Les premiers livres de La Dioptrique de Descartes

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Les premiers livres de La Dioptrique de Descartes
Auteur : René Descartes (1596-1650) - Philosophe et mathématicien français.
Auteur de l'analyse : Thibaut Gress - Ancien élève de l’ENS Lyon, Docteur en philosophie, professeur dans un lycée parisien.
Publication :

Discours premier à quatrième de La Dioptrique, extraits du Discours de la méthode pour bien conduire sa raison & chercher la vérité dans les sciences, p.65-87 de l’édition Angot (Paris 1668) [rappel : l’édition originale du Discours est Leyde 1637]

Année de publication :

1637

Nombre de Pages :
29
Résumé :

Une explication de la démarche philosophique de Descartes dans ces premiers discours de la Dioptrique, comprenant les fameuses lois de la réflexion et de la réfraction.

Source de la numérisation :
Mise en ligne :
avril 2012

L’approche philosophique par Descartes de la vision et de la lumière est ici remise en contexte du legs médiéval et de l’art renaissant. L’optique était divisée en trois domaines précis, à savoir l’étude des rayons directs (optica), l’étude des rayons réfléchis (catoptrica) et l’étude des rayons réfractés (dioptrica). Le choix de Descartes d’aborder l’ensemble de ces trois problèmes témoigne du souci d’élargir les recherches initiées par les théoriciens de l’art renaissant qui, tout en améliorant significativement l’étude de l’optique et de la catoptrique, laissaient de côté la dioptrique, la réfraction étant de peu d’utilité au regard de la réalisation d’un tableau en perspective. Du point de vue de la physique, le texte contient les fameuses lois de la réflexion et de la réfraction, appelées en France « lois de Descartes », ou « lois de Snell-Descartes ». Même si on laisse de côté le sujet d’antériorité (Descartes connaissait-il les travaux de Snell ?), le raisonnement cartésien pour arriver à la loi de la réfraction – qu’il connaissait d’expérience – a été dès sa parution sujet à discussions, avec Fermat notamment.

 


 

Thibaut Gress, ancien élève de l’École normale supérieure et docteur en philosophie, est professeur de philosophie dans un lycée parisien. Créateur et rédacteur en chef du site actu-philosophia, il a publié Apprendre à philosopher avec Descartes, Ellipses, 2009 et Descartes et la précarité du monde, CNRS, 2012. Ses recherches portent d'une part sur la philosophie de l'art et, d'autre part, sur la redéfinition par la pensée moderne du sens du réel.

 

 

Thibaut Gress

 

Les premiers livres de La Dioptrique
Thibaut Gress - Ancien élève de l’ENS Lyon, Docteur en philosophie, professeur dans un lycée parisien.
 
 
Parue en 1637, la Dioptrique appartient à ces traités scientifiques que le Discours de la méthode avait pour tâche d’introduire philosophiquement. Accompagnée des Météores et de la Géométrie, la Dioptrique constitue l’aboutissement d’un projet dont on trouve trace dès 1630 au sein d’une lettre où, s’adressant à Mersenne, Descartes déclare y travailler à son rythme :
Au reste, encore que je ne me hâte pas d’achever la Dioptrique, je ne crains pas du tout ne quis mitta falcem inmessem alienam (1), car je suis assuré que, quoi que les autres puissent écrire, s’ils ne le tirent des lettres que j’ai envoyées à M. Ferrier, ils ne se rencontreront point du tout avec moi (2).
Annonçant ainsi en 1630 à son ami Mersenne un projet qui, de toute évidence, semble déjà bien avancé, quoique progressant lentement, Descartes témoigne de sa préoccupation des questions attenant à l’optique, préoccupations dont l’origine peut être située aux alentours de 1619 avec le Parnassus. Près de sept longues années séparent ainsi l’annonce faite à Mersenne du projet consacré à l’optique de sa publication effective, délai qui témoigne tant de l’attention que Descartes dut lui accorder que de la nécessité de le faire paraître en même temps que les autres ouvrages, comme s’il s’agissait bien de l’élément d’un ensemble et non d’un texte qui se pût intégralement comprendre par lui-même.

 

 

 

Figure 1 : Discours de la méthode (1637). La partie « Discours » proprement dite est suivie des trois fameux « essais de cette Méthode ».

Figure 1 : Discours de la méthode (1637). La partie « Discours » proprement dite est suivie des trois fameux « essais de cette Méthode ». Figure 1 bis (ci-dessous) : Timbre français, tricentenaire du Discours (1937). Curieusement, la première émission (à droite) portait une erreur sur le titre, qui fut rectifiée par une seconde émission.
 
 

Figure 1 bis : Timbre français, tricentenaire du Discours (1937).

 

 

Prise en son sens général, la dioptrique désigne une partie précise de l’optique s’occupant des directions que prennent les rayons de la lumière après qu’ils eurent subi une ou plusieurs réfractions, une réfraction étant définie comme la déviation de la lumière lorsqu’elle change de milieu (par exemple en passant de l’eau à l’air). En intitulant ainsi son traité, Descartes indique directement l’objet de sa recherche, quoiqu’il l’élargisse volontiers à la dimension plus générale de l’Optique en son entier, ainsi que le signale une lettre de mars 1636, toujours adressée à Mersenne

 

En la Dioptrique, outre la matière des réfractions et l’invention des lunettes, j’y parle aussi fort particulièrement de l’œil, de la lumière, de la vision, et de tout ce qui appartient à la Catoptrique et à l’Optique (3).
À la pure étude de la lumière réfractée s’ajoutent donc celles de la lumière réfléchie et des lois de la vision, faisant de la Dioptrique un traité presque exhaustif quant aux problèmes et questions que peut soulever la lumière. En outre, Descartes reprend le programme médiéval classique, dont John Peccham (4) (1230-1292) fixa les codes pour de nombreux siècles : l’optique, traditionnellement fondée sur le rayonnement, était divisée en trois domaines précis, à savoir l’étude des rayons directs (optica), l’étude des rayons réfléchis (catoptrica) et l’étude des rayons réfractés (dioptrica). De ce fait, le choix cartésien d’aborder l’ensemble de ces trois problèmes témoigne du souci de reprendre l’ensemble des questions léguées par le monde médiéval, élargissant du même geste les recherches initiées par les théoriciens de l’art renaissant qui, tout en améliorant significativement l’étude de l’optique et de la catoptrique, laissèrent de côté la dioptrique, la réfraction étant de peu d’utilité au regard de la réalisation d’un tableau en perspective.

 

 

Figure 2 : Effigie de John Peccham, archevêque de Canterbury (1279-1292) sur sa tombe en la cathédrale de Canterbury (photo WikiCommons Ealdgyth).

Figure 2 : Effigie de John Peccham, archevêque de Canterbury (1279-1292) sur sa tombe en la cathédrale de Canterbury (photo WikiCommons Ealdgyth).
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Les premières lignes de la Dioptrique inscrivent d’emblée Descartes au sein d’un réseau où résonnent les échos de la Renaissance pour laquelle se mêlent éloge répété de l’œil et valorisation des sens. Léonard de Vinci fait à cet égard office de paradigme, notamment au sein du Traité de la peinture :
Comme nous avons conclu que la poésie s’adresse en principe à l’intelligence des aveugles, et la peinture à celle des sourds, nous accorderons d’autant plus de valeur à la peinture par rapport à la poésie qu’elle est au service d’un sens meilleur et plus noble qu’elle (5). Cette noblesse est ainsi trois fois aussi grande que celle des autres sens, puisque la perte du sens de l’ouïe, de l’odorat ou du toucher a été choisie plutôt que celle de la vue. Car perdre la vue, c’est être privé de la beauté de l’univers et ressembler à un homme enfermé vivant dans une sépulture, où il pourrait vivre et se mouvoir. Ne vois-tu pas que l’œil embrasse la beauté du monde entier ? Il est le maître de l’astronomie, l’auteur de la cosmographie, le conseiller et le correcteur de tous les arts humains ; il transporte les hommes à différentes parties du monde. Il est le prince des mathématiques ; ses disciplines sont tout à fait certaines […]. Ô la plus excellente de toutes les créations de Dieu ! Quelles louanges pourraient répondre à ta noblesse ? Quelles nations, quels langages pourraient décrire pleinement ton activité ? Il sert de fenêtre au corps humain par où l’âme contemple la beauté du monde et en jouit, acceptant ainsi la prison du corps, qui, sans ce pouvoir, ferait son tourment (6)»
Ce très beau passage du Codex Urbinas – c’est-à-dire du Traité de la peinture – permet de comprendre la raison essentielle de la dignité de l’œil : il est ce qui permet d’échapper à l’emprisonnement corporel, il est cette « fenêtre » par laquelle l’accès à autre chose que la prison corporelle devient possible ; en somme, l’œil n’est rien d’autre que ce par quoi la liberté est possible ou, à tout le moins, entrevue. Et cette liberté n’est autre que la possibilité de contempler le monde tel qu’il se donne à voir en tant qu’il est beau. Ainsi Léonard propose-t-il une libération par la beauté du monde dont l’œil est érigé en condition de possibilité, ce qui revient à dire que l’œil est ce qui permet à l’âme de prendre conscience de l’harmonie du monde telle qu’elle a été voulue par Dieu. L’œil peut de ce fait prétendre à une dimension spirituelle car la beauté du monde n’est jamais que la transcription sensible de l’ordre divin dont l’œil se révèle le vecteur ; il n’y a guère lieu de s’étonner, dès lors, lorsque Léonard fait de ce dernier « le plus noble et le plus spirituel des organes de l’homme (7) ».
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Cette noblesse de l’œil, constituant un topos renaissant et néoplatonicien (8), se trouve reprise par Descartes dès l’ouverture de la Dioptrique, puisqu’il y affirme que
toute la conduite de notre vie dépend de nos sens, entre lesquels celui de la vue étant le plus universel et le plus noble, il n’y a point de doute que les inventions qui servent à augmenter sa puissance, ne soient des plus utiles qui puissent être (9).
Tout d’abord se trouve donc bel et bien reprise l’idée d’une noblesse de la vue, celle-ci étant le sens le plus excellent, celui dont l’éminence est incontestable, et qui se trouve à nouveau qualifié dans les Principes de la philosophie (1644) de « plus subtil de tous les sens (10)». Mais, à côté de cette reprise d’une noblesse de la vue, figure une des idées les plus décisives de la réflexion cartésienne, soit la nécessité d’un usage technique des connaissances scientifiques.
La sixième partie du Discours de la méthode propose en effet d’indexer à toute connaissance scientifique un usage pratique, dont la médecine constitue la première des applications. Les connaissances générales acquises par la science, permettent de voir, note Descartes,
qu’il est possible de parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie (11), et dans les écoles, on en peut trouver une pratique, par laquelle connaissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux, et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature (12).
Cette – trop – célèbre formule, si souvent utilisée contre Descartes (13), ne prend pourtant son sens que dans le cadre général de l’usage de la science, et non dans une problématique erratique du rapport à la nature : loin de chercher à faire de la nature une dominée soumise à l’empire humain, Descartes propose une connaissance appliquée qui, au lieu de se contenter passivement de ce que donne la nature, compléterait cette dernière en substituant à la réception passive une organisation active grâce à laquelle chaque connaissance scientifique trouverait un débouché naturel au sein de son domaine. A cet égard, et ramenée à la Dioptrique, la mention des inventions et de leur utilité s’inscrit au sein d’un vaste dessein consistant à tirer le plus grand profit des connaissances scientifiques, c’est-à-dire, dans le cas de l’optique, à accroître la précision de la construction de verres pour lunettes télescopiques, raison pour laquelle Descartes évoque
ces merveilleuses lunettes qui […] ont déjà découvert de nouveaux astres dans le ciel

 

 

 

I - La construction a priori des propriétés de la lumière : les trois analogies du premier livre
Le bâton : la transmission instantanée
La première tâche que se fixe Descartes consiste à décrire correctement la manière dont les rayons de la lumière
entrent dans l’œil et comment ils peuvent être détournés par les divers corps qu’ils rencontrent
Tâche proprement scientifique, elle se dissocie d’une approche métaphysique dans la mesure où Descartes se dispense de déterminer « quelle est sa nature », se concentrant donc sur les propriétés mêmes de la lumière et de ses rayons. Le lecteur saura donc moins ce qu’est la lumière qu’il ne comprendra comment elle se propage et comment elle est reçue.
Pour ce faire, Descartes sollicite une sorte de comparaison, afin de présenter les rayons de lumière comme un bâton d’aveugle guidant ce dernier : le rayon de lumière est ainsi aux yeux ce que le bâton de l’aveugle est à ses mains, à savoir un guide sûr permettant de s’orienter dans le monde. En choisissant cette comparaison, Descartes affine quelque peu sa problématique : il s’agit pour lui de se situer sur le registre de l’affection au sens où tout mouvement du bâton affecterait la main de l’aveugle de même que le rayon de lumière affecte l’œil et lui transmet l’ensemble des informations dont il a besoin. Descartes étudie donc bien moins la lumière comme telle qu’il ne cerne la relation entre celle-ci et l’œil humain, refusant toute approche substantialiste du problème. C’est la raison pour laquelle la comparaison se trouve ainsi filée :
Si vous considérez que les différences qu’un aveugle remarque entre des arbres, des pierres, de l’eau, et choses semblables, par l’entremise de son bâton, ne lui semblent pas moindres que nous font celles qui sont entre le rouge, le jaune, le vert, et toutes les autres couleurs ; et toutefois que ces différences ne sont autre chose, en tous ces corps, que les diverses façons de mouvoir, ou de résister aux mouvements de ce bâton.
Mais il y a bien plus encore : fidèle à son refus de faire du monde cela même qui impressionne directement l’esprit humain, et soucieux de soustraire les idées à toute origine mondaine (14), Descartes se retrouve amené à refuser que l’objet comme tel détermine nos idées. En d’autres termes, l’aveugle qui, grâce à son bâton, reconnaît la forme d’un corps dont il a l’idée, ne tire pourtant pas son idée de l’objet, ce qui revient à dire que celui-ci ne gouverne pas la formation de nos idées :
En suite de quoi vous aurez occasion de juger, qu’il n’est pas besoin de supposer qu’il passe quelque chose de matériel depuis les objets jusques à nos yeux, pour nous faire voir les couleurs et la lumière, ni même qu’il y ait rien en ces objets, qui soit semblable aux idées, ou aux sentiments que nous en avons : tout de même qu’il ne sort rien des corps que sent un aveugle, qui doive passer le long de son bâton jusques à sa main, et que la résistance ou le mouvement de ces corps, qui est la seule cause des sentiments qu’il en a, n’est rien de semblable aux idées qu’il en conçoit.
Ce passage surprenant n’en est pas moins décisif quant à l’économie de la pensée cartésienne et, plus précisément encore, quant au statut des idées. Les Méditations rappelleront, contre les croyances spontanées, que les idées sont des images des choses, à la condition expresse de n’envisager lesdites choses que selon leur versant mental. De ce fait,
la principale erreur et la plus ordinaire qui s’y puisse rencontrer consiste en ce que je juge que les idées qui sont en moi sont semblables ou conformes à des choses qui sont hors de moi ; car certainement, si je considérais seulement les idées comme des certains modes ou façons de ma pensée, sans les vouloir rapporter à quelque autre chose d’extérieur, à peine me pourraient-elles donner occasion de faillir (15).
L’idée me présente donc ce à quoi je pense ou, mieux encore, elle présente à la surface de ma conscience ce que cette dernière contient ; en aucun cas, elle ne se fait copie de ce que contiendrait le monde extérieur. L’idée n’est donc rien d’autre que la présentation à ma conscience de son propre contenu ; en ce sens, si nous appliquons ce raisonnement à la lumière, il en découle aussitôt que l’idée que je forme de cette dernière ne saurait provenir de celle-ci. Mieux encore, l’idée de la lumière ne me permet guère que de prendre conscience de la manière dont je conçois ou dont je ressens la lumière, elle ne permet pas pour autant de savoir ce qu’est la lumière. Descartes avait, dans l’introduction du Monde, présenté cette évidence liée au fonctionnement de l’idée :
Me proposant de traiter ici de la lumière, la première chose dont je veux vous avertir est qu’il peut y avoir de la différence entre le sentiment que nous en avons, c’est-à-dire l’idée qui s’en forme en notre imagination par l’entremise de nos yeux, et ce qui est dans les objets qui produit en nous ce sentiment, c’est-à-dire ce qui est dans la flamme ou dans le Soleil, qui s’appelle du nom de Lumière. Car encore que chacun se persuade communément que les idées que nous avons en notre pensée sont entièrement semblables aux objets dont elles procèdent, je ne vois point toutefois de raison qui nous assure que cela soit […] (16)
De ce fait, ce que nous transmettent les rayons de lumière ne dit somme toute rien de ce que sont les objets, Descartes refusant ici toute approche en termes d’espèces intentionnelles (17). De même que le bâton de l’aveugle ne se trouve nullement parcouru par l’objet avec lequel il est en contact, de même la lumière ne transporte aucune qualité de l’objet vu qui impressionnerait l’esprit.

 

 

La cuve : mouvement et tendance au mouvement
Ce premier moment du premier Livre a donc permis de situer le cadre de la réflexion : il s’agit bel et bien de se concentrer sur l’idée que l’on a de la lumière, donc de rendre présente et explicite la conception que l’on s’en fait – et c’est la raison pour laquelle autant de comparaisons seront mobilisées dans la suite du texte, puisqu’il s’agit d’exhiber une idée plus qu’une nature –, et non de connaître la nature de la lumière. Mais une fois le cadre posé, encore faut-il décrire la manière dont l’esprit se représente la diffusion de la lumière, ce que tente d’établir la deuxième partie.
La question que pose Descartes peut être ainsi résumée : la lumière se diffuse-t-elle en ligne droite ? La question ne peut être traitée, une fois encore, qu’à partir des idées. Descartes propose en effet une comparaison avec une cuve remplie de raisins à demi foulés au bas de laquelle se trouvent deux trous par où coule le vin. Le vin peut donc couler en dépit de la présence des grappes qui n’empêchent nullement l’écoulement ; le sens de la comparaison est clair :
ainsi toutes les parties de la matière subtile, que touche le côté du Soleil qui nous regarde, tendent en ligne droite vers nos yeux au même instant qu’ils sont ouverts, sans s’empêcher les unes les autres, et même sans être empêchées par les parties grossières des corps transparents, qui sont entre deux (18).
Si la comparaison est relativement claire, le sens de celle-ci ne l’est pas pour autant : en quel sens un corps transparent – ou diaphane – ne perturberait-il pas plus que cela la trajectoire de la lumière ? Autrement demandé, comment le vin pourrait-il suivre une trajectoire ne tenant pas compte des grappes accumulées au sein de la cuve ?

 

 

Figure 3 : Analogie de la cuve remplie de raisins, schéma de Descartes, Dioptrique Discours premier

Figure 3 : Analogie de la cuve remplie de raisins, schéma de Descartes, Dioptrique Discours premier. Descartes donne le commentaire de cette figure. « les parties de ce vin » situées sur la surface en C (à gauche sur la surface) s’écoule en A et B ; ainsi de celles situées en D (au centre sur la surface) et en E (à droite). Tout ceci « sans qu’aucune des actions soit empêchée par les autres » : ainsi les rayons lumineux réfléchis par les objets arrivent à nos yeux « sans s’empêcher les unes les autres ».
Ainsi que nous le rappelions ci-dessus, la pensée cartésienne n’est compréhensible qu’à partir des idées, de sorte qu’il convient de penser la difficulté à partir de l’étendue. Un corps, qu’il soit transparent ou pas, est d’abord étendu pour Descartes, l’étendue n’étant rien d’autre qu’une des notions primitives de la substance. En d’autres termes, quand je pense à une substance corporelle, je pense nécessairement à quelque chose d’étendu, c’est-à-dire à quelque chose qui occupe une certaine place, tant en longueur qu’en largeur. Mais cette appréhension du corps à partir de l’étendue n’est jamais qu’une saisie par la pensée, c’est-à-dire par la manière dont je conçois les choses, si bien que Descartes prend le risque d’écraser la pluralité des supports matériels sous l’univocité de la conception que je me fais de la substance corporelle. Pour le dire plus clairement, la pluralité des milieux corporels que traverse la lumière ne se trouve pas qualitativement prise en compte quant à la diffusion de la lumière car Descartes écrase la complexité des variations corporelles sous l’univocité de la représentation étendue que je puis m’en faire. Pour le dire autrement, la nature du milieu n’influe pas quant à la diffusion de la lumière, puisque le milieu n’est jamais qu’un ensemble de corps que la pensée appréhende comme étant étendus. Corrélativement, cela revient à dire que Descartes distingue la tendance du mouvement du mouvement effectif comme tel. En effet, le vin comme la lumière tendent à se diffuser en ligne droite mais se diffusent effectivement selon les obstacles qu’ils rencontrent.
L’effet immédiat d’une telle réflexion consiste à présenter comme similaires les lois du mouvement et la diffusion de la lumière. Dans une phrase fort logique quant à l’économie générale du propos, mais fort troublante quant à son contenu, Descartes affirme en effet ces quelques mots :
Car il est bien aisé à croire que l’action ou inclination à se mouvoir, que j’ai dit devoir être prise pour la lumière, doit suivre en ceci les mêmes lois que le mouvement (19).
Cette assertion est fort intelligible dès lors que l’on comprend que tout corps se trouve pensé à partir de l’étendue et que, par conséquent, la lumière obéit nécessairement aux lois par lesquels se déploie le mouvement dans un milieu corporel ; en revanche, elle devient fort obscure dès lors que l’on refuse l’indistinction du milieu corporel à partir de l’étendue, et que l’on cherche à en cerner la spécificité afin de déterminer quelle pourrait être son incidence quant à la diffusion de la lumière.
Cette difficulté, que nous allons développer, permet toutefois de préciser davantage encore la nature de la démarche cartésienne. Le fait même qu’il appréhende les corps à partir de l’étendue signale qu’il construit une sorte de modèle intellectuel de la diffusion de la lumière bien plus qu’il ne cherche à rendre compte de ce qui se produit effectivement ; en effet, du point de vue effectif, non seulement tout mouvement est courbe et, plus encore, tout mouvement est doté d’une vitesse finie, ce que Descartes ne prend jamais en compte. En effet, la comparaison avec le bâton suppose que l’information soit instantanément transmise, Descartes posant par analogie que
la lumière puisse étendre ses rayons en un instant (20).
Descartes construit donc un modèle intellectuel où la diffusion est instantanée, où la vitesse ne joue aucun rôle et où le mouvement rectiligne se substitue à l’effectivité de l’incurvation. En outre, ces deux premières comparaisons permettent de retrouver un certain nombre de propriétés de la lumière qu’avait énumérées le Monde dans le chapitre XIV. Le bâton comme métaphore des rayons lumineux rend compte de la propriété 3 de la lumière, soit son instantanéité, mais aussi de la propriété 2 – la diffusion de la lumière de manière circulaire autour du corps lumineux quelle que soit la distance – dans la mesure où, si la diffusion est instantanée, la distance ne joue pas. Par ailleurs, la cuve permet d’illustrer les propriétés 4 (mouvement rectiligne), 5 (les rayons lumineux rectilignes venant de divers points peuvent s’assembler en un seul point), 6 (les rayons venant d’un même point peuvent se diviser) et 7
Ou venant de divers points et allant vers divers points, peuvent passer par un même point, sans s’empêcher les uns les autres (21).
Il s’agit donc bien d’une construction intellectuelle à partir de ce que l’esprit peut se représenter et non d’une description fidèle de ce qui se montre, geste typiquement cartésien s’il en est.

 

 

La balle : balistique et trajectoire lumineuse
La difficulté de la césure entre le modèle et l’effectif se redouble lorsque l’on prête attention à la troisième comparaison retenue : Descartes propose de penser le mouvement lumineux comme celui d’une balle, dont le milieu rencontré modifie la trajectoire.
Au reste, ces rayons doivent bien être ainsi toujours imaginés exactement droits, lorsqu’ils ne passent que par un seul corps transparent, qui est partout égal à soi-même : mais, lorsqu’ils rencontrent quelques autres corps, ils sont sujets à être détournés par eux, ou amortis, en même façon que l’est le mouvement d’une balle, ou d’une pierre jetée dans l’air par ceux qu’elle rencontre (22).
 
 

Figure 4 : Analogie de la balle, schémas de Descartes, Dioptrique Discours premier.

Figure 4 : Analogie de la balle, schémas de Descartes, Dioptrique Discours premier. Descartes donne le commentaire de ces diverses figures. Si trois balles rencontrent une surface plane (à gauche), elles gardent la même distance entre elles. Si elles rencontrent une surface convexe (au centre), leurs distances mutuelles s’accroissent. C’est l’inverse si elles rencontrent une surface concave (à droite). « Et si ces balles rencontrent une superficie inégale, comme L ou M, elles se réfléchissent vers divers côtés, chacune selon la situation de l’endroit de cette superficie qu’elle touche ».
Il est néanmoins difficile de comprendre la cohérence globale des comparaisons cartésiennes car si celui de la cuve laissait supposer que ne se trouvait envisagée que la tendance du mouvement et non le mouvement effectif – il va de soi que le vin est détourné par les grappes dans son mouvement effectif, bien qu’il tende à suivre une ligne droite. En revanche, la comparaison de la balle impose ici de considérer le milieu et de ne plus se référer à la tendance du mouvement mais bel et bien au mouvement effectif. Pis encore, si le milieu présente une incidence quant au mouvement, il doit nécessairement en présenter également une quant à la vitesse, ce qui ne saurait avoir de sens si se trouve préservé un modèle de diffusion instantanée. Plus clairement encore, si un corps mou « amortit » selon le mot de Descartes la vitesse de la balle, c’est donc que celle-ci possède une vitesse et qu’elle ne se diffuse pas de manière instantanée à la manière du rayon de lumière, jetant ainsi le trouble quant à la pertinence de la comparaison.
La seule solution cohérente face à ce qui pourrait être une contradiction grossière consiste à considérer que chaque comparaison ne vaut que localement, c’est-à-dire selon le problème qu’elle prétend résoudre. L’analogie du bâton permet de penser la question de la transmission, la cuve celle de la forme du mouvement, et la balle celle de la réflexion ou de la réfraction. De ce fait, les comparaisons ont moins besoin de former un ensemble cohérent qu’elles ne se trouvent soumises à l’exigence de résoudre localement un problème précis. C’est donc bien eu égard à la question de la réflexion et de la réfraction et d’elles seulement qu’il convient de comprendre la comparaison entre le rayon de lumière et la balle. De même que certains corps amortissent les balles, de même
il y a des corps qui étant rencontrés par les rayons de la lumière les amortissent, et leur ôtent toute leur force, à savoir qu’on nomme noirs, lesquels n’ont point d’autre couleur que les ténèbres (23).
Et de même qu’il y a des milieux solides qui renvoient les balles, de même il y a des milieux qui font « réfléchir » (24) les rayons de lumière, comme les miroirs. Enfin, de même que la balle se détourne (25) lorsqu’elle rencontre un milieu aqueux, de même les rayons se détournent et cela s’appelle « réfraction ».
A l’issue de cette première partie, nous obtenons donc trois résultats décisifs quant aux propriétés de la lumière : elle se diffuse de manière instantanée (1), en ligne droite (2) et peut être néanmoins stoppée, réfléchie ou réfractée lorsqu’elle rencontre certains milieux (3). Il est remarquable que, pour établir ces trois propriétés, Descartes n’ait fait appel qu’à sa seule pensée ; à partir de sa conception des corps, donc de l’étendue, et à partir de comparaisons a priori, Descartes propose ces trois propriétés essentielles dont la dernière est subdivisée en trois cas, et dont le troisième fera l’objet du deuxième livre. Ici nulle observation empirique ne se trouve sollicitée, d’autant plus qu’une telle observation entrerait en contradiction avec le modèle proposé. Il s’agit donc bel et bien de construire par l’esprit un modèle de compréhension idéal de la diffusion de la lumière – et de sa réception –, non parasité par les déformations infinies qu’impose le monde empirique.

 

 

II - La construction d’un modèle intellectuel : réflexion et réfraction
Comme pour confirmer ce qui précède, Descartes précise que, pour mieux cerner la nature de la réflexion et de la réfraction, il va faire abstraction d’un certain nombre de propriétés empiriques du mouvement effectif de la balle ;
supposons que la terre est parfaitement plate et dure, et que la balle va toujours d’égale vitesse, tant en descendant qu’en remontant, sans nous enquérir en aucune façon de la puissance qui continue de la mouvoir, après qu’elle n’est plus touchée de la raquette, ni considérer aucun effet de sa pesanteur, ni de sa grosseur, ni de sa figure (26).
La balle n’est ici pas saisie dans la complexité de son mouvement effectif mais elle se trouve comme délestée de ses conditions de mouvement effectives au profit d’une reconstruction intellectuelle d’une trajectoire et, plus encore, d’une vitesse idéales.

 

 

Détermination de la réflexion : l’angle d’incidence
Le premier point par lequel Descartes aborde la réflexion est celui de la continuité ; au moment où une balle ricoche en un point nommé B et dévie de sa trajectoire vers F,
on ne doit pas imaginer qu’il soit nécessaire qu’elle s’arrête quelque moment au point B avant que de retourner vers F […] ; car si son mouvement était une fois interrompu par cet arrêt, il ne se trouverait aucune cause, qui le fît par après recommencer (27).
 
 

Figure 5 : Schéma de Descartes, Dioptrique Discours deuxième.

Figure 5 : Schéma de Descartes, Dioptrique Discours deuxième. Les figures de l’ouvrage de Descartes sont tracées par Schooten, fils d’un professeur de mathématiques de l’université de Leyde (28).
Polémiquant contre la théorie aristotélicienne du media quies selon laquelle entre deux mouvements de direction différente doit s’établir un repos intermédiaire, Descartes y oppose la continuité du mouvement, fût-il infléchi. Cette continuité n’empêche pourtant pas l’auteur de la Dioptrique de proposer un découpage analytique du mouvement, selon ce qui ressemble quelque peu à un sens vectoriel sans que cela ne le soit à strictement parler. Plus précisément, Descartes analyse la trajectoire selon des lignes horizontales et verticales, un mouvement diagonal descendant revenant donc à passer d’une ligne horizontale supérieure à une ligne verticale inférieure selon un geste vertical ; de même, si le mouvement se dirige vers la droite, cela signifie que l’on passe d’une verticale située à gauche vers une verticale située à droite de l’espace selon un déplacement horizontal. Descartes applique par ce calcul un des préceptes de la Règle XIV des Regulae qui, analysant les trois critères de l’étendue – dimension, unité et figure –, définissait la dimension comme « le mode et le rapport sous lequel un sujet quelconque est considéré comme mesurable […] (29) ». Concrètement, la décomposition du mouvement selon ces deux indications revient à penser ce dernier selon la dimension, ce qui signifie que le mouvement de la balle est mesuré selon deux composantes.
La question qui se pose alors est la suivante : des deux déterminations qui s’exercent sur la trajectoire de la balle, laquelle doit prendre fin lorsque la balle rencontre la terre ? Autrement demandé, est-ce la détermination verticale ou la détermination horizontale qui doit prendre fin ? La réponse de Descartes semble aller de soi : seul le mouvement vertical se trouve empêché par la rencontre avec la terre.
Et ensuite il est aisé à entendre, que la rencontre de la terre ne peut empêcher que l’une de ces deux déterminations, et non point l’autre en aucune façon. Car elle doit bien empêcher celle qui faisait tendre la balle d’AF vers CE [vers le bas, perpendiculairement à la terre cf. figure ci-dessus] […] Mais pourquoi empêcherait-elle l’autre, qui la faisait avancer vers la main droite, vu qu’elle ne lui est aucunement opposée en ce sens-là (30) ?
L’argument est donc clair : la rencontre avec une surface plane interrompt le mouvement vertical mais n’interrompt en aucune manière le mouvement horizontal, de sorte que le mobile prolonge ce dernier. Il convient donc de déterminer non plus s’il prolonge son mouvement horizontal mais bien plutôt de quelle manière il l’effectue. Citons à nouveau Descartes :
Pour trouver donc justement vers quel côté cette balle doit retourner, décrivons un cercle du centre B, qui passe par le point A, et disons qu’en autant de temps qu’elle aura mis à se mouvoir depuis A jusques à B, elle doit infailliblement retourner depuis B jusques à quelque point de la circonférence de ce cercle, d’autant que tous les points qui sont aussi distants de celui-ci B qu’en est A, se trouvent en cette circonférence, et que nous supposons le mouvement de cette balle être toujours également vite (31).
Pour comprendre ce début d’expérience intellectuelle, il faut se remémorer que Descartes construit un modèle abstrait au sein duquel n’existe nulle variation de vitesse, ce qui explique d’une part l’incongruité d’un mouvement à vitesse constante en dépit de l’impact et, d’autre part, la nécessité que la distance parcourue entre A et l’impact doit être impérativement parcourue à nouveau, fût-ce en un sens vectoriel différent. Mais si cela ne détermine pas encore le sens de la réflexion, seule est connue la verticale sur laquelle devra se trouver l’arrivée de la balle ; en effet, si A est le point où est poussée la balle et B le point d’impact, tandis que C est le point marquant l’intersection de la normale issue de A avec la terre, et si enfin BH constitue la parallèle à AC, alors il est nécessaire que l’arrivée de la balle se situe sur un segment parallèle à BH, de sorte que BH soit à équidistance d’AC et du segment parallèle d’arrivée, nommé EF par Descartes.
Mais, puisque la distance et la vitesse doivent être les mêmes que pour AB, il devient nécessaire que la distance AB corresponde à la distance entre B et le segment EF, ce qui fixe une seule possibilité quant à la détermination de la réflexion qui, comme le note Descartes, se fait
selon un angle toujours égal à celui qu’on nomme l’angle d’incidence. Comme si un rayon, venant du point A, tombe au point B sur la superficie du miroir plat CBE, il se réfléchit vers F, en sorte que l’angle de la réflexion FBE n’est ni plus ni moins grand que celui de l’incidence ABC (32).
Plusieurs remarques doivent ici être faites. D’une part, et nous ne pouvions le mentionner avant la confirmation de cette analogie, Descartes conçoit assurément la lumière selon une nature corpusculaire : conforme au mouvement d’un corps, elle se meut selon le mouvement classique déterminé par la physique. D’autre part, la réflexion est pensée à partir de l’angle d'incidence, c’est-à-dire à partir d’un angle incident avec la normale d’une surface donnée – ici la terre puis le miroir. Concrètement, cela signifie que l’angle ABF est un angle droit, et que le triangle ABF est isocèle-rectangle.

 

 

 

La réfraction : l’oblicité de la relation contre la détermination substantielle
Une fois déterminée la réflexion à partir de l’angle d’incidence, demeure la délicate question de la réfraction, soit celle de la rencontre de la balle non plus avec un milieu solide mais bien plutôt avec un milieu offrant une faible résistance. La déviation de la trajectoire ne peut plus être pensée comme elle l’était dans le cas de la réflexion, si bien que Descartes échafaude une nouvelle comparaison en vue d’en déterminer le mouvement.
Et premièrement supposons qu’une balle, poussée d’A vers B, rencontre au point B, non plus la superficie de la terre, mais une toile CBE, qui soit si faible et déliée que cette balle ait la force de la rompre et de passer tout au travers, en perdant seulement une partie de sa vitesse, à savoir, par exemple, la moitié. Or cela posé, afin de savoir quel chemin elle doit suivre, considérons derechef que son mouvement diffère entièrement de sa détermination à se mouvoir plutôt vers un côté que vers un autre, d’où il suit que leur quantité doit être examinée séparément (33).

 

 

Figure 6 : Schéma de Descartes, Dioptrique Discours deuxième.

Figure 6 : Schéma de Descartes, Dioptrique Discours deuxième. Une discussion de ce schéma est proposée en encadré hors texte ci-après. Suivant cette construction, HF = 2AH (ce que traduit mal la figure), soit BE=2BC (le point C à peine visible est abaissé de A), soit BI*cos(IBE) = 2BA*cos(CBA), soit cos(IBE) = 2cos(CBA), soit sin(GBI)=2sin(HBA), soit la loi des sinus sinr=2sini.
Nous retrouvons dans ce passage la grande difficulté de la question du temps et de la vitesse, que mentionne Ferdinand Alquié dans sa remarquable édition : comment penser une vitesse diminuée de moitié si la propagation de la lumière est instantanée (34) ? Une fois encore, la seule solution permettant de sauver Descartes consiste à considérer que les exemples du premier Livre n’avaient de sens qu’eu égard à une problématique donnée et ne pouvaient être repris sur des problématiques autres que celles qu’ils cherchaient à élaborer ; de ce fait, le cas du bâton montrant que la lumière présente une propagation instantanée ne peut être repris pour penser la question de la réfraction qui obéit à un questionnement local dont ne rend pas compte la problématique du bâton. Par ailleurs, puisque la toile se trouve transpercée, le problème de la réflexion se modifie radicalement : il ne s’agit plus d’annuler le mouvement vertical au profit du seul mouvement horizontal, mais bien plutôt de penser la poursuite du mouvement vertical et du mouvement horizontal, de sorte que la motion latérale et la direction verticale doivent être toutes deux pensées, quoique de manière séparée, raison pour laquelle Descartes suggère de penser séparément leur quantité.
Quelle est donc la direction de la réfraction ? Reprenant l’argument du cercle, Descartes reproduit le même argument : soit B le point d’impact avec la toile, nous savons que la balle ralentit à partir de l’impact, et diminue sa vitesse de moitié. De ce fait, pour effectuer la même distance que pour AB, il faudra deux fois plus de temps. Par conséquent, la droite (nommée EF) sur laquelle arrivera la balle n’est plus à une distance de BH équivalant à celle d’AB mais correspond au double de sa distance. Enfin, si nous traçons à nouveau le cercle de centre B et de rayon AB, nous saurons que le point d’arrivée de la balle se situera là où coïncident la circonférence du cercle et la droite IF.

 

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Mais qu’en est-il si le milieu se modifie de manière plus significative encore, si par exemple la balle rencontre un milieu aqueux ? Descartes affirme que la réfraction liée à un milieu aqueux engendre exactement les mêmes effets que ceux produits par la toile :
Car, premièrement, il est certain que la superficie de l’eau la doit détourner vers là en même façon que la toile, vu qu’elle lui ôte tout autant de sa force, et qu’elle lui est opposée en même sens. Puis, pour le reste du corps qui remplit tout l’espace […], encore qu’il lui résiste plus ou moins que ne faisait l’air que nous y supposions auparavant, ce n’est pas à dire pour cela qu’il doive plus ou moins la détourner : car il se peut ouvrir, pour lui faire passage, tout aussi facilement vers un côté que vers un autre, au moins si on suppose toujours, comme nous faisons, que ni la pesanteur ou légèreté de cette balle, ni sa grosseur, ni sa figure, ni aucune autre telle cause étrangère ne change son cours (35).
Une fois encore, il convient d’apprécier la construction intellectuelle du schéma cartésien : les caractéristiques inhérentes de la balle ne présentent aucune conséquence quant à la trajectoire de cette dernière. De la même manière, ce qu’est la lumière et ce qu’elle contient ne jouent aucun rôle quant à la trajectoire de celle-ci. Seule compte, par conséquent, non plus ce qu’est la balle ni ce qu’elle contient comme déterminations intrinsèques, mais bien plutôt la manière dont elle se rapporte au milieu qu’elle va traverser. Et de ce point de vue, l’oblicité importe bien davantage que la balle comme telle : plus la rencontre de la balle avec le milieu aqueux est oblique, c’est-à-dire moins elle est perpendiculaire à ce milieu, plus la déviation est forte. Cela signifie qu’une balle qui tomberait à la verticale sur une surface aqueuse s’enfoncerait de manière parfaitement droite ; en revanche, une balle dont la trajectoire serait presque parallèle à la surface aqueuse aurait tendance à
rejaillir de sa superficie B vers l’air L, tout de même que si elle y avait rencontré de la terre (36).
 

 

Figure 7 : Schéma de Descartes, Dioptrique Discours deuxième.

Figure 7 : Schéma de Descartes, Dioptrique Discours deuxième. Dans la figure 5, FH = 2AH (on est dans le premier cas de Descartes où la vitesse verticale est divisée par 2). Dans cette figure, Descartes suppose la vitesse verticale divisée par un facteur plus grand (HF = n AH), de sorte que la perpendiculaire en F n’a plus d’intersection avec le cercle – c’est à présent interprété comme la réflexion totale entre milieux de réfringence très différentes (absence de réfraction).
Descartes rompt radicalement avec la physique substantialiste d’Aristote et y substitue une physique où seules importent les relations : c’est la relation entre la trajectoire de la balle et le milieu auquel elle se heurte qui détermine la direction de celle-ci ; certes, Descartes n’écarte pas systématiquement la nature du milieu – un milieu solide diffère d’un milieu de faible résistance – mais il ne l’envisage que pour mieux préciser la nature des relations entre deux types d’objets et n’en fait nullement une détermination intrinsèque de la trajectoire.
À bien regarder ce que décrit Descartes, il apparaît que le raisonnement repose sur une détermination de la réfraction à partir des sinus ; cela est très sensible alors qu’il imagine l’augmentation d’un tiers de la quantité de mouvement au moment où la balle entre en contact avec le nouveau milieu ; celle-ci n’a donc plus besoin que de deux moments pour effectuer le mouvement qui en sollicitait trois avant l’accroissement de sa quantité : toujours en conservant le même raisonnement, il convient de tracer une verticale parallèle à HB, mais dont la distance à l’égard de ce segment est d’un tiers moindre que la distance séparant AC de HB. Puis, on cherche sur cette droite le point permettant de faire en sorte que soit reproduite la distance AB, ce qui a pour effet d’infléchir davantage la réfraction, et de précipiter la balle vers un angle dont BE ramené à l’hypoténuse détermine le sinus. Pour l’exprimer selon l’idée de sinus, nous pouvons dire que Descartes, en observant que CB est égal à AH, définit le sinus de l’angle d’incidence et par l’égalité de BE et GI, définit le sinus de l’angle de réfraction.

 

 

Figure 8 : Schéma de Descartes, Dioptrique Discours deuxième.

Figure 8 : Schéma de Descartes, Dioptrique Discours deuxième. C’est ici le cas où la balle est accélérée en passant en B : la trajectoire, à l’inverse de la figure 5, se rapproche de la perpendiculaire (en I).
Mais comment transposer cette description balistique à la trajectoire de la lumière ? Descartes répond ainsi :
Enfin, d’autant que l’action de la lumière suit en ceci les mêmes lois que le mouvement de cette balle, il faut dire que, lorsque ses rayons passent obliquement d’un corps transparent dans un autre, qui les reçoit plus ou moins facilement que le premier, ils s’y détournent en telle sorte, qu’ils se trouvent toujours moins inclinés sur la superficie de ces corps, du côté où est celui qui les reçoit le plus aisément, que du côté où est l’autre : et ce justement à proportion de ce qu’il les reçoit plus aisément que ne fait l’autre (37).
Cette transposition, qui semble claire, ne va pas sans pourtant soulever de nombreuses difficultés, notamment eu égard aux préceptes cartésiens eux-mêmes. Il y a d’abord la présence d’une notion fort peu claire et distincte qu’est celle de « réception aisée ». De quoi s’agit-il ? D’un milieu n’offrant qu’une faible résistance ou offrant une résistance forte empêchant la lumière de se diffuser ? L’idée n’est pas suffisamment définie et se révèle obscure. En outre, le raisonnement utilisé semble reposer sur l’idée d’une proportionnalité qui sera développée un peu plus bas : il existe une raison, c’est-à-dire une proportion entre les lignes droites « qui demeure la même en toutes les réfractions qui sont causées par les mêmes corps (38)». Ici se trouve, bien que le terme n’apparaisse pas, utilisée la loi des sinus dont une lettre de juin 1632 écrite à Mersenne préparait déjà le terrain :
Pour la façon de mesurer les réfractions de la lumière, instituo comparationem inter sinus angulorum incidentiae et angulorum refractorum (39) ; mais je serais bien aise que cela ne fût point encore divulgué, parce que la première partie de ma Dioptrique ne contiendra autre chose que cela seul (40).
La Dioptrique utilise ainsi la loi des sinus, c’est-à-dire l’idée d’une relation de proportionnalité entre la longueur des côtés d’un triangle et les sinus des angles opposés, bien que le vocable n’y figure guère.
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Cette détermination de la réfraction obéit donc parfaitement à la notion de « dimension » définie dans les Regulae et ordonnée selon la mesure. Mieux encore, la géométrisation de la réfraction produit une technique somme toute fort aisée selon laquelle la détermination numérique d’un rayon résout l’essentiel des difficultés. Loin d’envisager la nature des corps comme telle, Descartes impose une mathématisation du problème, par lequel le rapport entre les objets devient un rapport mathématique. Cela n’interdit pas de considérer les différences entre milieux, mais le rapport numérique prime largement sur celles-ci, ce que confirme Descartes en ces termes :
encore que, pour déterminer leur quantité, en tant qu’elle dépend de la nature particulière des corps où elles se font, il soit besoin d’en venir à l’expérience, on ne laisse pas de le pouvoir faire assez certainement et aisément, depuis qu’elles sont ainsi toutes réduites sous une même mesure ; car il suffit de les examiner en un seul rayon pour connaître toutes celles qui se font en une même superficie, et on peut éviter toute erreur, si on les examine outre cela en quelques autres (41).

 

 

L’erreur de Descartes ?

 

L’analyse faite ici porte sur la démarche philosophique de Descartes. Si l’on se tourne vers la physique sous-jacente au texte, le raisonnement de Descartes soulève quelques difficultés, ce que relève Fermat (1607-1665) dès la parution de la Dioptrique. Dans une lettre à Mersenne de septembre 1637, Fermat conteste le raisonnement de Descartes pour la réflexion – sans néanmoins contester le résultat d’égalité d’angle d’incidence et de réflexion. Descartes relèvera avec succès (lettre à Mersenne, octobre 1637) cette objection : Fermat décomposait le mouvement en deux mouvements non perpendiculaires, et Descartes a beau jeu d’indiquer que son raisonnement nécessite qu’on prenne en considération toute « la détermination à se mouvoir » suivant l’axe vertical – et au final à considérer le mouvement décomposé suivant un axe vertical et un axe horizontal, donc deux axes perpendiculaires. Fermat conteste aussi le raisonnement pour la réfraction : dans un cas comme dans l’autre il soupçonne Descartes d’utiliser un raisonnement ad hoc, en connaissant les résultats – Descartes écrit bien (p.73, commentant la figure 5 ci-dessus) « en ligne droite depuis B jusque à I, ainsi qu’il est aisé à vérifier par l’expérience ».

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Le raisonnement de Descartes pour la réfraction est en effet difficile à suivre : la balle (dont la « détermination à se mouvoir » dans le sens vertical a été divisée par deux) met deux fois plus de temps à rejoindre le cercle depuis B qu’elle n’en avait mis à rejoindre B depuis le cercle (en A) ; et en cet intervalle de temps double, elle parcourt dans le sens horizontal (où la « détermination à se mouvoir » n’est pas affectée) une distance double, c'est-à-dire la distance horizontale HF=2AH. Elle arrive donc en I, point d’intersection du cercle et de HF (ce qui donne la loi des sinus, cf. légende figure 5 ci-dessus). Un raisonnement sur la direction vectorielle de la vitesse (mais ce n’est pas celui de Descartes) pourrait donner un autre résultat : si l’on prend la valeur verticale de la vitesse divisée par deux, on obtiendrait dans ce cas EI=1/2AC soit cos(r)= ½cos(i) – c'est-à-dire une loi de cosinus et non de sinus. Fermat ne trouvera pas d’argument décisif lors de ses échanges avec Descartes sur la Dioptrique. Comme l’indique Michèle Grégoire (42), « Fermat lui-même avoue n’être pas vraiment encore satisfait de sa propre solution. Il ne retravaillera sur ce sujet qu’une quinzaine d’années plus tard, après la mort de Descartes, et mettra alors au point le principe selon lequel la lumière suit le trajet de durée minimale ».

 

 

Figure 9 : Principe de Fermat pour les trajets lumineux.

Figure 9 : Principe de Fermat pour les trajets lumineux. Une analogie connue est le « problème du maître-nageur (43) » : au-dessus de la ligne bleue, c’est la plage de sable, où le maître-nageur sauveteur court à la vitesse V, et en-dessous c’est la mer, où il nage à une vitesse v < V. Partant de A, pour aller chercher une personne en difficulté en B, il doit prendre le chemin AMB, et on montre que sin(r)= v/V sin (i).

Finalement, comme souvent dans la physique de Descartes, on doit se garder, au vu des connaissances actuelles, de se fier à ses hypothèses en physique : - Il établit la loi des sinus avec un raisonnement contestable. - Le mathématicien hollandais Willebrord Snell (1580-1626) l’avait établie avant lui ; la France est pratiquement le seul pays où l’on parle de lois de Descartes, ou de Snell-Descartes ; les autres pays parlent de lois de Snell. - Il établit la loi des sinus avec r < i dans le cas où la vitesse est augmentée (figure 8 ci-dessus). Il émet l’hypothèse que la lumière va plus vite dans les milieux plus denses (cf. ci-après). Discutons cette dernière hypothèse. Comme le souligne F. Robine (44), elle n’était pas aberrante : après tout la vitesse du son n’est-elle pas plus grande dans des milieux beaucoup plus denses comme l’acier ? Concernant la lumière, Huygens et Fermat pensaient le contraire. L’incertitude se prolongera longtemps : la lumière va-t-elle plus vite dans l’eau ou dans l’air ? Il faudra attendre l’expérience de Foucault (45), menée sous l’impulsion d’Arago, pour établir que l’eau est un milieu plus réfringent que l’air, et que la lumière y va moins vite. Il est à présent bien connu que la lumière passant dans un milieu plus réfringent qu’un autre (indice supérieur) voit sa vitesse diminuer, avec toujours r < i , ce qui ne correspond pas à l’énoncé cartésien.

 

 

La relation contre la substance
Il demeure, quant à la réfraction, une question non résolue, que d’ailleurs nous pourrions relier à l’ambiguïté de l’expression de « réception aisée ». La réfraction se comporte-t-elle de manière identique dans les deux milieux de réception aisée que sont l’air et la lumière ? Pire encore, comment envisager le statut du verre : milieu solide pour une balle, il constitue un obstacle pour cette dernière, tandis qu’il laisse passer la lumière, jetant le soupçon à la fois quant à la pertinence de la comparaison elle-même et quant à la pertinence d’une étude de la trajectoire de la lumière en fonction de la solidité des milieux rencontrés. Descartes envisage évidemment cette objection et y consacre la fin du deuxième Livre :
Mais peut-être, écrit ce dernier, vous étonnerez-vous, en faisant ces expériences, de trouver que les rayons de la lumière s’inclinent plus dans l’air que dans l’eau, sur les superficies où se fait leur réfraction, et encore plus dans l’eau que dans le verre, tout au contraire d’une balle qui s’incline davantage dans l’eau que dans l’air, et ne peut aucunement passer dans le verre (46).
Il ne s’agit donc pas d’affirmer que la lumière se comporte exactement comme se comporte la trajectoire d’une balle, c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas de poser l’identité de la lumière et de la balle. Toutefois, et cela confirme l’ensemble du raisonnement cartésien tel que nous l’avons restitué, il s’agit bien moins de déterminer la différence de nature qu’il n’est question de penser une différence de rapports :
comme une balle perd davantage de son agitation, en donnant contre un corps mou, que contre ce qui est dur, et qu’elle roule moins aisément sur un tapis, que sur une table toute nue, ainsi l’action de cette matière subtile peut beaucoup plus être empêchée par les parties de l’air, qui étant comme molles et mal jointes, ne lui font pas beaucoup de résistance, que par celles de l’eau, qui lui en font davantage ; et encore plus par celles de l’eau, que par celles du verre ou du cristal. En sorte que d’autant que les petites parties d’un corps transparent sont plus dures et plus fermes, d’autant laissent-elles passer la lumière plus aisément : car cette lumière n’en doit pas chasser aucunes hors de leurs places, ainsi qu’une balle en doit chasser de celles de l’eau, pour trouver passage parmi elles (47)
Descartes utilise ici une argumentation tout à fait remarquable : c’est moins le milieu comme tel qui explique la réfraction que l’interaction entre le milieu et le corps. De ce fait, ce n’est pas la mollesse du milieu – donc sa nature – qui peut rendre compte de la trajectoire, puisque le tapis mou freine la balle tandis que l’air, constitué de parties « molles et mal jointes », oppose une résistance faible à la lumière. Par conséquent, la nature du milieu ne peut à elle seule rendre compte de la réfraction. En revanche, le rapport de la lumière à l’air, tout comme le rapport de la balle au tapis est en mesure d’expliquer le phénomène que cherche à cerner Descartes.
En outre, Descartes y ajoute une réflexion quant à la densité du milieu : plus le milieu est dense, c’est-à-dire moins les particules qui le composent laissent une place à leur propre mouvement, plus la lumière y pénètre aisément car moins elle a d’efforts à fournir pour s’y propager. Concrètement, cela signifie que la lumière se diffuse plus aisément à travers le verre dont la densité est importante qu’à travers l’eau où les particules peuvent être chassées et réassemblées. Plus simplement encore, la balle ne peut pénétrer un milieu aquatique qu’en écartant les particules sur sa trajectoire ; de la même manière, la lumière doit écarter les particules du milieu où elle pénètre, effort dont elle se dispense lorsque le milieu est particulièrement dense, si bien que sa propagation s’en trouve nettement facilitée (48).
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Ce deuxième Livre pose donc les bases géométriques de la détermination de la réfraction ; à partir d’un calcul fondé sur l’angle d’incidence et la détermination des sinus, Descartes parvient à construire un modèle opératoire destiné à penser la question de la réfraction et ce selon les différents milieux que peut rencontrer la lumière. Ainsi la nature de ces derniers se trouve-t-elle nettement relativisée au profit d’une recherche des effets des relations entre les corps et les milieux traversés, au profit d’une description universelle de la diffusion de la lumière. Néanmoins, si la relation entre le rayon lumineux et le milieu se trouve élucidée, il demeure une autre relation, tout aussi essentielle, qui n’est autre que celle établie entre l’œil et le rayon. Comment le rayon se rapporte-t-il à l’œil, voilà l’objet du troisième Livre.

 

 

III –Principes physiologiques de la vision : esprits animaux, petits filets et images

 

Pourquoi est-ce l’âme qui sent et non le corps ?
Le troisième Livre, intitulé « de l’œil », constitue une étude de l’œil, étude somme toute d’inspiration physiologique. Reprenant en grande partie, sous une forme nettement résumée, les résultats du Traité de l’Homme, Descartes condense un grand nombre d’idées antérieures. Le Traité de l’Homme décrivait le sens de la vue comme dépendant
de deux nerfs, qui doivent sans doute être composés de plusieurs petits filets, les plus déliés, et les plus aisés à mouvoir qui puissent être ; d’autant qu’ils sont destinés à rapporter au cerveau ces diverses actions des parties du second élément, qui, suivant ce qui a été dit ci-dessus, donneront occasion à l’âme, quand elle sera unie à cette machine, de concevoir les diverses idées des couleurs et de la lumière (49).

 

 

 

Figure 10 : Schéma de l’oeil, Dioptrique Discours troisième.

Figure 10 : Schéma de l’oeil, Dioptrique Discours troisième.
Il y avait, déjà à l’époque, l’idée d’une transmission d’informations des organes au cerveau, informations qui seraient interprétées par l’âme en termes d’idées. Autrement dit, la véritable sensation procède d’une possibilité de la conscience et non du corps qui, comme tel, se contente de transmettre des informations qui, par elles-mêmes, n’ont aucun sens précis. Seule l’âme, c’est-à-dire la conscience, est capable de penser l’information comme étant de la lumière ou de la couleur. Néanmoins, puisque l’âme seule ne pouvait rien sentir, il apparaissait nécessaire à Descartes que fût décrite la structure de l’œil.
Le troisième Livre de la Dioptrique synthétise donc un certain nombre de problèmes relatifs à la structure de l’œil, sur un mode essentiellement descriptif, n’appelant guère de commentaires car le texte ne présente aucune obscurité. Nous pouvons ainsi directement passer au quatrième Livre, bien plus conceptuel. Ce dernier s’ouvre par une réflexion sur les sens, corroborant ce que nous annoncions ci-dessus :
On sait déjà assez, écrit Descartes, que c’est l’âme qui sent, et non le corps : car on voit que lorsqu’elle est divertie par une extase ou forte contemplation, tout le corps demeure sans sentiment, encore qu’il ait divers objets qui le touchent (50).
Il est plusieurs remarques à formuler ici. D’une part, Descartes formule une remarque qui se retrouvera à de nombreuses reprises dans son œuvre, à savoir que l’âme sent, donc que le sentir est une des propriétés de la conscience. La res cogitans se déclinera en effet en sentiens dans les Méditations (51) tout comme les Principes préciseront ce qu’est le sens. Descartes écrira :
C’est pourquoi il est ici besoin que nous remarquions qu’encore que notre âme soit unie à tout le corps, elle exerce néanmoins ses principales fonctions dans le cerveau, et que c’est là non seulement qu’elle entend et qu’elle imagine, mais aussi qu’elle sent ; et ce par l’entremise des nerfs, qui sont étendus, comme des filets très déliés, depuis le cerveau jusques à toutes les parties des autres membres […] (52)
À cet égard, l’idée que c’est l’âme qui sent, et non le corps, bien que le secours de ce dernier soit indispensable, structurera l’entièreté de la réflexion cartésienne. Mais, d’autre part, il convient de remarquer que, dans la Dioptrique, l’argument proposé ne relève en rien d’une quelconque teneur métaphysique : seule la physiologie rend compte du fait que l’âme sent, en ceci qu’une expérience quotidienne suffit à prouver que c’est l’attention de la conscience qui détermine ce qui est senti, puisque le corps peut être affecté sans que cela ne soit consciemment senti, si l’âme n’y prête guère attention. Bref, il n’est ici guère question de mobiliser l’immatérialité de la conscience pour rendre compte du fait que seule l’âme sent, une simple expérience suffit à le prouver.
Le corps apparaît comme une condition nécessaire quoique non suffisante de la sensation, en ce sens que, sans lui, aucune information ne saurait être transmise, mais l’information comme telle ne saurait être perçue comme une sensation : seule l’âme la perçoit ainsi. Le rôle des nerfs et du cerveau ne se trouve de ce fait nullement nié mais Descartes refuse d’en faire la seule raison de la sensation visuelle :
On sait que c’est par l’entremise des nerfs que les impressions que font les objets dans les membres extérieurs parviennent jusques à l’âme dans le cerveau : car on voit divers accidents, qui ne nuisant à rien qu’à quelque nerf, ôtent le sentiment de toutes les parties du corps où ce nerf envoie ces branches, sans rien diminuer de celui des autres (53).
Les nerfs assurent ainsi une fonction de transmission de l’information envers le cerveau, en vue d’un traitement de celle-ci par l’âme, ce que confirme Descartes en précisant que lorsque les nerfs sont déficients, plus aucune forme de sentiment, liée aux parties du corps qu’ont pour charge de relier lesdits nerfs, ne peut exister.

 

 

Esprits animaux et petits filets : la double fonction des nerfs
Dans la mesure où toute forme de raisonnement métaphysique se trouve évacuée, Descartes peut donc développer une description physiologique tripartite des nerfs.
Il faut distinguer trois choses en ces nerfs : à savoir premièrement les peaux qui les enveloppent, et qui, prenant leur origine de celles qui enveloppent le cerveau, sont comme de petits tuyaux divisés en plusieurs branches, qui vont épandre çà et là par tous les membres, en même façon que les veines et les artères ; puis leur substance intérieure, qui s’étend en forme de petits filets tout le long de ces tuyaux, depuis le cerveau, d’où elle prend son origine, jusques aux extrémités des autres membres, où elle s’attache, en sorte qu’on peut imaginer, en chacun de ces petits tuyaux, plusieurs de ces petits filets indépendants les uns des autres ; puis enfin les esprits animaux, qui sont comme un air ou un vent très subtil qui, venant des chambres ou concavités qui sont dans le cerveau, s’écoule par ces mêmes tuyaux dans les muscles (54).
Le Traité de l’homme comparait ces nerfs avec les « tuyaux des machines de ces fontaines » (55), c’est-à-dire à quelque chose de l’ordre d’une fonction destinée à mouvoir et à distribuer : le nerf cartésien est d’abord ce par quoi quelque chose se meut.
Mais surtout, Descartes conserve la notion d’esprit animal, qui doit être ici entendu au sens d’un esprit animé, c’est-à-dire en mouvement. Il faut néanmoins préciser, au-delà de la notion d’animation, à quoi correspond cette idée d’esprit animal. Pour ce faire, il nous faut nous reporter à d’autres textes, notamment à cette lettre à Vorstius du 19 juin 1643 dans laquelle Descartes définit on ne peut plus clairement ce qu’il entend par cette expression :
Enfin, écrit ce dernier, les particules du sang qui sort du cœur par la grande artère, au maximum de l’agitation, poursuivent, en droite ligne, leur mouvement par les artères carotides vers le milieu du cerveau ; elles entrent dans ses cavités où, séparées du reste du sang, elles forment les esprits animaux (56)
Les esprits animaux apparaissent ainsi comme un dérivé des particules sanguines qui pénètrent les cavités sanguines. Ils ne se distinguent en rien, quant à leur nature, du reste des particules sanguines classiques, à ceci près qu’ils ont dû faire l’épreuve de « l’étroitesse des canaux par lesquels ils entrent dans le cerveau : le reste du sang n’y peut passer (57) ». La célèbre Lettre au marquis de Newcastle reprend cette définition en faisant des esprits animaux la partie la plus subtile du sang :
Et ce qu’ils [les médecins] nomment les esprits animaux, n’est autre chose que les plus vives et plus subtiles parties de ce sang, qui sont séparées des plus grossières, en se criblant dans les petites branches des artères carotides, et qui sont passées de là dans le cerveau, d’où elles se répandent par les nerfs en tous les muscles (58).
Il s’agit donc pour Descartes de reprendre une expression ancienne en en clarifiant toutefois le sens à partir de données expérimentales précises.
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Une fois posée cette définition, encore faut-il revenir à la description tripartite des nerfs que propose Descartes et poser la question suivante : comment le nerf organise-t-il à la fois le mouvement du membre et en même temps la sensation transmise par celui-ci ? Si la peau, soit l’enveloppe du nerf, constitue le noyau central, on ne comprend pas comment l’information pourrait parvenir au cerveau. Si l’on procède à une distinction entre le rôle de la peau (sentir) et celui de la substance intérieure (mouvoir), on introduit une dichotomie et une distinction « qui sont choses fort répugnantes à l’expérience et à la raison (59) ». En somme, il apparaît invraisemblable à Descartes qu’un nerf ne serve qu’au mouvement ou qu’à la sensation ; il refuse catégoriquement que soient séparés nerfs sensitifs et nerfs moteurs. Il s’exclame ainsi :
Car, s’exclame ce dernier, qui a jamais pu remarquer aucun nerf, qui servît au mouvement, sans servir aussi à quelque sens (60) ?
Il ne faut donc en aucune manière scinder deux types de nerfs, mais, bien au contraire, chercher dans l’immanence même du nerf ce qui peut assurer les deux fonctions. Toute la difficulté consiste alors à déterminer quelle entité pourrait assurer ces dernières. La seule solution n’est autre que de solliciter le troisième terme, soient les esprits animaux, ainsi que le deuxième terme, soient les petits filets, par lesquels s’unifient sensation et mouvement.
il faut penser que ce sont les esprits qui, coulant par les nerfs dans les muscles, et les enflant plus ou moins, tantôt les uns, tantôt les autres, selon les diverses façons que le cerveau les distribue, causent le mouvement de tous les membres ; et que ce sont les petits filets, dont la substance intérieure de ces nerfs est composée, qui servent aux sens (61).
Il convient ainsi de se représenter les nerfs comme des tuyaux au sein desquels de petits filets contigus reliés les uns aux autres transmettent l’information au cerveau, en vertu du fait que l’agitation de l’un entraîne l’agitation de tous les autres,
en telle sorte que, pour peu qu’on touche et fasse mouvoir l’endroit de ces membres où quelqu’un d’eux est attaché, on fait aussi mouvoir au même instant l’endroit du cerveau d’où il vient, ainsi que, tirant l’un des bouts de code qui est toute tendue, on fait mouvoir au même instant l’autre bout (62).
Les nerfs présentent donc bel et bien une double fonction, à la fois sensorielle et motrice, puisque les esprits animaux assurent le mouvement tandis que les petits filets transmettent l’information sensorielle. Le va-et-vient entre le membre et le cerveau se trouve effectué par de mêmes nerfs.

 

 

 

L’image-signe contre l’image-ressemblance
Une dernière question reste en suspens : quelle est la nature de ce qui est envoyé au cerveau via les nerfs et, plus précisément encore, via les petits filets ? La question est fort délicate pour Descartes qui, ainsi que nous l’avions rappelé plus haut, ne saurait admettre que les idées proviennent des objets comme tels. Pourtant, les petits filets transmettent bien quelque information au cerveau : de quelle nature est cette dernière ? À cette question, Descartes répond par la notion d’image, dont il infléchit toutefois le sens traditionnel :
Il faut […] prendre garde à ne pas supposer que, pour sentir, l’âme ait besoin de contempler quelques images qui soient envoyées par les objets jusques au cerveau, ainsi que le font communément nos philosophes ; ou, du moins, il faut concevoir la nature de ces images tout autrement qu’ils ne font. Car, d’autant qu’ils ne considèrent en elles autre chose, sinon qu’elles doivent avoir de la ressemblance avec les objets qu’elles représentent, il leur est impossible de nous montrer comment elles peuvent être formées par ces objets, et reçues par les organes des sens extérieurs, et transmises par les nerfs jusques au cerveau (63).
Il s’agit donc ici de penser ce que transmettent les nerfs et, plus précisément encore, de cerner la nature de l’information transmise. Les nerfs optiques peuvent-ils transmettre une image de l’objet perçu ? Descartes s’oppose fermement à une telle possibilité, en maintenant toutefois une nuance : les nerfs peuvent transmettre une image de l’objet à la condition que celle-ci ne soit pas pensée comme ressemblance avec l’objet.
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Quelle peut alors être la nature de l’image si celle-ci ne présente pas pour fonction première de ressembler à l’objet ? Tout porte à croire que Descartes défend une nouvelle conception de l’image qui, loin de s’épuiser dans la ressemblance, se contente de signifier l’objet au cerveau :
si, pour ne nous éloigner que le moins qu’il est possible des opinions déjà reçues, nous aimons mieux avouer que les objets que nous sentons, envoient véritablement leurs images jusques au-dedans de notre cerveau, il faut au moins que nous remarquions qu’il n’y a aucunes images qui doivent en tout ressembler aux objets qu’elles représentent : car autrement il n’y aurait point de distinction entre l’objet et son image : mais qu’il suffit qu’elles leur ressemblent en peu de choses ; et souvent même que leur perfection dépend de ce qu’elles ne leur ressemblent pas tant qu’elles pourraient faire (64).
Il s’agit donc moins de donner au cerveau une image ressemblant à l’objet qu’il n’est question de suggérer au monde cérébral la forme de l’objet. L’esquisse signifie parfois bien plus que la ressemblance, l’évocation davantage que le détail. Il n’est donc nullement question de comprendre comment s’effectue la transposition d’une copie conforme de l’espace mondain vers le monde cérébral, mais il s’agit bien plutôt de conférer au cerveau une base suggestive que pourra interpréter l’âme.
Pour étayer son argument, Descartes pioche au sein des traités de perspective le cas des anamorphoses :
suivant les règles de la perspective, souvent elles [les images] représentent mieux des cercles par des ovales que par d’autres cercles ; et des carrés par des losanges que par d’autres carrés ; et ainsi de toutes les autres figures : en sorte que souvent, pour être plous parfaites en qualité d’images, et représenter mieux un objet, elles doivent ne pas lui ressembler (65).

 

 

Figure 11 : Dessin en anamorphose (photo WikiCommons, auteur Myrna Hoffman)

Figure 11 : Dessin en anamorphose (photo WikiCommons, auteur Myrna Hoffman)
Toujours friand de comparaisons pour étayer son propos, Descartes compare donc l’image de l’objet à l’image peinte de ce dernier : de même qu’une anamorphose impose d’introduire une dissemblance entre l’objet à représenter à sa représentation, de même les nerfs transmettent, pour bien suggérer l’objet, une image soustraite à l’impératif de ressemblance. En toute rigueur, nous pourrions dire que Descartes condamne moins la ressemblance qu’il ne condamne la ressemblance immédiate, au sens où c’est en transmettant une information peu ressemblante que la suggestion obtenue sera paradoxalement la plus ressemblante, de même que dans les anamorphoses l’ovale évoque bien davantage le cercle que n’y parviendrait un cercle.

 

Avril 2012

 

 

 

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Figure 12 : « Des images qui se forment au fond de l’œil », Dioptrique Discours cinquième.

Figure 12 : « Des images qui se forment au fond de l’œil », Dioptrique Discours cinquième.

 


(1) Que l’on porte la faux dans la récolte d’autrui.

(2) Lettre à Mersenne du 25 novembre 1630, FA I, 286, AT I, 179-180. Nous citerons désormais trois éditions. En premier lieu, celle des Œuvres complètes, dirigée par Denis Kambouchner et Jean-Marie Beyssade, et dont le troisième tome contenant la Dioptrique a paru chez Gallimard, en 2009, et notée OC III, suivi du numéro de page. En deuxième lieu, nous nous référerons à l’édition de Ferdinand Alquié, parue chez Classiques Garnier en trois tomes, chacun des tomes sera noté FA suivi du numéro du volume et du numéro de la page. Enfin, nous citerons l’édition dite de référence, celle d’Adam et Tannery, notée AT, suivie du numéro du volume et du numéro de page. Seul le tome III ayant paru pour l’édition des Œuvres complètes, il pourra arriver qu’elle ne figure pas dans la référence de certains textes.

(3) Lettre à Mersenne de mars 1636, FA, p. 516, AT I, 339-340

(4) Pour un aperçu général du problème médiéval et de l’influence qu’exerça John Peccham, on consultera David Lindberg, John Pecham and the science of optics. Perspectiva communis, University of Wisconsin Press, London, 1970.

(5) Le propos de Léonard peut paraître sibyllin tel qu’il est formulé ; il convient de comprendre que la vue constitue le sens le plus noble, de sorte que les arts s’adressant à la vue sont plus nobles que ceux s’adressant à des sens moins nobles, comme l’ouïe ; concrètement, la poésie s’adressant à l’ouïe est moins noble que la peinture s’adressant à la vue, et ce en vertu de l’éminente noblesse de celle-ci.

(6) Leonardo da Vinci, Trattato della pittura, § 24, in Leonardo da Vinci, Scritti, Rusconi, Santarcangelo di Romagna, 2009, p. 37; Léonard de Vinci, Traité de la peinture, § 20, Traduction A. Chastel et R. Klein, Club des libraires de France, Paris, 1960, p. 37

(7) Léonard de Vinci, Codex Huygens, folio 87 r, cité par Erwin Panofsky, Le codex Huygens et la théorie de l’art de Léonard de Vinci, Traduction Daniel Arasse, Flammarion, Paris, 1996, p. 43

(8) Le néoplatonisme développe en effet un éloge de l’œil et de la vision qu’il élève à une dimension métaphysique et dont l’impulsion première se trouve sans aucun doute dans le Phèdre de Platon : dans ce dialogue, la vue acquiert un statut à l’égard duquel rien ne saurait être plus digne car elle permet à la fois de saisir la « beauté » du jeune garçon par laquelle se répand l’amour et en même temps de « contempler » les réalités intelligibles. C’est la raison pour laquelle Platon emploie à de nombreuses reprises le verbe « contempler » pour qualifier le contact de l’âme avec la vérité, c’est-à-dire pour décrire ce moment de la révolution de l’âme pendant lequel « elle contemple la justice en soi, elle contemple la sagesse, elle contemple la science […]. » [Platon, Phèdre, 247 d, Traduction Luc Brisson, GF, Paris, 2000, p. 120] Peu après, afin de décrire les contemplations des âmes et les ordonner, Platon évoque celle qui aura eu « la vision la plus riche » [Ibid., 248d, p. 121], de sorte que la vision comme contemplation des intelligibles confère à la vision des choses sensibles une dignité suprême : « la vision est la plus aiguë des perceptions qui nous viennent par l’intermédiaire du corps, affirme Socrate. »[Ibid., 250d, p. 124] Ficin rappellera cette double extension de la vision, naturellement portée vers les choses sensibles mais aussi étendue à la saisie des vérités intelligibles : « Les Platoniciens, écrit ce dernier, nous apprennent à comparer l’intellect avec la vue et l’intelligible à ce qui est visible. », Marsile Ficin, Théologie platonicienne, XVIII, 8, 4, in Marsilio Ficino, Platonic Theology, volume VI, pp. 124-125 Toutefois, nuance l’auteur de la Théologie platonicienne, l’œil ne perçoit pas en règle générale la lumière dans sa brillance maximale car il est aveuglé par la source d’où elle émane, ainsi qu’en témoigne l’aveuglement que provoque le soleil. Mais cela ne doit pas signifier une impossibilité absolue car « à un certain point, l’intellect humain est en mesure de clairement voir [clare perspicere] la même lumière de Dieu après qu’elle eut été soit déterminée telle qu’elle était dans les Idées des choses créées, soit déjà contractée dans les anges, « à un certain point » signifiant le moment où l’intellect a été autant séparé de la contagion corporelle qu’en sont séparés les Idées et les anges. » [Ibid., pp. 126-127] Il apparaît ici clairement que toute la sémantique de la mise en rapport avec la lumière divine s’effectue selon une logique optique, Ficin reprenant une grande tradition néoplatonicienne selon laquelle l’âme, en tant qu’elle se sépare du corps, parvient à voir la vérité, c’est-à-dire dans le syncrétisme florentin de l’époque, la lumière divine.

(9) Descartes, Dioptrique I, OC III, 148 ; FA I, 651 ; AT VI, 81

(10) Descartes, Principes de la philosophie, IV, § 195, FA III, p. 509 ; AT IX, II, 314

(11) C’est nous qui soulignons.

(12) Descartes, Discours de la méthode, VI, OC III, 122 ; FA I, 634 ; AT VI, 61-62

(13) Pierre Guénancia nous semble avoir fait justice à ce mésusage du Discours de la méthode : « L’utilisation technique de la nature ne nous paraît pas révéler un désir de conquête ou de domination, mais dépendre plutôt de la conscience du possible. […]. Cela ne signifie nullement que « la puissance de la nature » se limite à la production des effets ordinaires ; au contraire, cette puissance est pour ainsi dire sous-employée si on la rapporte seulement à ce qu’elle produit effectivement.», Pierre Guénancia, Lire Descartes, Gallimard, coll. folio-essais, 2000, p. 360 Ainsi la technique révèle-t-elle les potentialités de la nature que celle-ci, sans le secours de la technique, ne saurait exploiter. Plus clairement encore, la nature n’accède pas par elle-même à tout ce dont elle est capable ; seule la technique accomplit les potentialités naturelles

(14) Il convient d’entendre là ce qui se rapporte au monde, et non une quelconque distinction sociale.

(15) Descartes, Méditations métaphysiques, III, FA II, 434 ; AT IX, 29

(16) Descartes, Le Monde, FA I, 315 ; AT XI, 3

(17) Une espèce intentionnelle est comme un signe envoyé par la chose et reçue par les sens, le signe étant de l’ordre d’une qualité susceptible de représenter la chose comme telle.

(18) Dioptrique, I, OC III, 152-153 ; FA I, 658 ; AT VI, 88

(19) Ibid., OC III, 153 ; FA I, 659 ; AT VI, 89

(20) Ibid., OC III, 150 ; FA I, 654 ; AT VI, 84.

(21) Descartes, Le Monde, XIV, FA I, 364 ; AT XI, 48

(22) Ibid.

(23) Dioptrique, I, OC III, 155 ; FA I, 662 ; AT VI, 91

(24) Ibid. OC III, 155 ; FA I, 662 ; AT VI, 92

(25) Il faut entendre sous ce terme la modification de la trajectoire rectiligne.

(26) Dioptrique, II, OC III, 156 ; FA I, 665 ; AT VI, 93-94

(27) Ibid., OC III, 157 ; FA I, 666 ; AT VI, 94

(28) D’après Françoise Hildesheimer, Monsieur Descartes. La fable de la raison. Grandes biographies, Flammarion, 2010 (p. 183).

(29) Descartes, Règles pour la direction de l’esprit, Règle XIV, FA I, 178 ; AT X, 447

(30) Dioptrique, II, OC III, 157-158 ; FA I, 666-667 ; AT VI, 95

(31) Ibid., OC III, 158 ; FA I, 667 ; AT VI, 95-96

(32) Ibid. OC III, 158 ; FA I, 668 ; AT VI, 96

(33) Ibid., OC III, 158-159 ; FA I, 669 ; AT VI, 97

(34) « Ici, écrit Alquié, se présente une autre difficulté. Comment Descartes peut-il fonder son explication sur l’analogie de la lumière et d’une balle dont la vitesse diminue alors que, pour lui, la propagation de la lumière est instantanée. », FA I, note 1, p. 667.

(35) Ibid., OC III, 160 ; FA I, 670 ; AT VI, 98-99

(36) Ibid. OC III, 160 ; FA I, 671 ; AT VI, 99

(37) Ibid., OC OIII, 161 ; FA I 672 ; AT VI, 100

(38) Ibid., OC III, 162 ; FA I, 674 ; AT VI, 101

(39) Alquié traduit ainsi : « J’institue une comparaison entre les sinus des angles d’incidence et des angles réfractés. »

(40) Descartes, Lettre à Mersenne, juin 1632, FA I, 303 ; AT I, 255

(41) Dioptrique, II, OC III, 162 ; FA I, 674 ; AT VI, 102

(42) La correspondance entre Descartes et Fermat”, Revue d’histoire des sciences, 1998, vol. 51, p. 355-362 (en ligne Persée).

(43) Voir une discussion rapide de ce sujet dans le blog de sciences d’Alexandre Moatti, « Le chemin le plus court – un peu de réfraction », février 2009 (lien).

(44) Florence Robine, Histoire du principe de moindre action, Vuibert, 2006.

(45) Voir analyse de Jean-Jacques Samueli, « L’expérience du miroir tournant de Foucault », BibNum, septembre 2009 (lien).

(46) Ibid., p. 162 ; FA I, 675-676 ; AT VI, 102-103.

(47) Ibid., p. 163 ; FA I, 676 ; AT VI, 103

(48) Rappelons que cette hypothèse cartésienne sera par la suite invalidée par la physique : la vitesse de la lumière est moindre dans le verre que dans l’air.

(49) Descartes, Traité de l’Homme, FA I, 415 ; AT XI, 151

(50) Descartes, Dioptrique, IV, OC III, 167 ; FA I, 681-682 ; AT VI, 109

(51) Descartes, Méditations métaphysiques, II, FA II, 421 ; AT IX, 22

(52) Descartes, Principes de la philosophie, IV, § 189, FA III, 503-504 ; AT IX, 310

(53) Descartes, Dioptrique IV, OC III, 167 ; FA I, 682 ; AT VI, 109

(54) Ibid., OC III, 167-168 ; FA I, 682-683 ; AT VI, 110

(55) Descartes, Traité de l’homme, FA I, 390 ; AT XI, 131

(56) Descartes, Lettre à Vorstius, 19 juin 1643, FA III, 37 ; AT III, 688

(57) Ibid.

(58) Descartes, Lettre au Marquis de Newcastle, avril 1645, FA III, 562 ; AT IV, 191

(59) Dioptrique, IV, OC III, 168 ; FA I, 683 ; AT VI, 110-111

(60) Ibid. OC III, 168 ; FA I, 683 ; AT VI, 111

(61) Ibid.

(62) Ibid. OC III, 168 ; FA I, 684 ; AT VI, 111

(63) Ibid. OC III, 169 ; FA I, 684 ; AT VI, 112

(64) Ibid. OC III, 169 ; FA I, 685 ; AT VI, 112-113

(65) Ibid., OC III, 170 ; FA I, 685 ; AT VI, 113

ARTICLE BIBNUM

 

 

Logo BibNumAndré Warusfel, « Le Livre Premier de La Géométrie de Descartes », analyse BibNum novembre 2009 (lien)

 

 

 

 

LIVRES (PHYSIQUE)

 

 

Bernard Maitte, La Lumière, Seuil Points sciences 2005.
Bernard Maitte, La Lumière, Seuil Points sciences 2005.

 

 

Florence Robine, Histoire du principe de moindre action, Vuibert 2006.
Florence Robine, Histoire du principe de moindre action, Vuibert 2006.

 

 

A.I. Sabra, Theories of Light, from Descartes to Newton, Cambridge University Press (1967/1981) (en ligne partiellement sur Google Books)
A.I. Sabra, Theories of Light, from Descartes to Newton, Cambridge University Press (1967/1981) (en ligne partiellement sur Google Books)

 

 

 

 

LIVRES (PHILOSOPHIE)

 

 

Ferdinand Alquié, Leçons sur Descartes. Science et métaphysique chez Descartes, La Table ronde 2005 (réédition de Cours de la Sorbonne 1955)
Ferdinand Alquié, Leçons sur Descartes. Science et métaphysique chez Descartes, La Table ronde 2005 (réédition de Cours de la Sorbonne 1955)

 

 

Pierre Costabel, Démarches originales de Descartes savant, Vrin 1982.
Pierre Costabel, Démarches originales de Descartes savant, Vrin 1982.

 

 

Daniel Garber, La Physique métaphysique de Descartes, P.U.F. Épithémée, 1999.
Daniel Garber, La Physique métaphysique de Descartes, P.U.F. Épithémée, 1999.

 

 

Thibaut Gress, Apprendre à philosopher avec Descartes, Ellipses 2009.
Thibaut Gress, Apprendre à philosopher avec Descartes, Ellipses 2009.

 

 

Thibaut Gress, Descartes et la précarité du monde, CNRS Éditions 2012 (lien interview France-Culture 29 mars 2012) (lien de présentation de l’ouvrage).
Thibaut Gress, Descartes et la précarité du monde, CNRS Éditions 2012 (lien interview France-Culture 29 mars 2012) (lien de présentation de l’ouvrage).

 

 

 

 

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Site Actu Philosophia, fondé et dirigé par Thibaut Gress
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