, peut-on sçavoir la mise de chacun, en supposant seulement que l’argent du premier y ait demeuré cinq mois, celuy du second vingt-deux mois, et celuy du troisiesme trente-neuf mois. …
q. xiv : Peut-on sçavoir en quelle proportion la lumière se diminue ou s’augmente en s’esloignant ou en s’approchant du Soleil, ou de quelque autre luminaire.
q. xv : Peut-on imiter les productions naturelles dans les actions de la Morale, en y appliquant la proportion Géométrique.
q. xvi : Est-il vray que le pain ou le fer chaud, ou enflammé, soient plus legers que quand ils sont froids.
q. xvii : Est-il necessaire de mettre quatre éléments au monde, à sçavoir la terre, l’eau, l’air et le feu.
q. xviii : Peut-on sçavoir quelquechose de certain dans la Physique, ou dans les Mathematiques ?
q. xix : Quel estude est le meilleur de tous, et quelle occupation apporte plus de contentement, et de profit.
q. xx : Les bateaux et les escuelles de bois, et les autres vases qui sont d’une matiere plus legere que l’eau, vont-ils au fond quand ils sont pleins d’eau ; et quand on les enfonce jusques audit fond de l’eau, y demeurent-ils ?
q. xxi : Peut-on faire des navires, et des bateaux qui nagent entre deux eaux.
q. xxii : Le Soleil, et les autres Astres, ont-ils la lumiere de soy, ou d’ailleurs.
q. xxiii : À sçavoir si l’on peut, et si l’on doit establir un mesme commencement de jours par toute la terre, et par tout le monde.
q. xxiv : Peut-on sçavoir au vray à quelle heure, à quel jour, en quel mois, et en quelle année le monde a commencé, et quand il finira.
q. xxv : Peut-on dire combien chaque homme a de cheveux dans la teste, et concevoir le nombre infiny ?
q. xxvi : Qui sont les principaux theoremes de la Geometrie qui servent à l’analyse, et dont on tire une plus grande quantité de conclusions.
q. xxvii : Peut-on tellement escrire les dictions de chaque langue que tous les estrangers les puissent prononcer comme il faut ; et doit-on plustost escrire comme l’on a coustume de prononcer que de retenir la maniere ancienne d’escrire, qui a beaucoup de lettres superfluës.
q. xxviii : Les principes de la Chymie sont-ils capables de nous faire cognoistre les vraies raisons de la Physique ?
q. xxix : Les Mathematiques peuvent-elles servir pour la Theologie et pour la Physique ?
q. xxx : Un homme peut-il apprendre la Philosophie tout seul par sa seule ratiocination, sans la lecture des livres, ou la conference des hommes sçavans.
q. xxxi : Toute sorte de rarefaction produit-elle de la chaleur, ou de la lumiere.
q. xxxii : A-t’on maintenant plus de cognoissance de quelque art ou de quelque science que les Anciens.
q. xxxiii : Est-il vray que l’onguent sympathique, et les autres semblables guarissent les absens.
q. xxxiv : Est-on plus leger apres que l’on a desjeuné que devant desjeuner ?
q. xxxv : Peut-on faire un miroir qui brusle en tel lieu que l’on voudra, jusques à l’infiny ?
q. xxxvi : Peut-on apprendre à composer en Musique dans l’espace d’une heure, ou dans moins de temps ?
q. xxxvii : Pourquoy l’aymant attire-t-il le fer, et pourquoy se tourne-t’il vers le Pole. 2. Pourquoy le flux et le reflux de la mer est-il si bien reglé. 3. Pourquoy son eau est-elle salée. 4. Le mouvement perpetuel est-il possible ; 5. Pourquoy la glace nage-elle sur l’eau. 6. et comment la volonté peut-elle suivre la lumiere de l’entendement, puisqu’elle ne peut rien voir ?
LES
QVESTIONS
THEOLOGIQVES,
PHYSIQVES, MORALES,
ET MATHEMATIQVES.
Où chacun trouvera du contentement,
ou de l’exercice.
(Mersenne remplace certaines questions sensibles – eu égard à la condamnation de Galilée en 1633 – par d’autres questions dans la seconde édition de 1634 ; les questions de la première édition sont figurées en italiques)
I. Qu. Quelles sont les principales curiositez qui occupent les hommes ?.
II. Quest. D’où vient il y a des hommes qui s’estiment si sçauans, & que les autres qui sont plus sçauans qu’eux s’estiment si ignorans ?
III. Quest. Est-il vray que l’Estain calciné, est plus pesant apres avoir esté calciné, que lorsqu’il est crud.
IV. Quest. A sçauoir si les corps pesans augmentent tousiours leur vistesse quand ils descendent au centre de la terre.
V. Quest. Pourquoy la poudre de l’or, que l’on appelle fulminant, de tonnerre fait ell vn grand bruit, quand elle sent la chaleur ?
VI. Quest. Comment les metaux peuvent-ils s’engendrer dans la terre, puis que le Soleil ne penetre pas si auant.
VII. Quest. Quelle est la plus grande portée des Arquebuses, & de l’artillerie, & en quelle proportion les boulets diminuent ils leur force, & leur vitesse ?
VIII. Quest. Quelle est la ligne de direction qui sert aux Mechaniques ?
IX. Quest. Peut on donner la raison de tout ce qui arrive à la Romaine & aux balances ?
X. Quest. D’où vient que les Romans, et les autres livres qui ne traittent pas des sciences, sont mieux vendus, que les livres qui parlent des sciences, et qui demonstrent plusieurs choses utiles, et nouvelles ?
XI. Quest. Pourquoy les gens de lettre, c’est-à-dire les hommes sçauans, ne parviennent-ils pas pour l’ordinaire à de si grades fortunes, que ceux qui sont vaillans, ou qui ont quelqu’autre addresse.
XII. Quest. A sçavoir si l’on peut trouver la vraye longitude, ou la distance des Meridiens, tant sur la mer que sur la terre, pour l’usage de la nauigation ?.
XIII. Quest. Quelle est la chose la plus admirable de tout le monde.
XIV. Quest. D’où vient que la plus grande partie des hommes preferent l’argent, ou le lucre à la science, & à l’honnesteté.
XV. Quest. Peut-on inventer, et faire un mouuement perpetuel ?
XVI. Quest. La quadrature du cercle est-elle impossible ?
XVII. Quest. Les Talismans & les metaux, ou les autres corps que l’on grave pour attirer les influences du Ciel, ont ils quelque vertu particuliere?
XVIII. Quest Les camaieux & Gamahez ont-ils quelque force on signification.
XIX. Quest. A quoy seruent les sections Coniques, & quel peut estre leur vsage.
XX. Quest. A sçavoir si l’on peut lire dans les astres parle moyen des miroirs, & si l’on peut connoistre les choses futures dans les Estoiles ?
XXI. Quest. La lumiere est-elle visible, et distincte des couleurs ? il est aussi parlé des corps terrestres qui ont de la lumiere en eux.
XXII. Quest. Quelles sont les vertus occultes, la sympathie,& l’antipathie, d’où elles viennent.
XXIII. Quest. D’où vient le grand contentement que l’on reçoit lors que l’on croit avoir trouvé quelque nouvelle demonstration, ou verité ?
XXIV. Quest. Pourquoy le chrystal, le verre, le talc, la corne, et plusieurs autres corps sont-ils diaphanes, ou transparens ?
XXV. Quest. Le froid est-il seulement une privation de la chaleur, ou un estre positif ? ce que l’on peut estendre à la lumière, à l’ombre, et à plusieurs autres choses.
XXVI. Quest. Des inventions et des secrets que l’on recherche, ou que l’on désire davantage dans les arts, et dans les sciences.
XXVII. Quest. Combien la pierre d’Aymant a-elle de proprietez ?
XXVIII. Quest. Peut-on prouver, ou confirmer les mysteres de la Religion Chrestienne par les operations, et les principes de l’Alchymie ?
XXIX. Quest. Puis qu’il est certain que le Soleil a beaucoup de taches, ou de macules, et de facules, qu’en peut-on inferer ?
XXX. Quest. Quelle utilité peut-on tirer des lunettes de longue veuë pour les sçiences, et pour la vie ?.
XXXI. Quest. Peut-on trouver en France de la matiere pour entretenir le feu, et pour se chauffer, sans user de bois ? Et peut-on faire du salpestre par artifice ?
XXXII. Quest. Si le sel engraisse la terre, pourquoy les anciens ont-ils fait paroistre la malediction qu’ils luy donnoient en semant du sel dessus pour la rendre sterile ?
XXXIII. Quest. A quoy seruent les raisons, & les proportions de la Geometrie ? où l’on void la quadrature de la Parabole.
XXXIV. Quest. Quelles raisons a-t’on pour prouver, et pour persuader le mouvement de la terre, autour de son axe, dans l’espace de vingt-quatre heures ? xxxiv bis : A sçavoir si l’on peut établir une nouvelle science des sons, qui soit nommée Psophologie, ou de tel autre nom que l’on voudra.
XXXV. Quest. Pourquoy fait-il plus chaud à l’Esté qu’à l’Hyver, veu que le Soleil est beaucoup plus proche de nous à l’Hyver qu’à l’esté ? et pourquoy fait-il froid à l’ombre ?
XXXVI. Quest. Comment les nuës peuvent-elles nager, ou se promener dans l’air sans tomber, puis qu’elles sont si pesantes ?
XXXVII. Quest. Quelle raison peut-on avoir pour croire que la terre se meut autour du Soleil, que l’on met au centre du monde ? Question xxxvii bis : À sçavoir combien l’on doit estre élevé sur la surface de la terre, ou sur tel autre corps que l’on voudra plus grand ou plus petit, pour voir un espace donné.
XXXVIII. Quest. Les principes, et les fondements de l’Optique sont ils plus certains que ceux de la Musique ?
XXXIX. Quest. De quelles matieres se servent les Teincturiers pour teindre la laine, ou le drap, & la soye de toutes sortes de couleurs ? .
XL. Quest. Pourquoy l’haleine que l’on pousse du poulmon, se void-elle plus aysément à l’Hyver qu’à l’Esté ; et qu’est-ce que le vent ?
XLI. Quest. Est-il vray que de toutes les figures Isoperimetres de mesme nature, celle qui est la mieux ordonnée, et que de toutes les heterogenes ordonnées, celle qui est la plus terminée est la plus grande ?
XLII. Quest. La blancheur est−elle la plus excellente de toutes les couleurs ?
XLIII. Quest. Pourquoy les recreations que l’on prend en la presence des maistres, et des superieurs ne sont-elles pas si agreables que celles que l’on prend en leur absence ?
XLIV. Quest. Qu’y a-il de plus notable dans les Dialogues que Galilée a faits du mouvement de la terre ? cette question contient tout son premier Dialogue. Question xliv bis. Quelle doit estre la force de la voix pour estre portée et entendue jusques à la Lune, au Soleil, et au firmament, soit naturellement, ou par artifice ?
XLV. Quest. Qu’y a-il de remarquable dans le second Dialogue de Galilée ?
XLVI. Quest. A sçavoir si la Nature et les sens se plaisent à la variété et à la diversité des objects, et pour quelles raisons elle y prend plaisir.
XLVII. Quest. Quelle doit estre la force de la voix pour estre portée, & entendue depuis la terre iusques au Firmament.
XLVIII. Quest. Est il permis de soustenir que la terre est mobile: où la Censure des dialogues de Galilee est rapportée tout au long. Question xlviii bis : Est-il permis d’enseigner dans les Escoles que la terre est immobile ?
(1) Correspondance du P. Marin Mersenne, religieux minime : publiée et annotée par Cornelis de Waard ; avec la collaboration de Armand Beaulieu ; édition entreprise sur l’initiative de madame Paul Tannery et continuée par le C.N.R.S, Éditions du Centre national de la recherche scientifique (1932-1988).
(2) Traduction et commentaires des « Discours concernant deux sciences nouvelles » de Galilée de 1638.
(3) La Doctrine curieuse des beaux esprits de ce temps, ou prétendus tels (1623-24).
(4) Quæstiones celeberrimæ in Genesim (1623)
(5) Mais comme il est né en 1588, il a donc, en 1620, 32 ans, ce qui est encore moins « jeune » en son temps que de nos jours.
(6) Le fait que ces lettres n’aient pas été publiées de son temps importe peu. En fait, les lettres qui circulaient dans l’Europe savante étaient l’équivalent de nos modernes articles de revue, et valaient engagement public au niveau de la science, mais aussi des positions personnelles.
(7) Ann Blair, « The Teaching of Natural Philosophy in Early Seventeenth Century Paris : The Case of Jean Cécile Frey », in Histoire des Universités, 1993, vol. 12, p. 95-158, ici p. 98.
(8) Jacques Gaffarel, Curiosités inouïes, sur la sculpture talismanique des Persans, horoscope des patriarches et lecture des étoiles (Paris, 1629).
(9) Gaffarel est un prêtre, comme Gassendi.
(10) Voir Armand Beaulieu, « L’attitude nuancée de Mersenne envers la chimie » dans Jean-Claude Margolin et Sylvain Matton, Alchimie et Philosophie à la Renaissance, Paris, Vrin, 1993, p. 395-403.
(11) La Géologie au milieu du XVIIe siècle (Les Conférences du Palais de la découverte, éd. de l’Université de Paris, 1954). De Robert Lenoble, voir Mersenne ou la naissance du mécanisme (Paris, 1943, réed. Vrin 1971 et 2000).
(12) Palissy est cité dans cinq Questions inouïes (1, 6, 26, 31, 32) ; on le retrouve dans le Traité de l’Orgue, toujours de Mersenne, à la PROPOSITION XVII : Expliquer les différentes soudures, dont on peut user pour la fabrique des tuyaux d’Orgues.
(13) J’ai trouvé cette jolie traduction de ce proverbe latin « Les escus à monceaux trichent chez Galien, Au lieu que les honneurs suivent Justinien » – dont la suite dit ou sous-entend « mais le philosophe doit aller nus pieds » – dans Les neufs matinées du seigneur de Cholières (1585).
(14) Rochot, Bernard, « Une discussion théorique au temps de Mersenne : le problème de Poysson (1635-1636) », Revue d’histoire des sciences 2, 1948, pp. 80-89.
(15) Mersenne pouvait lire : Samuel de Champlain, Des Sauvages (Paris, 1603) ou Les Voyages (Paris, 1613) ; ou encore Marc Lescarbot, Histoire de la Nouvelle-France (Paris, 1609). Ou, plus près de lui, les différentes Relations des jésuites, ou bien, de Paul Le Jeune, la Briève relation du voyage de la Nouvelle France (1632). Notons qu’une fameuse éclipse d’août 1635, qui servit à rectifier la mesure de la Méditerranée, est observée aussi à Québec, et transmise aux savants français, ce dont témoigne une lettre de Gassendi. Voir la Bibliographie littéraire de la Nouvelle-France de Guy Laflèche http://www.mapageweb.umontreal.ca/lafleche/nf/index.html.
(16) Tycho Brahé et Johan Kepler, fondateurs, après Copernic, de l’astronomie nouvelle. Les commentateurs ont souvent mis en évidence la complexité de la position de Mersenne par rapport à l’héliocentrisme : il en est apparemment un partisan convaincu, et cela dès la première heure, même quand il consacrait sa plume à des ouvrages plus strictement apologétiques (l’Impiété des déistes) ; en revanche il a toujours déchaîné sa violence contre les « déistes », tel Giordano Bruno, c’est-à-dire contre ceux qui prétendaient tirer de la nouvelle cosmologie des implications théologiques contraires au dogme catholique.
(17) Mathématiciens antiques, dont les travaux sont aux fondements de la science occidentale (Euclide auteur des Éléments), Archimède (par exemple Sphère et cylindre, Mesure du cercle, Équilibres-plans) ou dont les savants redécouvraient alors les œuvres (Les Coniques d’Apollonius, Les Sphériques de Théodose). Notons l’absence de Diophante, entre autres, mais la liste de Mersenne ne veut pas être exhaustive.
(18) Par exemple L’Histoire de l’expédition chrestienne au royaume de la Chine entreprinse par les P.P. de la Compagnie de Jésus, comprinse en cinq livres... Tirée des Mémoires du R. P. Matthieu Ricci,... par le R. P. Nicolas Trigault,... et nouvellement traduite en françois par le S. D. F. de Riquebourg-Trigault (Lille, 1617) ou les Lettres annales des royaumes du Japon et de la Chine, des années 1606 et 1607, escrites par les PP. Jean Rodriguez et Matḥieu Ricci,... au R. P. Claude Aquaviva,... traduittes de l’italien... (Paris : C. Chappelet, 1611). Voir aussi (cependant inédit à l’époque de Mersenne) Le voyage en Chine d’Adriano de las Cortes, s.j. (1625), introd. & notes de Pascale Girard ; trad. de [l’espagnol par] Pascale Girard & Juliette Monbeig (Paris : Chandeigne, 2001).
(19) Peut-être Mersenne avait-il lu de François Pyrard, Discours du voyage des François aux Indes Orientales, ensemble des divers accidens, adventures et dangers de l’auteur en plusieurs royaumes des Indes et du séjour qu’il y a fait par dix ans, depuis l’an 1601 jusques en cette année 1611, Paris : D. Le Clerc, 1611, qui fut un succès en son temps (éd. moderne, Paris : Chandeigne, 1998).
(20) Mersenne pouvait avoir lu de Joseph d’Acosta, Histoire naturelle et morale des Indes occidentales (1re éd. 1589], qui décrit notamment le Pérou. Mais les Relations sont innombrables.
(21) Elles constituent, sinon une traduction, du moins le premier résumé en français du Dialogue de Galilée. Mersenne envisage d’ailleurs d’en faire une traduction, ou plutôt une adaptation complète, sous forme de traité semble-t-il, en supprimant les dialogues. Mais le projet n’aboutit pas, d’une part sans doute parce que tous les Français instruits, sachant le latin, sont plus ou moins capables de déchiffrer l’italien, et ensuite parce que la traduction latine du Dialogue par le Strasbourgeois Bernegger paraît dès 1635, sous l’impulsion, en particulier, de Diodati.
(22) Mike Dash, La Tulipomania : l’histoire d’une fleur qui valait plus cher qu’un Rembrandt (Paris, 2000).
(23) Emprunté au latin sceletus, le squelette présente une orthographe flottante jusqu’au XVIIIe siècle.
(24) Mersenne semble décrire un cabinet de curiosités, comme l’étaient ceux, exemplaires, de Peiresc (voir http://www.peiresc.org/Cabinet.html, consulté le 21 juillet 2009), ou de Pierre Trichet, correspondant bordelais de Mersenne qui écrivit aussi un renommé traité sur la musique, etc. (voir Krzysztof Pomian, Collectionneurs, amateurs, curieux: Paris-Venise, XVIe - XVIIIe siècles, Paris, 1987, et Antoine Schnapper, Le Géant, la licorne et la tulipe ; collections et collectionneurs dans la France du XVIIe siècle. I. Histoire et histoire naturelle, Paris, 1988). Il semble décrire également une Vanité, ces tableaux si représentants de l’art des années 1630 et suivantes (voir le catalogue de l’exposition Les Vanités dans la peinture au XVIIe siècle, Musée du Petit Palais, 1991 ou encore Vanitas and Transience (Vanité et caducité) [archive], Rijksmuseum, Amsterdam - Consulté le 20 juillet 2009).
(25) Mersenne a pu lire de Thomas Muffet, The Silkewormes and their Flies, 1599
(26) Par exemple Giambattista Della porta, De humana physiognomica libri IV (Naples 1586 in-folio)
(27) C’est-à-dire alchimie mais pas seulement.Voir Didier Kahn, Alchimie et paracelsisme en France à la fin de la Renaissance (1567-1625), Droz, coll. « Cahiers d’Humanisme et Renaissance », 2007
(28) Le nautile ou le planorbe, la colchée ou colimaçon, etc. Le premier modèle de spirale est inventé par Archimède (d’un point qui se déplace à une vitesse constante sur une droite pendant que celle-ci tourne avec une vitesse angulaire constante autour d’un de ses points), mais il faut attendre 1638 pour l’invention du deuxième, par Descartes, qui en parle à Mersenne. Il comprend les spirales dites équiangles, ou logarithmiques, qui augmentent cette fois selon une progression géométrique. Voir, sur toutes ces formes, D’Arcy Wentworth Thompson, On Growth and Form (1992 : Dover reprint de la seconde édition de 1942 ; 1ère éd. 1917), et Jean-Marc Drouin, L’Herbier des philosophes, Paris, Seuil, 2008.
(29) Sans doute crête de coq, ou rhinantus, de la famille des scrofulariacées, ou pédiculaire.
(30) Humulus lupulus, des lupulacées.
(31) Pour une explication scientifique moderne de cette chiralité dans la nature, voir André Bracq, « L’asymétrie du vivant », in Symétrie et brisure de symétrie, éd. Gilles Cohen-Tannoudji Roger Balian, Yves Sacquin (EDP Sciences Éditions, 1999), p. 51-74. Voir aussi article BibNum, Jeanne Crassous « Fresnel vu par les chimistes : la biréfringence circulaire dans les milieux optiquement actifs », 2009.
(32) Voir Thomas Moffett Insectorum sive minimorum animalium theatrum (Londres : 1634). Voir http://imgbase-scd-ulp.u-strasbg.fr/displayimage.php?pos=-290623.
(33) Il existe deux catégories d’encre sympathique : les liquides organiques et les produits chimiques. Toutes les deux sont déjà représentées dans l’Antiquité. Les premiers deviennent visibles sous l’effet d’un léger chauffage : le lait, le citron, la sève, l’urine entre autres appartiennent à cette catégorie. Les produits chimiques sont invisibles une fois secs. Des caractères colorés apparaissent seulement après avoir été en contact avec un autre produit chimique appelé le réactif. Voir Fred B. Wrixon, Langages secrets. Codes, chiffres et autres cryptosystèmes. Des hiéroglyphes à Internet (Cologne, Könemann, 2000 ; livre difficile à trouver, la version anglaise mise à jour est disponible, Codes, Ciphers & Other Cryptic & Clandestine Communication : Making and Breaking Secret Messages from Hieroglyphs to the Internet, Black Dog & Leventhal Publishers Inc, 2005). Ou encore David Kahn, La Guerre des codes secrets ; traduction, adaptation et mise à jour de Pierre Baud et Joseph Jedrusek (Paris, Inter-éditions, 1980).
(34) C’est-à-dire au Brésil, voir André Thévet, Les singularitez de la France antarctique, autrement nommée Amérique, et de plusieurs terres et isles découvertes de nostre tems (1557) ou Jean de Léry, Histoire d’un voyage faict en la terre du Brésil (première édition 1578 ; éd. moderne Paris, LGF, 1994), qui les nomme les Tupinambas, qui sont anthropophages, mais qui vivent à peu près comme au paradis avant la Chute, sans les maux de la société et sans péché. Ils servent de modèle au bon sauvage de Montaigne. Plus proche de Mersenne, dans « Une seconde France ? Repenser le paradigme “classique” à partir de l’histoire oubliée de la colonisation française » (La littérature, le XVIIe siècle et nous : dialogue transatlantique, sous la direction d’Hélène Merlin-Kajman, Paris : Presse Sorbonne Nouvelle, 2008), Sarah E. Melzer rapporte une anecdote méconnue survenue sous le règne de Louis XIII. En 1613, des ecclésiastiques français ramenèrent du Brésil des Toupinambous qui furent baptisés puis mariés à des jeunes filles françaises, en présence du roi et de la reine.
(35) Mersenne lui-même envoie une pierre « flottante » à Peiresc le 26 juillet 1634, se demandant s’il y a quelque chose de démoniaque, et il s’ensuit toute une correspondance entre savants qui se prolonge jusqu’en août 1635, avec envoi de différentes pierres et morceaux de bois flottants.
(36) L’hélice, qui n’existe que depuis 1547, désignant un terme d’architecture, est le nom grec savant pour la spirale, qui fut introduit en 1534. « Espirale est une ligne faite par voute en vironnant, en forme de coquille d’une limace », écrit Bernard Palissy. Voir sur Palissy et les fossiles, Pierre Brunet, « Les premiers linéaments de la science géologique : Agricola, Palissy, George Owen », Revue d’histoire des sciences et de leurs applications, 1950, vol. 3, n° 1, pp. 67-79, url : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhs_0048-7996_1950_num_3_1_2770 Consulté le 20 juillet 2009. Sur cette irisation des coquilles marines, voir p. 77. Palissy a écrit « que la cause de l’arc céleste n’estoit sinon d’autant que le soleil passe directement au travers des pluycs qui sont opposites de l’aspect du soleil », ce qui est faux, mais donne la cause de l’arc-en-ciel. Je ne sais pas comment Mersenne cite Palissy, dont Brunet dit qu’il n’a eu aucune influence de son temps.
(37) Par exemple Guy de la Brosse, De la nature, vertu et utilité des plantes (Paris 1628), qui fréquentait le cercle de Mersenne et développe une Botanique chimique. Ou encore jacques Philippe Cornuti, médecin des minimes, et ami de Mersenne, voir Jacques Mathieu, avec la collaboration d’André Daviault, Le Premier livre de plantes de la Nouvelle-France. Les enfants des bois du Canada au jardin du roi à Paris en 1635. Québec, Les Presses de l’Université Laval, 1998.
(38) Gassendi écrit à son correspondant et élève, Louis de Valois, le 12 septembre 1642, développant le thème de l’imbécillité humaine, c'est-à-dire la faiblesse : « telle qu’elle est, elle ne peut rien connaître en dehors de l’écorce des choses, loin de pouvoir regarder à l’intérieur la nature intime, fût-ce de la plus petite chose ».
(39) Voir note 38 ci-dessus.
(40) C’est la question alors controversée de savoir s’il existe ou non du vide dans la nature des choses : l’expérience barométrique, réalisée par Pascal et refaite par Gassendi, prouvera que oui. En revanche Descartes s’y oppose.