Montaigne et la révolution copernicienne

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Montaigne et la révolution copernicienne
Auteur : Michel Eyquem de Montaigne (1533-1592)
Auteur de l'analyse : Marc Foglia - Docteur de l’Université Paris-I Sorbonne, professeur agrégé de philosophie
Publication :

Essais, chapitre 12 du livre II, « Apologie de Raymond Sebond », avec corrections et ajouts de la main de Montaigne. Exemplaire de Bordeaux : texte de l’édition Villey et Saulnier, 1580-1588 ; p. 570-572.

Année de publication :

1580

Nombre de Pages :
3
Résumé :

Montaigne est un des rares hommes de lettres à soutenir, dans ses Essais, l’héliocentrisme de Copernic paru une quarantaine d’années auparavant. Sa position à l’égard de la science peut être vue comme l’émergence d’une attitude scientifique moderne.

Source de la numérisation :
Mise en ligne :
décembre 2012

Montaigne est un des rares lettrés de son époque à soutenir, dans ses Essais, l’héliocentrisme de Copernic paru une quarantaine d’années auparavant. En effet, peu de contemporains prennent Copernic au sérieux, en dehors du cercle étroit des astronomes. La position montanienne apparaît comme l’émergence d’une attitude scientifique moderne et peut être expliquée par divers arguments. Son univers est peu chrétien – c’est aussi un grand lecteur du poète Lucrèce et de sa pluralité des mondes. Par ailleurs, la remise en cause d’une vérité scientifique même bien établie (comme le géocentrisme à l’époque) correspond à sa propre philosophie du scepticisme : c’est la naissance d’une science substitutive, où une théorie est susceptible de remplacer l’autre. Enfin, troisième raison qui intéresse Montaigne chez Copernic, c’est l’expérience du « décentrement » : l’Homme n’est plus au centre de l’Univers, et de la même manière chaque homme doit apprendre à relativiser ses opinions, à ne pas se considérer comme centre de son propre univers. Une espèce de « principe non anthropique » avant la lettre.

 


 

Marc Foglia, normalien, a effectué sa thèse (Paris-I Sorbonne) sur La Formation du jugement chez Montaigne. Il est professeur agrégé de philosophie (lycée de Pontarlier). Il est auteur de plusieurs ouvrages sur Montaigne, ainsi que sur Wikipédia.

 

 

Marc Foglia

 

Montaigne et la révolution copernicienne
Marc Foglia - Docteur de l’Université Paris-I Sorbonne, professeur agrégé de philosophie

 

 

Figure 1 : Portrait de Montaigne par Thomas de Leu, ornant l’édition des Essais de 1608.

Figure 1 : Portrait de Montaigne par Thomas de Leu, ornant l’édition des Essais de 1608.
Résumé
Montaigne définit une attitude de réserve irréductible à l’égard de ce que la science présente comme vérité. La science change, et nous devons en tirer toutes les conséquences. Les vérités établies par l’aristotélisme ont pour effet d’entraver l’esprit d’enquête. La ruine du géocentrisme est l’un des événements qui permet de combattre l’illusion qu’il pourrait exister des vérités scientifiques définitives. Nous examinons ici les raisons qui poussent l’auteur des Essais à accueillir favorablement l’hypothèse de l’héliocentrisme formulée par Copernic, hypothèse qu’il présente comme une révolution scientifique. Dans un premier temps, nous montrons comment l’astronomie, privée de toute portée physique, vient nourrir une argumentation sceptique contre la connaissance. Puis nous verrons comment la réception de l’héliocentrisme permet à Montaigne de définir la réserve du jugement par rapport à ce que la science présente comme vérité. Enfin, le sens de l’héliocentrisme apparaîtra largement préparé par la discipline intellectuelle et morale du décentrement, pratiquée sur de nombreux sujets dans les Essais. Nourrie de philosophie antique, la position de Montaigne à l’égard des vérités de la science semble correspondre à l’émergence d’une attitude scientifique moderne.

 

Rappel biographique

 

Michel de Montaigne reçoit une éducation humaniste dès son plus jeune âge au château de son père, en apprenant à lire dans les œuvres des poètes latins. Il fait une carrière de magistrat. Comme son père, il exerce la fonction de maire de Bordeaux. Il prend sa retraite à l’âge de trente-sept ans pour cultiver son domaine seigneurial, et surtout les auteurs antiques. De 1571 à sa mort, en 1592, il écrit et révise les Essais, qui sont des exercices du jugement.

 

 

Figure 2 : Une page de l’Exemplaire de Bordeaux, annotée de la main de Montaigne.

Figure 2 : Une page de l’Exemplaire de Bordeaux, annotée de la main de Montaigne.

 

 

1. Le statut de l’astronomie au XVIe siècle et la réception de l’hypothèse de l’héliocentrisme
L’astronomie userait seulement de fictions mathématiques pour expliquer la trajectoire des astres : on appelle « fictionaliste » ou « phénoméniste » cette conception. La science des astres a pour fonction de « sauver les phénomènes (1) ». Par opposition à la physique aristotélicienne, qui cherche à donner les causes, cette astronomie d’inspiration platonicienne ne se prononce pas sur la nature des phénomènes célestes. Montaigne adopte cette vision dans les Essais, parce qu’elle corrobore une argumentation qui vise à montrer que la connaissance humaine est illusoire. Approche mathématique du ciel, l’astronomie est un système de « fictions » (II, 12, 537), c’est-à-dire d’inventions de l’esprit sans correspondant dans la réalité. L’astronomie copernicienne se répand au XVIe siècle comme une description mathématique simplifiée du circuit des astres (2).
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Dans le Paradoxe sur l’incertitude, vanité et abus des sciences, publié en 1530, le savant Cornelius Agrippa critique les astronomes, « gens outrecuidez, forgeurs de monstres et prodiges, qui fabriquent suivant leur fantaisie (3) ». Si le contenu de l’astronomie est purement descriptif, il ne reste qu’un pas à faire pour affirmer que les hypothèses utilisées et les descriptions produites sont des suppositions sans fondement. C’est ce que fait Montaigne à la suite d’Agrippa. L’incompatibilité entre l’astronomie ptolémaïque et la physique aristotélicienne conduit les philosophes de l’époque à interpréter l’astronomie en termes d’hypothèses, et les hypothèses en termes de fictions mathématiques. La thèse fictionaliste a derrière elle une tradition qui remonte à l’Antiquité, mais il se pourrait que Montaigne connaisse aussi la préface du De Revolutionibus orbium caeslestium écrite par Andreas Osiander, un savant ami de Copernic, plus connu comme théologien protestant et réformateur de Nuremberg. C’est lui qui fait éditer pour la première fois, en 1543, le De Revolutionibus, à la mort de Copernic. Dans la préface adressée au lecteur et intitulée « hypothèses de cet ouvrage », Osiander écrit :
Il n’est pas nécessaire que ces hypothèses soient vraies ni même vraisemblables ; une seule chose suffit : qu’elles offrent des calculs conformes à l’observation […] Car il est suffisamment clair que cet art, simplement et totalement, ignore les causes des mouvements irréguliers des phénomènes célestes. Et s’il en invente quelques-unes dans l’imagination comme, certes, il en invente un très grand nombre, il ne les invente aucunement afin de persuader quiconque qu’il en est effectivement ainsi, mais uniquement afin qu’elles fondent un calcul exact (4).
Dans les années 1590, on remet en question l’authenticité de la préface : l’interprétation d’Osiander prive la thèse de l’héliocentrisme de toute valeur physique, alors qu’au livre I du De revolutionibus, Copernic appuie son système sur des considérations physiques. « Copernic conçoit le problème astronomique comme le conçoivent les physiciens italiens dont il a été l’auditeur ou le condisciple ; ce problème consiste à sauver les apparences au moyen d’hypothèses conformes aux principes de la Physique. […] Pour construire une Astronomie qui soit pleinement satisfaisante, il faut l’édifier sur des hypothèses vraies, sur des suppositions conformes à la nature des choses (5) », écrit Pierre Duhem. La portée physique de l’astronomie copernicienne est confirmée par la lettre que Copernic adresse au pape Paul III :
Dans le premier livre, je décris toutes les positions des orbes, ainsi que les mouvements que j’attribue à la Terre, afin que ce livre contienne, pour ainsi dire, la constitution générale de l’Univers (ut is liber contineat quasi communem constitutionem universi (6)).

 

 

Figure 3 : lettre de Copernic au pape Paul III, en préface de son ouvrage (1543) (source de l’image Rare Book Room, lien)

Figure 3 : lettre de Copernic au pape Paul III, en préface de son ouvrage (1543) (source de l’image Rare Book Room, lien)
Les astronomes du XVIe siècle ne se considèrent pas seulement comme des mathématiciens, mais certains se veulent aussi des « philosophes », c’est-à-dire des savants capables de rendre compte de la réalité physique du monde céleste (7). L’humaniste Jérôme Fracastor explique ainsi que ses sphères homocentriques sont destinées à réconcilier la philosophie et l’astronomie, en supprimant les excentriques et les épicycles « contre lesquels la philosophie entière, ou plutôt la nature elle-même et les orbes en personne réclament toujours (8) ». Le savant italien prétend par son système atteindre « la vérité même, qui doit être la chose la plus désirable, et connaître les propres causes des mouvements célestes ».
Replacée dans son contexte historique, la réception du système copernicien chez Montaigne apparaît étonnamment favorable. Peu de contemporains prennent Copernic au sérieux, en dehors du cercle étroit des astronomes. Les jugements sur l’héliocentrisme, venant de gens qui ne sont pas astronomes, sont majoritairement négatifs (9). On trouve quelques allusions à l’héliocentrisme chez les poètes de La Pléiade (10). Le premier à mentionner le nom de Copernic en France est Omer Talon, le disciple de Ramus, dans les Academicae questiones de 1550 (11). La réception est alors plutôt favorable, puisque les ramistes sont hostiles à Aristote. Dans les Dialogues contre les Nouveaux Académiciens, de 1557, Guy de Bruès fait discuter deux personnages, appelés Ronsard et Baïf, de l’hypothèse héliocentrique (12). L’astronome fonde ses raisonnements sur des hypothèses contraires à la vérité : comment pourrait-on admettre comme vrai ce qui en découle ? L’hypothèse, comme chez Agrippa, puis chez Ramus, devient chez Baïf « supposition fausse (13) ». Mais le personnage appelé Baïf retient aussi de l’héliocentrisme sa capacité à ébranler les certitudes les plus fortement ancrées. Les réactions de Du Bartas dans La Sepmaine ou la Création du Monde (1578), et de Jean Bodin dans l’Universum theatrum naturae de 1596, sont négatives (14). Thomas Kuhn souligne :
À l’exception de ceux qui abordaient la question d’un point de vue astronomique, le mouvement de la Terre semblait presque aussi absurde dans les années qui suivirent la mort de Copernic, qu’il ne l’avait été auparavant (15).
Par contraste, la réception de l’héliocentrisme chez Montaigne nous semble étrangement moderne. Son caractère historique et philosophique contraste avec la réception la plus répandue, d’ordre poétique et cosmogonique. La réception que Montaigne réserve à l’innovation copernicienne montre que l’astronomie n’est pour lui ni une science révélée, ni un substitut de cosmogonie à la mode d’Hésiode ou d’Ovide, mais une science à la fois laborieusement construite, et sujette à changements radicaux. Rares sont les penseurs de l’époque chez qui l’on trouve les prémisses d’une attitude scientifique que l’on pourrait qualifier de moderne. Le critique Nicholas Jardine souligne ainsi que le traitement réservé à l’astronomie par Tycho Brahe, dans la Défence contre Ursus, constitue l’un des tout premiers jalons dans l’émergence de ce que nous appelons l’histoire et la philosophie des sciences (16). Dans le même sens, Isabelle Pantin évoque la leçon inaugurale de Brahe dans son ouvrage sur les mathématiques, le De disciplinis mathematicis de 1574 (17).

 

 

Figure 4 : La sphère armillaire de Tycho Brahe (in Astronomiæ instauratæ mecanica, Wandsbek 1598)

Figure 4 : La sphère armillaire de Tycho Brahe (in Astronomiæ instauratæ mecanica, Wandsbek 1598)
Le réformateur de Wittemberg, Philippe Mélanchton, insiste sur l’aspect pédagogique de la philosophie et des sciences (18) :
Au début de leur éducation, les jeunes gens doivent aimer les idées approuvées par le commun accord des spécialistes, celles qui ne sont en rien absurdes ; et lorsqu’ils comprennent que la vérité a été montrée par Dieu, qu’ils s’y attachent avec révérence et se reposent en elle ; et qu’ils rendent grâce à Dieu pour avoir allumé et préservé une certaine lumière dans le genre humain.
Aux yeux de Mélanchton, l’enseignement des doctrines scientifiques doit être soigneusement encadré. Les inventeurs de paradoxes commettent une faute bien plus grave qu’une simple erreur de raisonnement. Mélanchton reprend à Platon l’idée que la contemplation des mouvements célestes aide à régler ceux de l’âme, et que l’apprentissage trop précoce des jeux dialectiques pervertit les esprits (19). Un chapitre des Initia doctrinae physicae discute de l’hypothèse du mouvement de la Terre : avant même de la réfuter, l’auteur médite sur le dommage que « l’habitude des paradoxes » peut introduire dans de jeunes esprits. Mélanchton suit la condamnation des hypothèses de Copernic faite par Luther dès 1539. Luther invoque les Écritures, où il est justement écrit que Josué arrêta le Soleil dans sa course.

 

 

Figure 5 : Philippe Mélanchton (1497-1560), humaniste et réformateur allemand.

Figure 5 : Philippe Mélanchton (1497-1560), humaniste et réformateur allemand.
Pourquoi Montaigne, qui n’est pas astronome, accepte-t-il l’œuvre de Copernic comme une révolution scientifique ? L’une des raisons qui font qu’il ne s’oppose pas à l’hypothèse du mouvement de la Terre, c’est que son univers est peu chrétien. Le mouvement de la Terre, devenue planète parmi les planètes à l’intérieur du système de Copernic, constitue à l’époque « une altération de l’expérience religieuse de l’homme du commun (20) », selon les termes de Thomas Kuhn. Prise au sérieux, la proposition copernicienne soulevait des problèmes énormes pour la foi du Chrétien :
Si la Terre, par exemple, était seulement l’une des six planètes, comment devait-on préserver les histoires de la Chute et du Salut, dont l’importance pour la vie chrétienne était fondamentale ? S’il y avait d’autres corps tout à fait comparables à la Terre, la bonté de Dieu devait certainement avoir fait qu’ils fussent eux aussi habités. Mais s’il y avait des hommes sur d’autres planètes, comment pouvaient-ils être les descendants d’Adam et d’Ève, et comment pouvaient-ils avoir hérité du péché originel ? […] De plus, comment les hommes sur d’autres planètes pourraient-ils avoir entendu parler du Sauveur, qui leur avait ouvert la possibilité de la vie éternelle (21) ?
Dans les Essais, ce type d’obstacle ne joue pas. Face à l’hypothèse héliocentrique, Montaigne n’oppose aucune résistance culturelle ou religieuse. Grand lecteur de Lucrèce, dont il cite plus de quatre cents vers, Montaigne envisage l’hypothèse de la pluralité des mondes plusieurs fois, et la juge plus vraisemblable que la thèse de l’unicité du monde, pourtant soutenue par Aristote et par Thomas d’Aquin. « Ta raison n’a en aucune autre chose plus de verisimilitude et de fondement qu’en ce qu’elle te persuade de la pluralité des mondes (22) […]. » L’hypothèse de la pluralité des mondes, formulée par Lucrèce, fait disparaître la Terre dans l’immensité du grand tout (23). La philosophie antique a fourni à l’humaniste un contrepoids efficace à la conception d’un univers centré sur la Terre et l’homme.
Tu ne vois que l’ordre et la police de ce petit caveau où tu es logé, au moins si tu la vois : sa divinité a une juridiction infinie au-delà ; cette pièce n’est rien au prix du tout

omnia cum caelo terraque marique Nil sunt ad summam summai totius omnem (24)

c’est une loi municipale que tu allègues, tu ne sais pas quelle est l’universelle (II, 12, 523-524).
Montaigne emprunte à Lucrèce l’injonction de comparer ce que nous voyons de la Terre, de la mer et du ciel au reste de l’Univers : nous devons comprendre que ce que nous voyons n’est quasiment rien. Et c’est encore Lucrèce qui est cité un peu plus loin (25), pour cautionner l’idée que tout change, même la science. Ce qui se présente comme nouvelle vérité obtient facilement l’assentiment, mais ce goût de la nouveauté n’est en rien une garantie de vérité. La science ne nous exempte pas de l’appartenance à notre condition humaine, marquée par le temps. Il est sage de se rappeler le caractère changeant, voire éphémère, de tout jugement.

 

 

 

2. la signification de l’hypothèse copernicienne dans un contexte sceptique
Dans un contexte sceptique, où il s’agit de ramener toute vérité au rang d’opinion, une hypothèse qui ébranle une théorie dominante doit retenir l’intérêt. Montaigne souligne que les trublions comme Copernic en astronomie, ou Paracelse en médecine, remplissent une fonction positive dans les sciences (26) : en effet, il faut accepter que les théories scientifiques soient elles aussi affectées de changement, afin de restaurer notre capacité de libre examen dans les sciences. Les théories se succèdent, se renversant l’une l’autre : l’héliocentrisme de Copernic va s’imposer tôt ou tard, souligne Montaigne, même si ce ne sera pas définitivement. L’héliocentrisme lui-même s’effondrera un jour, renversé par une autre théorie scientifique (II, 12, 570).
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Dans l’Apologie de Raymond Sebond, Montaigne développe une argumentation sceptique contre la certitude en matière scientifique. À cette fin, il puise dans la critique traditionnelle de la scolastique développée par les humanistes. Pourtant, la critique de la scolastique revêt chez lui un sens nouveau. Les dogmatiques ont tort de vouloir arrêter le mouvement naturel de l’esprit humain ; comme toute chose (27), la science est affectée de mouvement. Par opposition à l’idéal scolastique d’une science stable, systématique et achevée, l’idée de révolution scientifique devient chez Montaigne à la fois un projet et une arme philosophiques. Loin d’être un mouvement continu, qui permettrait à la science d’accumuler progressivement les vérités, le mouvement de la recherche se présente sous la forme de ruptures brusques, qui mettent une fin soudaine à une longue période de stabilité. Montaigne décrit avec une satisfaction non dissimulée la ruine du géocentrisme en train de s’accomplir :
Le ciel et les étoiles ont branlé trois mille ans ; tout le monde l’avait ainsi cru, jusqu’à ce que Cléanthe le Samien ou, selon Théophraste, Nicetas Syracusain s’avisa de maintenir que c’était la terre qui se mouvait par le cercle oblique du Zodiaque tournant à l’entour de son essieu ; et, de notre temps, Copernicus a si bien fondé cette doctrine qu’il se sert très régléement [méthodiquement] à toutes les conséquences astronomiques. Que prendrons-nous de là, sinon qu’il ne nous doit chaloir [importer] lequel ce soit des deux ? Et qui sait qu’une tierce opinion, d’ici à mille ans, ne renverse les deux précédentes ?

 

 

Figure 6 : Le poème philosophique de Lucrèce, De Rerum natura (Ier s. av. J.-C.). Copie de prestige faite pour le pape Sixte IV en 1483.

Figure 6 : Le poème philosophique de Lucrèce, De Rerum natura (Ier s. av. J.-C.). Copie de prestige faite pour le pape Sixte IV en 1483.
Après avoir cité cinq vers de Lucrèce, pour donner à l’idée de changement universel et irrépressible ses lettres de noblesse, Montaigne définit une attitude sceptique à l’égard des vérités de la science :
Ainsi, quand il se présente à nous quelque doctrine nouvelle, nous avons grande occasion de nous en défier, et de considérer qu’avant qu’elle ne fut produite, sa contraire était en vogue ; et, comme elle a été renversée par celle-ci, il pourra naître à l’avenir une tierce invention qui choquera [ébranlera] de même la seconde. Avant que les principes qu’Aristote a introduits, fussent en crédit, d’autres contentaient la raison humaine, comme ceux-ci nous contentent à cette heure.
Ce passage a été reconnu par la critique comme un morceau d’anthologie, dans l’histoire de la renaissance moderne du scepticisme (28). L’argument principal est de nature historiciste, si l’on veut bien appeler historicisme la conviction que toute pensée humaine est fonction d’une situation historique particulière (29). L’argumentation historiciste et relativiste remet en question la capacité de la raison à énoncer des vérités universelles. Montaigne ne fait pas tant le bilan de la scolastique aristotélicienne que la critique d’une science devenue caduque, au sens où elle est incapable de contenter les nouvelles exigences de rationalité. Dans sa grande histoire de la philosophie, Émile Bréhier choisit de concentrer la présentation de la philosophie de Montaigne sur cette critique de la science :
Nul n’indique mieux comment les esprits réfléchis, à la fin du XVIe siècle, prenaient conscience de la fragilité de la vision de l’univers antique et médiéval : ruine du géocentrisme, critique des principes d’Aristote, innovations médicales, invention des asymptotes, découverte du continent américain, autant de faits qui montrent que la raison n’atteint point, comme on l’avait cru, des principes fixes et immuables sur lesquels se fonderait une science définitive : mathématiques, astronomie, médecine, philosophie, tout est à ce moment en voie de changement (30).
La réception favorable que Montaigne réserve à Copernic est l’un des témoignages que l’on peut donner d’une période de bouleversement. Contre le dogmatisme, qui prétend « que le cours de notre invention s’arrête à eux », les Aristotéliciens (II,12,570), le scepticisme met en évidence la nécessité d’inventer une philosophie consciente de la faiblesse de nos facultés rationnelles, et adaptée à un esprit humain toujours en quête. Malgré la critique sévère de la science, la capacité de l’esprit humain à se renouveler reste affirmée dans les Essais :
Il y a toujours place pour un suivant, oui et pour nous mesmes, et route par ailleurs (III,13,1068).
Tout se passe comme si la rage de détruire était justifiée contre l’immobilisme, la capacité d’invention contre le dogmatisme. La restauration de la vigueur des facultés naturelles, à laquelle Montaigne entend procéder dans les Essais, passe par la critique des constructions de la science lorsque celles-ci sont sclérosantes, et par la mise à distance des discours producteurs d’apparences rationnelles (II,12,562). Le bouleversement copernicien est bienvenu, puisqu’il contribue au renouvellement de la pensée scientifique.
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La critique de la science existante rend possible l’ouverture à la nouveauté scientifique. Montaigne s’intéresse de près aux changements dans la science contemporaine, même si la curiosité d’esprit dont il fait preuve est loin de signifier une adhésion sans réserve. Les savants de la Renaissance savent que l’hypothèse du mouvement de la Terre a été formulée par les Anciens ; comme Copernic, Montaigne l’emprunte aux Academica de Cicéron, à un moment où l’Arpinate défend l’idée que la vraie nature des choses ne nous est pas accessible (31). La thèse de l’héliocentrisme, soutenue par Hicetas le Syracusain, est énoncée après celle de Xénophane qui pense que la Lune est habitée, et celle des Stoïciens concernant les hommes « antipodes », qui habitent de l’autre côté de la Terre. Théophraste rapporte (32) :
Le Syracusain Hicetas soutient la thèse selon laquelle le ciel, le soleil, la lune, les étoiles, en bref toutes les choses du haut sont immobiles, et que rien dans le monde n’est en mouvement sauf la terre, qui, en tournant elle-même sur son axe, produit exactement les mêmes effets que si, la terre étant immobile, c’était le ciel qui tournait ; et certains pensent que c’est aussi l’opinion de Platon dans le Timée, bien que la thèse y soit exprimée un peu plus obscurément.
L’hypothèse du mouvement de la Terre, Copernic lui-même dit l’avoir trouvée dans les livres des philosophes. Il écrit dans la lettre au Pape Paul III :
C’est pourquoi je pris la peine de lire les livres de tous les philosophes que je pus obtenir, pour rechercher si quelqu’un d’eux n’avait jamais pensé que les mouvements des sphères du monde soient autres que ne l’admettent ceux qui enseignèrent les mathématiques dans les écoles. Et je trouvai d’abord chez Cicéron que Nicetus pensait que la terre se mouvait (Ac reperi quidem apud Ciceronem primum, Nicetum sensisse terram moveri). Plus tard je retrouvai aussi chez Plutarque que quelques autres ont également eu cette opinion. Et pour qu’ils soient connus de tous, je transcris ici ses mots. “D’autres cependant pensent que la terre se meut ; ainsi Philolaus le Pythagoricien dit qu’elle se meut autour du feu en un cercle oblique, de même que le soleil et la lune. Héraclide du Pont et Ecphantus le Pythagoricien ne donnent pas, il est vrai, à la terre, un mouvement de translation, mais à la façon d’une roue, limitée entre le coucher et le lever, la font se mouvoir autour de son propre centre (33).” Partant de là, j’ai commencé, moi aussi, à penser à la mobilité de la terre (34).
Comment comprendre cette référence à quelques savants de l’Antiquité ? Copernic relate devant le Pape la manière dont une hypothèse jugée « absurde » lui est venue à l’esprit, le but étant de présenter en quelque sorte la genèse psychologique de l’idée, pour en faire concevoir l’intérêt au lecteur. Puis, les Anciens fournissant une caution évidente aux yeux des humanistes, il s’agit de s’appuyer sur leur autorité. C’est seulement alors que Copernic a recours à des arguments rationnels : il souligne que « les mathématiciens ne sont pas d’accord avec eux-mêmes dans leurs recherches », et que leurs doctrines n’expliquent pas de manière satisfaisante la trajectoire des astres. L’hypothèse du mouvement de la Terre, pour absurde qu’elle semble au premier abord, vient mettre fin à cette confusion générale. En « déduisant les phénomènes des astres » à partir de l’hypothèse, Copernic obtient des résultats longtemps recherchés – ainsi écrit-il au Pape :
non seulement en découlaient les mouvements apparents des astres, mais encore l’ordre et les dimensions de tous les astres et orbes ; il se trouvait au ciel lui-même une connexion telle que, dans aucune de ses parties, on ne pouvait changer quoi que ce soit, sans qu’il s’ensuive une confusion de toutes les autres et de l’univers tout entier.
 
 

Figure 7 : Alessandro Farnese (1468-1549), pape Paul III (1534-1549). Sous son pontificat, l’Église créée la Compagnie de Jésus, lance la Contre-Réforme et condamne officiellement l’esclavage.

Figure 7 : Alessandro Farnese (1468-1549), pape Paul III (1534-1549). Sous son pontificat, l’Église créée la Compagnie de Jésus, lance la Contre-Réforme et condamne officiellement l’esclavage.
Le dessein de la Lettre de Copernic au Pape est de montrer que l’hypothèse du mouvement de la Terre n’est pas le fruit du hasard, mais pleinement commandée par l’exigence de rationalité. Copernic justifie ainsi l’usage d’une thèse « contraire à l’opinion reçue des mathématiciens et allant presque à l’encontre du bon sens (ut contra receptam opinionnem mathematicorum, ac propemodum contra communem sensum) ». Dans l’Apologie de Raymond Sebond, Montaigne affirme semblablement que la science n’est pas régie par le principe d’autorité :
car les opinions des hommes sont reçues à la suite des créances anciennes, par autorité et à crédit, comme si c’était religion et loi. On reçoit comme un jargon ce qui en est communément tenu ; on reçoit cette vérité avec tout son bâtiment et attelage d’arguments et de preuves, comme un corps ferme et solide qu’on n’ébranle plus, qu’on ne juge plus [539a]
Il faut se débarrasser de la manie scolastique du commentaire révérencieux, pour poser à nouveau la question de la vérité. On comprend dès lors que Montaigne applaudisse aux nouvelles théories scientifiques, perçues comme le fruit de l’exercice du jugement critique et d’une authentique recherche de la vérité. Après avoir présenté le cas Copernic, et après l’avoir légitimité en lui trouvant des prédécesseurs chez les Anciens, Montaigne évoque un autre trublion de la science, Paracelse, qui « change et renverse tout l'ordre des règles anciennes » (571a (35)). Ce n’est pas en mathématicien qu’il considère l’hypothèse de Copernic, ni en médecin amateur celles de Paracelse, mais en philosophe adversaire d’un aristotélisme devenu « religion et loi (36) », et en défenseur du libre exercice du jugement. À la différence de l’ordre politique, la science n’est pas un ensemble de vérités qu’il faudrait défendre, mais seulement une tradition dominante qu’il faut savoir interroger de manière critique.
L’hypothèse de l’héliocentrisme permet d’établir une vision du monde plus réglée, plus harmonieuse. Faut-il en conclure que la vérité est établie ? Montaigne refuse de cautionner l’héliocentrisme comme vérité définitive : la révolution astronomique provoquée par Copernic conforte l’attitude de réserve du jugement devant les résultats de la science. Son scepticisme rend donc les choses plus compliquées qu’il n’y paraît : les vérités de la science restent incertaines, même si elles se présentent comme vérités pleinement rationnelles et parfaitement fondées sur l’expérience. Pour conforter le jugement dans son attitude de réserve sceptique, et pour échapper à l’alternative du géocentrisme, et de l’héliocentrisme, Montaigne imagine d’autres systèmes astronomiques :
Et qui sait qu’une tierce opinion, d’ici à mille ans, ne renverse les deux précédentes ?
Le scepticisme, qui interdit de croire à l’existence de vérités définitives ou dogmes, devient le plus puissant allié l’esprit de recherche :
Ce n'est rien que foiblesse particuliere qui nous faict contenter de ce que d'autres ou que nous-mesmes avons trouvé en cette chasse de cognoissance; un plus habile ne s'en contentera pas. Il y a tousjours place pour un suyvant, ouy et pour nous mesmes, et route par ailleurs. Il n'y a point de fin en nos inquisitions; nostre fin est en l'autre monde. C'est signe de racourciment d'esprit quand il se contente, ou de lasseté (III, 13, 1068).
 
 

Figure 8 : De Revolutionibus Orbium Cœlestium, Copernic (1543), p.9 (exemplaire bibliothèque Jagellonne de l’université de Cracovie)

Figure 8 : De Revolutionibus Orbium Cœlestium, Copernic (1543), p.9 (exemplaire bibliothèque Jagellonne de l’université de Cracovie)
À supposer que le système héliocentrique apparaisse comme un progrès, et que l’explication des phénomènes astronomiques qu’il propose soit beaucoup plus satisfaisante que le système ptolémaïque, le sceptique Montaigne s’abstient toutefois d’y adhérer. Son scepticisme est porteur d’une éthique de la recherche qui renoue avec la zètèsis des sceptiques grecs. L’esprit humain doit conserver assez d’énergie pour aller au-delà de ses résultats actuels. Le dessein de Montaigne n’est pas de se prononcer pour ou contre le système de Copernic, et nulle part il n’en sonde la cohérence ou la pertinence. Son dessein est de régler son jugement par rapport à ce qui se présente dans les sciences comme vérité établie. On pourrait se demander s’il n’y a dans son exigence un reste de dogmatisme : quoi que la science présente comme vérité, le jugement doit s’interdire d’y croire. Par ailleurs, la critique de Montaigne implique une forme de relativisme : ce que la science présente comme vérité ne peut être que la vérité d’une époque déterminée, pour une époque déterminée. Enfin, ne jamais adhérer à ce qui se présente comme vérité, cela revient sans doute à cautionner un conservatisme de fait et à se laisser guider par la coutume. Dans le cas de la médecine, Montaigne refuse effectivement de se laisser soigner selon les principes paracelsiens : « mettre ma vie à la preuve de sa nouvelle experience, je trouve que ce ne serait pas grande sagesse » (II, 12, 571).
Montaigne ne critique pas la thèse de Copernic en elle-même, mais juge probable qu’un savant, à l’avenir, sera capable de proposer un système cosmologique plus pertinent. L’histoire de la science lui donne raison : peu de temps après la publication des Essais, le système de Johannes Kepler s’offre déjà comme une autre solution. Le sceptique fait davantage confiance à la capacité d’invention de l’esprit humain qu’à la certitude que nous pouvons avoir pour telle ou telle vérité établie. Montaigne adopte la même démarche sceptique concernant la géographie ptolémaïque. Il met en doute l’idée que la découverte d’un « autre monde » signifierait l’achèvement de la connaissance géographique :
Ptolemeus, qui a esté un grand personnage, avoit estably les bornes de nostre monde; tous les philosophes anciens ont pensé en tenir la mesure, sauf quelques Isles escartées qui pouvoient eschapper à leur cognoissance: c'eust esté Pyrrhoniser, il y a mille ans, que de mettre en doute la science de la Cosmographie, et les opinions qui en estoient receues d'un chacun; c'estoit heresie d'avouer des Antipodes: voilà de nostre siecle une grandeur infinie de terre ferme, non pas une isle ou une contrée particuliere, mais une partie esgale à peu pres en grandeur à celle que nous cognoissions, qui vient d'estre descouverte. Les Geographes de ce temps ne faillent pas d'asseurer que meshuy tout est trouvé et que tout est veu (II,12,571)
Le verbe « pyrrhoniser », dans ce texte de l’Apologie de Raymond Sebond, est chargé d’une connotation négative : le pyrrhonien est celui qui doute pour douter, de manière déraisonnable. Pourtant, Montaigne maintient ce doute comme légitime. Il refuse de croire que la totalité du monde ait été découverte en son temps ; c’est possible, admet-il, mais la ruine des connaissances les mieux établies, dans le passé, doit nous inciter à considérer la géographie actuelle comme faillible. L’état des connaissances géographiques sera très probablement modifié.
L’interprétation sceptique de la thèse héliocentrique n’est pas une attaque contre la validité de la science, mais une invitation à ne pas s’arrêter à la science existante, comme si c’était l’expression de la vérité. Cette réserve sceptique du jugement est constitutive de l’attitude scientifique moderne, soulignera Thomas Kuhn :
Un âge dominé par la science comme le nôtre a besoin d’une perspective à partir de laquelle nous puissions examiner les croyances scientifiques, que l’on a tellement tendance à considérer comme allant de soi (37)
Les historiens et les philosophes des sciences sont tenus de ne pas adhérer à ce qui se présente comme vérité. Il leur revient d’exercer leur jugement critique sur les théories en vigueur, malgré l’autorité dont peuvent jouir les théories admises. Sans elle, l’histoire et la philosophie des sciences n’existeraient tout simplement pas. L’exigence réflexive et critique apparaît ainsi comme une caractéristique fondamentale de la civilisation occidentale moderne. Cette attitude critique, qui est toujours la nôtre aujourd’hui, correspond assez exactement à la réserve sceptique du jugement définie par Montaigne.

 

Kuhn et les révolutions scientifiques (1957)

 

« La civilisation occidentale contemporaine est plus dépendante des concepts scientifiques que n’importe quelle autre civilisation, à la fois en ce qui concerne sa philosophie quotidienne et ses moyens de subsistance. Mais il est peu probable que les théories scientifiques, si importantes dans notre vie de tous les jours, aient une validité définitive. La conception élargie d’un univers dans lequel les étoiles, y compris notre Soleil, sont éparpillées ici et là à travers un espace infini, n’est vieille que de quatre siècles et apparaît déjà caduque. Avant que cette conception n’ait été développée par Copernic et par ses successeurs, on utilisait d’autres notions de la structure de l’univers pour expliquer les phénomènes observables dans les cieux. Or, ces anciennes conceptions cosmologiques différaient du tout au tout de celles que nous avons aujourd’hui, mais la plupart ont bénéficié de la même adhésion résolue. Davantage, c’est pour les mêmes raisons de fond qu’on leur accordait foi : elles fournissaient des réponses plausibles aux questions importantes. » Traduit de Thomas S. Kuhn, The Copernican Revolution, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1957, p. 3, tr. M. Foglia.

 

 

3. l’expérience intellectuelle et morale du décentrement
Si Montaigne accueille favorablement les thèses de Copernic, ce n’est pas parce qu’il les juge vraies, mais parce qu’elles ont pour effet de relativiser la place de l’homme dans le monde. Il faut préférer la thèse qui met le Soleil au centre pour des raisons éthiques. Certes, il n’a pas fallu attendre Copernic pour que la philosophie conteste à l’homme l’importance que celui-ci s’attribue spontanément : les philosophes épicuriens et stoïciens, que Montaigne connaît bien, ont pratiqué cette discipline intellectuelle et morale. Bien plus tard, Sigmund Freud dira l’humiliation qu’il fait subir à l’homme en montrant que le moi n’est pas le maître dans sa propre maison en la comparant à celle que lui a fait subir Copernic, lorsqu’il l’a placé dans un recoin du monde (38).
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Ce qui rapproche l’œuvre de Montaigne de Copernic, c’est qu’elle invite l’homme à faire l’expérience du décentrement. L’effet philosophique de la révolution copernicienne est d’expulser l’homme hors du centre de l’Univers. Chez Montaigne, c’est en fonction d’une tradition philosophique que le commentateur doit réfléchir sur la réception de cette thèse. Il faut d’abord souligner l’absence d’obstacle cosmologique ou religieux : la vision du monde de Montaigne est fortement teintée d’épicurisme, et presque matérialiste. Ensuite, en philosophe, il pratique avec assiduité le décentrement comme discipline intellectuelle et morale. Ainsi, dans le chapitre I, 23 des Essais, les coutumes qu’évoque l’essayiste visent à provoquer une sorte de choc propice au décentrement du sujet moral. Les certitudes que nous ancrons dans les « loix de la conscience » (I, 23, 115) doivent être en réalité rapportées à la société dont nous faisons partie. La conscience individuelle est ainsi réduite au rang de dérivé de la coutume : mes certitudes morales sont celles que la société me contraint en quelque sorte d’avoir.
De la même façon que Copernic nous montre que le monde ne gravite pas autour de la Terre, Montaigne nous enseigne que les valeurs morales que je crois issues de ma conscience ne gravitent pas autour de moi comme le feraient les planètes autour de la Terre, mais sont le fruit de coutumes contingentes. Mon jugement et ma conscience ne sont que finalement que satellites de la coutume, des effets de son terrible pouvoir d’attraction : « C’est à la coutume à donner forme à notre vie comme il lui plaît ; elle peut tout en cela, c’est le breuvage de Circé » (III, 13, 1080). De même, dans le chapitre « Des Cannibales », l’Europe n’est plus le paradigme privilégié à l’aune duquel on devrait mesurer la valeur ou la barbarie des autres. Montaigne l’Européen prend conscience de la relativité de ses propres pratiques.
La réception de l’héliocentrisme dans les Essais a été en quelque sorte préparée par une discipline copernicienne dans le domaine moral : par un effort d’imagination et de jugement, je dois être capable d’adopter un point de vue extérieur à mon point de vue ordinaire qui renferme une illusion liée à ma particularité. En comparant son propre système de valeurs avec ceux d’autres cultures, Montaigne prend conscience de sa relativité. À ce schéma correspond aussi la critique de l’anthropocentrisme conduite dans l’Apologie de Raymond Sebond : l’homme qui se prend pour le centre du monde s’arroge une supériorité de droit sur tout le reste, supériorité que Montaigne veut montrer comme parfaitement illégitime. Apprenons à penser l’homme dans le monde comme un vivant parmi d’autres. Il n’est pas jusqu’à la critique du système scolaire, dans le chapitre I, 26, qui ne puisse être rapportée à ce schéma. Traditionnellement, le maître est au centre, et les élèves, satellites du maître, doivent assimiler le savoir du maître. Montaigne renverse explicitement la situation.
Je ne veux pas qu’il invente et parle seul, je veux qu’il écoute son disciple parler à son tour. Socrate et, depuis, Arcésilas faisaient premièrement parler leurs disciples, et puis ils parlaient à eux. (I, 26, 150)
C’est à l’enfant d’exercer son goût et ses facultés naturelles, c’est à lui de s’exercer à bien parler et à bien juger (39). L’enfant a l’initiative de la parole ; si le maître discute de ce que l’enfant a dit, c’est pour lui offrir un conseil, une médiation vers une pensée plus élaborée. La discipline et l’expérience du décentrement concernent à l’évidence aussi le domaine pédagogique chez Montaigne. Dans le système de Copernic, l’observateur idéal doit se déplacer jusqu’à adopter le point de vue du soleil pour comprendre l’harmonie de l’Univers. La pratique du décentrement mental apparaît comme une condition pour mieux penser le Tout. Rien ne le montre mieux que l’exemple de Socrate, cité dans le chapitre I, 26 sur l’éducation :
Il se tire une merveilleuse clarté, pour le jugement humain, de la fréquentation du monde. Nous sommes tout contraints et amoncelés en nous, et avons la vue raccourcie à la longueur de notre nez. On demandait à Socrate d'où il était. Il ne répondit pas d'Athènes, mais du monde. Lui, qui avait une imagination plus pleine et plus étendue, embrassait l'univers comme sa ville, jetait ses connaissances, sa société et ses affections à tout le genre humain, non pas comme nous qui ne regardons que nous. Quand les vignes gèlent en mon village, mon prêtre en argumente l'ire de Dieu sur la race humaine, et juge que la pépie en tienne déjà les Cannibales. (I, 26, 157a)
Par l’imagination, Socrate embrasse l’univers au lieu de limiter son horizon à sa ville d’Athènes, dont il ne sort pourtant jamais. La localisation est quelque chose de contingent qu’il faut dépasser par l’imagination. Montaigne promeut ainsi l’usage relativisant de l’imagination, afin d’éviter au jugement certaines erreurs d'appréciation manifestes, et pourtant très ordinaires : croire par exemple que la colère de Dieu s'abat sur le genre humain, lorsque des vignes gèlent aux alentours. Devenue cosmopolite, c’est-à-dire littéralement haussée au niveau du cosmos, l’imagination a pour tâche de nous protéger contre ce risque d’erreur du jugement, en prenant pour référent la réalité dans sa diversité et sa totalité, et non un point de vue extrêmement particulier. Ce qu’il s’agit d’acquérir ici n’est pas un savoir, mais le sens du relatif. Il ne suffit certes pas d'imaginer le monde entier pour assainir son jugement, il faut encore passer d’un usage généralisant à un usage relativisant de l’imagination. L'usage généralisant de l’imagination consiste à donner au particulier la valeur du général, comme le fait un prêtre de village en associant les Brésiliens à ses propres malheurs, tandis que l'usage relativisant rend au contraire au particulier sa valeur de particulier. Pour bien juger, il faut donc replacer ce qui nous arrive dans un cadre général, et se penser citoyen du monde comme le proposaient les Stoïciens (40). En réduisant l’importance de ce qui nous arrive au regard de la totalité cosmique, le philosophe s’endurcit moralement contre les maux qui peuvent survenir. Il s’agit d’assurer l’indépendance du jugement, de s’imprégner de la rationalité de l’Univers et de réduire les passions. L’Empereur Marc-Aurèle écrivait dans ses pensées pour lui-même :
Considère la rapidité avec laquelle tous sont oubliés, l’abîme du temps infini dans l’un et dans l’autre sens, la vanité des paroles retentissantes, l’humeur changeante et indécise de ceux qui semblent te louer, l’étroitesse du lieu où cette gloire se borne ; car la terre entière n’est qu’un point, et ce pays n’en est qu’une infime fraction ; et ici même combien y a-t-il d’hommes pour recevoir des éloges, et que sont-ils (41) ?
Comme la raison est élargie par le philosophe aux dimensions du cosmos, les prétentions affectives de l’individu sont dégonflées. L’empereur cherche à se rendre insensible aux louanges et aux blâmes de la foule.
Alors même que l’Église condamnera les thèses de Copernic, Blaise Pascal pratiquera le décentrement cosmologique en s’inspirant de Montaigne. Il transporte l’homme jusqu’au soleil pour lui faire contempler de ce point de vue la Terre comme un point minuscule (42). L’expérience cosmologique que propose de faire l’auteur des Pensées consiste à relativiser notre situation au sein de l’univers. Voici le passage de Montaigne dont s’est inspiré Pascal :
Mais qui se présente, comme dans un tableau, cette grande image de notre mère nature en son entière majesté ; qui lit en son visage une si générale et constante variété ; qui se remarque là-dedans, et non soi, mais tout un royaume, comme un trait d’une pointe très délicate : celui-là seul estime les choses selon leur juste grandeur. Ce grand monde, que les uns multiplient encore comme espèces sous un genre, c’est le miroir où il nous faut regarder pour nous connaître de bon biais. Somme, je veux que ce soit le livre de mon écolier. Tant d’humeurs, de sectes, de jugements, d’opinions, de lois et de coutumes nous apprennent à juger sainement des nôtres, et apprennent notre jugement à reconnaître son imperfection et sa naturelle faiblesse : ce qui n’est pas un léger apprentissage. (I, 26, 157-158)
La raison pour laquelle Montaigne est favorable à Copernic apparaît maintenant claire : la science contemporaine vient fournir une caution majeure à l’exercice spirituel du décentrement. Ce n’est plus seulement la philosophie des Anciens qui nous aide à relativiser notre place au sein de l’univers, et ce qui nous arrive, c’est un savant quasiment contemporain de Montaigne.

 

Décembre 2012

 

 

 

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(1) Pierre Duhem, Sauver les apparences. Essai sur la notion de théorie physique de Platon à Galilée, 1908 /Paris, Vrin, 2003, p. 14 : « lorsque ces constructions géométriques assignent à chaque planète une marche conforme à celle que révèlent les observations, son but est atteint, car ses hypothèses ont sauvé les apparences. »

(2) En 1557, Erasme Reinhold publie les Prutenicae tabulae, qui contribuèrent largement à répandre chez les astronomes l’usage des théories coperniciennes. Pourtant, il serait téméraire d’en conclure que Reinhold croie réellement au mouvement de la Terre et à la fixité du Soleil. Les Tabulae ne paraissent traiter ces hypothèses que comme des artifices géométriques propres à la construction des tables, et semblables aux artifices ptoléméens. Pierre Duhem cite les partisans de la thèse fictionaliste : Osiander, Gemme Frisius, Erasme Reinhold, qui enseignait les mathématiques et l’astronomie avec Philippe Melanchtchon à l’Université de Wittemberg.

(3) Agrippa, De Incertitudine et vanitate scientiarum et artium atque excellentia verbi Dei declamatio, 1530 ; Paradoxe sur l’incertitude, vanité et abus des sciences, traduit en françois du latin de Henri Corneille Agrippa, par Mayerne-Turquet, 1603.

(4) Des Révolutions des Orbes Célestes, préface d’Osiander, « ad lectorem », tr. Alexandre Koyré, Paris, Alcan, 1934.

(5) La valeur en physique des hypothèses de Copernic est affirmée dans la Narratio prima du disciple Rheticus, qui « admet donc que son Maître, en formulant ses hypothèses nouvelles, n’a pas seulement fait œuvre de géomètre, mais bien de physicien ; qu’il a construit une Physique nouvelle, destinée à supplanter l’antique Physique péripatéticienne, une Physique à laquelle Aristote se rallierait s’il vivait » (Pierre Duhem, op.cit., pp. 84-87).

(6) Nicolas Copernic, lettre-préface au pape Paul III, Des Révolutions des orbes célestes, tr. A. Koyré, op.cit.

(7) Nicholas Jardine, « Scepticism in Renaissance astronomy : a preliminary study », in Scepticism from the Renaissance to the Enlightenment, Wolfenbütteler Forschungen, 35, 1987, p. 83 : « In many cases this concentration on predictive power and utility is combined with doubt or denial of the reality of the technical devices employed by astronomers : epicycles, eccentrics, equants, etc. (…) The first explicit defenses of astronomy against the prevalent negative attitudes that I have been able to trace are those of Christoph Clavius (1581) and Michael Maestlin (1582). But it is not until Johannes Kepler’s Apologia pro Tychone contra Ursum (1601) that we find a full-blooded and systematic defense of the capacity of astronomy to satisfy Regiomontanus’claim that it progressively reveals the form of the world. »

(8) « L’humanisme a formé des spécialistes du ciel qui ne se considéraient pas comme de simples calculateurs : c’est ce qui rapproche Feuerbach, les homocentristes italiens, Copernic ou Tycho Brahé » écrit Isabelle Pantin, La Poésie du ciel en France dans la seconde moitié du XVIe siècle, Genève, Droz, 1995 (p. 16).

(9) “Initially, few nonastronomers knew of Copernicus’innovation or recognized it as more than a passing individual aberration like many that had come and gone before. Most of the elementary astronomy texts and manuals used during the second half of the sixteenth century had been prepared long before Copernicus’ lifetime – John of Holywood’s XIIIth century primer was still a leader in elementary training – and the new handbooks prepared after the publication of the De Revolutionibus usually did not mention Copernic or dismissed his innovation in a sentence or two”, écrit Thomas S. Kuhn, The Copernican Revolution, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1957, p. 189.

(10) Le De revolutionibus eut une seconde édition en 1566 (avec la Narratio prima de Rheticus, à Bâle, ex officina Henricpetrina, une troisième en 1617. Owen Gingerich a mené une enquête sur les localisations et les possesseurs de tous les exemplaires connus des deux premières éditions : « An annotated census of Copernicus’ De Revolutionibus (Nuremberg, 1543, Basel, 1566) », Leiden/Boston/Köln, Brill, 2002. Sur les exemplaires du De revolutionibus conservés en France, voir M. Cazenave et R. Taton, « Contribution à l’étude de la diffusion du De revolutionibus de Copernic », Revue d’histoire des sciences, 27 (1974), pp. 307-327.

(11) Academicae quaestiones, Paris, 1550, l. XLIV, p. 104.

(12) The Dialogues of Guy de Bruès. A Critical Edition, with a Study in Renaissance scepticism and Relativism, Panos Paul Morphos (éd.) Baltimore, The John Hopkins press, 1953, pp. 102-103 et 149.

(13) Dialogues, op.cit., p.135.

(14) Du Bartas, La Sepmaine ou création du monde, « Le Quatriesme jour », éd. V. Bol, avec un lexique et quelques éclaircissements sur la base de la grande édition de 1611, commentée par Simon Goulart, Actes Sud, 1988, pp. 106-107 ; Jean Bodin, Universae naturae Theatrum, in quo rerum omnium effectrices causaae, & fines contemplantur, & continuae series quinque libris discutiuntur, Paris, J. Roussin, 1596/Francfort, 1597.

(15) Thomas Kuhn, ibid.

(16) Nicholas Jardine, The Birth of History and Philosophy of Science. Kepler’s A Defence of Tycho against Ursus, with essays on its provenance and significance, Cambridge University Press, 1984, éd. corrigée 1588, notamment pp. 158 et sq. L’ouvrage de Kepler a été écrit vers 1600, mais il ne fut découvert qu’au XIXe siècle.

(17) Isabelle Pantin, op. cit.

(18) Mélanchton, Doctrinae physicae elementa sive Initia, Lyon, J. de Tourmes et G. Gazeau, 1552. Voir I. Pantin, op.cit., p.116 : « Les astronomes révolutionnaires, non contents d’ignorer l’Écriture et de mépriser la tradition, risquent de corrompre la jeunesse ».

(19) Platon, Timée, 47c ; République, livre VII, 537-539.

(20) T. S. Kuhn, The Copernican Revolution, op.cit., p. 193.

(21) T. S. Kuhn, ibid.

(22) II,12,523a ; voir aussi 525a ; 573b.

(23) « Que la Terre, le Soleil, la lune, la mer et tout ce qui existe, ne sont point uniques, mais plutôt en nombre infini. » Lucrèce, De natura rerum, II,1085

(24) Lucrèce, De natura rerum, VI, 679 : « Le ciel, la Terre et la mer, et toutes choses, ne sont rien en comparaison de l’immensité du grand tout. »

(25) Lucrèce, chant V, 1270-1275.

(26) Sur la réception de la science contemporaine chez Montaigne, voir Émile Bréhier, « Montaigne », in Histoire de la philosophie, I. 3, « Moyen Âge et Renaissance », Paris, 1926-1928/1967 ; contra, Georges Hoffmann, « Fonder une méthode à la Renaissance : Montaigne et ses professeurs de philosophie : I. La logique : influence de Grouchy", BSAM, "l'expérience philosophique", 7° série, n° 21-22, juillet-déc. 1990, pp. 32-39.

(27) « Le monde n’est qu’une branloire pérenne : toutes choses y changent sans cesse : la terre, les rochers du Caucase, les pyramides d’Égypte, et du branle public et du leur. La constance même n’est autre chose qu’un branle plus languissant» (III,2,804-805b). Peut-on assimiler le « branle » montanien au mouvement circulaire de la terre ? Montaigne semble ici faire allusion aux tremblements de terre, lorsqu’il dit que la terre bouge, et non à son mouvement comme planète. Cependant, cette doctrine héraclitéenne est littéralement contraire au dogme de l’immobilité de la terre, et constitue un motif de penser l’immobilité comme contraire à l’ordre naturel des choses.

(28) Voir Nicholas Jardine, « Scepticism in Renaissance astronomy: a preliminary study », in R.H. Popkin & C. B. Schmitt (éd.) Scepticism from the Renaissance to the Enlightenment, Wiesbaden, 1987, pp. 83-95 ; sur la renaissance du scepticisme moderne, voir la synthèse de Charles B. Schmitt, « The rediscovery of ancient skepticism in modern times », in Burnyeat (éd.), The Skeptical Tradition, Berkeley, 1983, pp. 225-251.

(29) Leo Strauss, Natural Right and History, The University of Chicago Press, 1953 ; Droit naturel et histoire, Paris, Flammarion, 1981, pp.29-31 : « toute pensée humaine est fonction d’une situation historique particulière, elle-même héritière de situations plus ou moins différentes ». L’ouvrage, publié à Chicago, comme l’est The Copernican Revolution de Thomas Kuhn, précède ce dernier de quelques années à peine. L’ouvrage de Strauss s’ouvre par une protestation virulente contre la victoire du relativisme dans les sciences sociales après-guerre.

(30) Émile Bréhier, Histoire de la philosophie, tome I,3 « Moyen Age et Renaissance », rééd. PUF 1967, p. 678.

(31) Cicéron, Academica, « Lucullus », II,39, Loeb Library, pp. 624-625. Nous traduisons : « Toutes ces choses dont tu parles, Lucullus, sont cachées et enveloppées dans d’épaisses ténèbres, de sorte qu’aucun esprit humain n’est doué d’une vue suffisamment puissante pour pénétrer le ciel ou la terre. »

(32) Cicéron, Academica, ibid. : « Hicetas Syracosius, ut ait Theophrastus, caelum solem lunam stellas supera denique omnia stare censet neque praeter terram rem ullam in mundo moveri, quae cum circum axem se summa celeritate convertat et torqueat, eadem effici omnia quae si stante terra caelum moveretur ; atque hoc etiam Platonem in Timaeo dicere quidam arbitrantur, sed paulo obscurius ». Voir Platon, Timée, 40b : « Quant à la Terre, notre nourrice, elle se tient en roulement sur l’essieu qui traverse l’Univers ; elle est, par ce mécanisme, la gardienne et l’ouvrière de la nuit et du jour ; c’est la première et la plus ancienne de toutes les divinités qui sont nées à l’intérieur du Ciel » (tr. L. Robin, Gallimard, « Pléiade », t. II, p. 456).

(33) Plutarque, De placitis philosophorum, livre III, chap. 13. L’hypothèse d’Héraclide du Pont, qui fait tourner Vénus et Mercure autour du soleil, était restée connue durant tout le Moyen Age, notamment grâce au De Nuptiis de Martianus Capella. L’Arénaire d’Archimède, commenté en 1557 par un lecteur royal, Pascal Du Hamel, décrit le système héliocentrique d’Aristarque. Paschasii Hamelii Commentarius in Archimedis de numero arenae, Paris, Cavellat, 1557. Le traité d’Archimède avait été imprimé pour la première fois en 1544, à Bâle, soit un an après la publication du De Revolutionibus.

(34) Nicolas Copernic, lettre-préface au pape Paul III, Des révolutions des orbes célestes, tr. A. Koyré, Paris, Blanchard, 1934. Sur les sources philosophiques du mouvement de la terre, voir Jdeler, Ueber das Verhältniss des Copernicus zum Altertum, Berlin, 1868 ; Schiaparelli, Die Vorlaüfer des Copernicus im Altertum, Leipzig, 1876 ; Origine del Sistema planetario eliocentrico presso i Greci ; I precursori di Copernico nell’Antichità, scritti sulla storia dell’astronomia antiqua , Milan, 1873/Bologna, 1925 ; Ryszard Palacz, « Nicolas Copernic comme philosophe », in Colloquia copernicana IV, in Studia Copernicana XIV, L’audience de la théorie héliocentrique : Copernic et le développement des sciences exactes et des sciences humaines, Torun, 1973, pp. 27-40. Copernic lisait Giorgio Valli et le Cardinal Bessarion. En bon humaniste, il connaissait l’œuvre de Cicéron.

(35) Voir aussi II,37,772a: « Depuis ces anciennes mutations de la medecine, il y en a eu infinies autres jusques à nous, et le plus souvent mutations entieres et universelles, comme sont celles que produisent de nostre temps Paracelse, Fioravanti et Argenterius: car ils ne changent pas seulement une recepte, mais, à ce qu'on me dict, toute la contexture et police du corps de la medecine (…). »

(36) II,12,539a. « Le Dieu de la science scolastique, c’est Aristote ; c’est religion de débattre de ses ordonnances, comme de celles de Lycurgue à Sparte ».

(37) Thomas S. Kuhn, The Copernican Revolution, op.cit., p. 3.

(38) S. Freud, Introduction à la psychanalyse, Payot, 1966, p. 266. La première humiliation infligée à l’homme l’a été par Copernic, la seconde par Darwin, la troisième par Freud, explique le fondateur de la psychanalyse.

(39) Cette pédagogie nouvelle se développe au XVIe siècle à partir d’Érasme, et de son De pueris statim ac liberaliter educandis, publié en 1529. Voir par ex. Qu’il faut donner très tôt aux enfants une éducation libérale, tr. J.-C. Margolin, Laffont, 1992, p. 485.

(40) L’anecdote au sujet de Socrate est reprise par Montaigne à Cicéron et à Plutarque.

(41) Marc-Aurèle, Pensées pour moi-même, II, 3. Sur la réception de Marc-Aurèle à la Renaissance, voir « Ethicorum omnium sanctissimus, Marcus Aurelius and his Meditations from Xylander to Diderot », in Humanism and Early Modern Philosophy, Jill Kraye and M.F. Stone éd., London, Routledge, 2000, pp. 107-134.

(42) Pascal, Pensées, Brunschvicg 72, Lafuma 199.

 

ŒUVRES EN LIGNE

 

 

Les Essais, The Montaigne Project, Université de Chicago (lien) Les Essais, The Montaigne Project, Université de Chicago (lien)

 

 

 

 

Le manuscrit de Copernic à la bibliothèque de la bibliothèque Jagellonne de l’université de Cracovie (lien)
Le manuscrit de Copernic à la bibliothèque de la bibliothèque Jagellonne de l’université de Cracovie (lien)

 

 

 

 

Copernic, De Revolutionibus Orbium Cœlestium (1543) sur le site RareBook (lien) Copernic, De Revolutionibus Orbium Cœlestium (1543) sur le site RareBook (lien)

 

 

 

 

 

LIVRES

 

 

 

 

 

Pierre Duhem, Sauver les apparences. Essai sur la notion de théorie physique de Platon à Galilée, 1908 (Vrin 2003).
Pierre Duhem, Sauver les apparences. Essai sur la notion de théorie physique de Platon à Galilée, 1908 (Vrin 2003).

 

 

 

 

Thomas S.Kuhn, La révolution copernicienne, Harvard University Press, 1957 (Livre de Poche 1992)
Thomas S.Kuhn, La révolution copernicienne, Harvard University Press, 1957 (Livre de Poche 1992)

 

 

 

 

Lucrèce, De la Nature (De rerum natura), édition bilingue lat/fcs, Les Belles Lettres, 2009.
Lucrèce, De la Nature (De rerum natura), édition bilingue lat/fcs, Les Belles Lettres, 2009.

 

 

 

 

Marc Foglia, Montaigne. De l’Interprétation, KImé, 2011.
Marc Foglia, Montaigne. De l’Interprétation, Kimé, 2011.

 

 

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